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Esclavage en Libye : pourquoi l’Europe ne doit pas accepter la responsabilité que l’on tente de lui faire porter
©Capture d'écran

Esclavage

Le 14 novembre dernier, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein a déclaré : « La communauté internationale ne peut pas continuer à fermer les yeux sur les horreurs inimaginables endurées par les migrants en Libye, et prétendre que la situation ne peut être réglée qu’en améliorant les conditions de détention », et ce, tout en ajoutant « La politique de l’UE consistant à aider les gardes-côtes libyens à intercepter et renvoyer les migrants (est) inhumaine »

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico :« Les interventions croissantes de l’UE et de ses États membres n’ont jusqu’à présent pas servi à réduire le nombre d’abus subis par les migrants ». N'y a-t-il pas un risque à accepter la mise en cause de l'Union européenne par un haut responsable de l'ONU dans la situation actuelle de la Libye ?

Alain Rodier : Il est tout à fait exact que la situation des migrants vendus comme des esclaves en Libye - mais pas seulement dans ce pays - est abominable. Elle est la résultante d’abord de la misère qui pousse des malheureux à quitter le pays où ils sont nés et ensuite du chaos qui prévaut sur place, l’autorité régalienne centrale ayant disparu au profit de chefs de guerre qui dirigent leurs zones d’implantation avec des méthodes dignes du moyen-âge. Personne n’est capable aujourd’hui de leur faire entendre raison à moins de lancer une opération militaire d’envergure pour tenter de parvenir à contrôler ce qui reste de la Libye, ce qui est loin d'être évident sur un plan purement tactique. Or, aucune puissance nationale, voire régionale, n’en n’a les moyens humains ni surtout la volonté stratégique.

L’Union Européenne ne peut rien entreprendre directement sur le terrain - pas de gouvernance centrale, moyens militaires limités - et ce ne sont pas les États-Unis ni la Russie "occupés ailleurs" qui vont s’y risquer.

En fait, Zeid Ra’asd Al Hussein a  la solution. Il souhaite, sans le dire, que l’UE ouvre toutes grandes ses portes pour accueillir le million de réfugiés présent sur le sol libyen. Et quand bien même cela serait, cela provoquerait alors un exode massif de migrants de tout le continent africain attirés par les "lustres" de l’UE jugée riche (mais qui ne parvient déjà pas à assurer un bien-être minimum à tous ses citoyens).

C’est là où se trouve véritable problème insoluble : la misère qui prévaut sur le continent africain. Il faut aider ces pays à se développer est une autre litote qui a cour depuis des dizaines d’années. Certes si les fonds versés ne finissaient dans la poche de nombre de responsables pervertis, cela aurait pu marcher mais l'échec est patent.

Pour sa part, l’Europe est comme un terrain de golf entouré de favelas. Qui peut empêcher les habitants des favelas d’envahir le terrain de golf ? Si ce ne sera pas la prospérité pour tout le monde, au moins la "provocante" richesse aura disparu, l’ensemble des populations étant alors plongées dans la même misère.

L’ONU, quant à elle, n’est même pas à même de faire appliquer en Libye les résolutions qui ont été votées. Il ne lui reste donc plus qu’à argumenter en prêchant dans le vide. La guerre lancée en 2011 pour abattre Kadhafi avait été plus simple car l’ennemi avait été clairement désigné. Aujourd’hui, les multiples centres de puissance sont trop nombreux pour être traités dans leur globalité même si quelques frappes aériennes ont lieu ici et là. Elles visent surtout ponctuellement des groupes qui dépendent de Daech ou d'Al-Qaida "canal historique".

A quelles autres accusations pourraient être confrontées l'UE, ou même la France, en acceptant un tel lien de cause à effets ?

L’Europe en général, et la France en particulier, ne peuvent pas "accueillir toute la misère du monde". Cette phrase reprise à de multiples reprises est encore plus vraie aujourd’hui. L’idée est certes généreuse mais ne correspond pas à la réalité du terrain à part pour les personnes qui appellent de leurs vœux la "révolution" en partant du principe qu’il convient de tout détruire pour reconstruire une autre société (dont ils ont du mal à définir les contours).

Un déferlement sur l’Europe de migrants clandestins apporterait le "carburant" nécessaire à l’insurrection dont ils rèvent sous des principes de "moralisme" qui ne sont que des façades pour leur fureur révolutionnaire. C’est sûr qu’avec eux, les têtes tomberaient mais il ne serait plus question de "morale" mais de "vertu" comme aux plus beaux jours de la terreur !

Une autre méthode pratiquée est de donner mauvaise conscience aux pays européens pour leur Histoire : les croisades, le nazisme, la colonisation, l'esclavage en expliquant que la situation actuelle est un juste retour des choses. Cela affaiblit d'autant l'esprit de résilience des sociétés occidentales qui sont ainsi minées de l'intérieur par les "repentants" encadrés par des activistes transformés en prètres de la nouvelle sainte inquisition dont les racines plongent dans le marxisme-léninisme. Fait curieux, les neoconservateurs - qu'ils soient américains ou autres - les rejoignent dans la détestation qu'ils ont de l'Europe dans sa globalité.   

En acceptant la logique d'un tel raisonnement qui aboutirait à une intervention sur zone, l'UE, la France ou l'Italie ne risqueraient t ils pas justement de provoquer plus de mal de que de bien ?

Comme cela a été dit plus avant, l’intervention directe sur zone est impossible faute de moyens et de volonté. De plus, elle serait très mal perçue par les populations locales qui pourraient parler de "nouveau colonialisme". Il n'est même pas impossible de penser que ce serait une solution pour recréer une libye unie contre un ennemi comme: l'Europe.

Aujourd'hui, il convient d’aider les autorités locales - mais la question se pose : lesquelles ? -. Le gouvernement Faraj qui n’a aucun pouvoir malgré son soutien officiel de l’ONU ou celui du maréchal Haftar ? Pour le moment, le coeur de l’UE balance entre les deux. Pour le reste du continent africain, l'UE fait ce qu'elle peut avec les moyens qu'elle a ...

Il serait utile que les peuples européens reconsidèrent leur Histoire pour ce qu'elle est : leur passé pour lequel ils n'ont aucune repentance à entretenir. Il faut juste ne pas renouveler les erreurs (et bien sûr les horreurs) qui ont été faites par nos ancêtres. Pour se rassurer, aucune civilisation n'a jamais été parfaite. Elles ont toute une Histoire à assumer!

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