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Entretiens avec des intellectuelles issues du monde de l'islam (partie 1) : "la mixité est indispensable à la modernité"
©Filckr

Bonnes feuilles

Avec ce nouveau livre, Hamid Zanaz nous invite à découvrir un autre visage féminin de la société arabe contemporaine. Celui des femmes modernes qui n’ont rien à voir avec ces fantômes en niqab qui envahissent les villes occidentales. Extrait de "Non! nos voix ne sont pas une honte", de Hamid Zanaz, publié aux Editions de Paris (1/2).

Abnousse Shalmani,

Abnousse Shalmani,

Abnousse Shalmani, cinéaste et écrivaine franco-iranienne, auteur de "Sade, Khomeiny et moi".

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Hamid  Zanaz

Hamid Zanaz

Traducteur et journaliste algérien indépendant, Hamid Zanaz collabore à différentes publications arabes et françaises. Contributeur permanent à Al Awan, revue de la ligue des rationalistes arabes, il donne aussi des conférences sur l’islam. Il est l’auteur de nombreux essais, tant en arabe qu’en français, sur différents problèmes sociétaux touchant à la religion, à la sexualité, à la politique ou à la science dans le monde islamique. Notamment, en 2012 et 2013, aux Éditions de Paris : L’islamisme, vrai visage de l’islam, et Islamisme. Comment l’Occident creuse sa tombe. Ce n’est pas le moindre paradoxe que ce soit des femmes et des hommes issus du monde musulman qui affirment la critique la plus radicale de l’islamisme et de son emprise sur le monde et la pensée, au moment même où l’Occident, intellectuellement, démissionne.

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Abnousse Shalmani, cinéaste et écrivaine franco-iranienne, auteur de Sade, Khomeiny et moi.

Pourquoi, selon vous, la « révolution » khomeinyiste est obsédée par le voilement des femmes, la sexualition du corps des enfants ?

Est-ce la révolution Khomeinyiste qui est obsédée par l’idée de voiler les femmes ou une tradition islamiste ? Les mollahs iraniens ne sont pas différents des Frères musulmans. Par ailleurs, toutes les religions ont délimité la place du corps féminin dans l’espace public, mais dans l’espace musulman le corps de la femme est obsessionnel. Dès que des barbus prennent le pouvoir, la première loi qu’ils votent est le port du voile obligatoire. Comme si, tant que le corps des femmes est en liberté, leur pouvoir était en danger. De plus, voiler le corps des femmes (et des petites filles) est aussi le moyen plus visible de se faire (re)connaitre comme musulman.

Plus profondément, c’est l’infériorité des femmes qui est validée par le voile. Infériorité politique, sociale et culturelle. Les petites filles doivent le porter dès l’entrée à l’école, à six ans. Qu’y-a-t-il de si dangereux dans le corps d’une petite fille pour le recouvrir ainsi ? De quoi ont-ils si peur ? En recouvrant les petites filles comme des femmes, en plaçant leurs corps au même niveau que celui des femmes, le voile les sexualise. Un corps qui doit être recouvert, c’est un corps qui peut inspirer la concupiscence. Qu’y-at- il de sexué dans le corps d’une petite fille ? C’est ce qui me révolte dans ”l’enfoulardement” des enfants.

D’autre part, les femmes voilées sont sexualisées tout autant. Il suffit qu’un bout de peau soit visible, qu’une mèche de cheveux dépasse des voiles noirs pour que tout de suite surgisse une réaction charnelle. En voulant couvrir la femme de pudeur, les barbus ont sexualisé à outrance le corps des femmes. L’obscénité du corps féminin est d’autant plus visible qu’il est recouvert. Mystère et danger, voilà ce que dit le voile des femmes. Le voile ramène la femme à la sphère privée, il lui retire ses droits, il la victimise et la réduit à n’être qu’un corps. Quand le voile est imposé, il est une prison. Quand il est un choix, c’est soit un choix motivé par des convictions qui contredisent les principes d’égalité, soit une démarche politique qui voudrait imposer une vision traditionnelle et rétrograde. Dans les deux cas, les femmes sont les grandes perdantes. Même quand elles le choisissent.

La mixité est-elle indissociable de la modernité ?

Oui, mille fois OUI ! La mixité c’est accepter dans la société toutes ses composantes. La première différence est sexuelle, si celle-ci n’est pas balayée par le droit, c’est la porte ouverte à toutes les autres discriminations. Comment accepter deux systèmes de citoyenneté dans une société saine ? Si les femmes n’accèdent pas aux mêmes droits et aux mêmes devoirs que les hommes, comment bâtir ensemble ? Je crois que les sociétés non-mixtes sont souvent les plus racistes.

D’autre part, regardez ce qui se passe en Égypte : les attouchements et les viols dans les rues, dans le bus, en plein jour, sur des femmes de tout âge, voilées ou pas. C’est une conséquence directe de l’absence de mixité. N’importe quelle population finirait par ne plus discerner le bien du mal dans ces conditions d’apartheid sexuel. C’est une forme de folie : ce corps qui m’est interdit depuis l’enfance, ce corps qui est danger depuis toujours est là, si près de mes mains, offert. Alors je me l’approprie avec violence. La mixité c’est apprendre à dépasser les différences sexuelles, à dépasser la concupiscence et à accepter l’Autre comme un être humain. À vivre sans imaginer que le corps de l’Autre est un interdit, que le corps de l’Autre est votre honneur ou votre possession. À vivre libre. Vous ne pouvez être libre lorsque vous refusez la liberté à votre femme, à votre fille, à votre mère.

« J’étais incapable de m’adapter, je ne voulais pas ressembler à tout le monde, je voulais être nue. » Pensez-vous que la nudité est un acte révolutionnaire ?

Je ne crois pas que la nudité soit un acte révolutionnaire en soi. Mais selon les contextes. Quand la jeune Égyptienne Aliaa Elmahdy poste une photo d’elle nue, elle l’accompagne d’un texte où elle dénonce l’hypocrisie et les discriminations de la société égyptienne et finit par dire : « J’ai un corps » (Je serais tentée de rajouter : « j’ai un corps politique »), c’est un acte révolutionnaire. La nudité contre le voile, dans des pays où les barbus réduisent la femme justement à son corps (à sa faute), c’est un acte révolutionnaire. Une publicité avec un corps de femme nu, est une publicité, un corps désincarné. Il n’y a rien de révolutionnaire là-dedans. Par contre, retirer le corset au début du XXe siècle en Europe, libérer le corps féminin en lui permettant de se mettre en mouvement, c’est un acte révolutionnaire. Parce que le corps des femmes a toujours été victime des interdits, de règles discriminatoires, je dirais que la nudité peut être une arme pour déchirer les ténèbres. Par contre, ce n’est pas la nudité en soi qui est révolutionnaire. Petit détail, mais qui a son importance : le Qatar, sous l’égide de la soeur du roi, achète des oeuvres modernes et contemporaines pour son futur musée. Il est intéressant de noter qu’ils refusent les nus... Ainsi, occultent-ils une partie de l’histoire de la peinture parce que cela heurte leurs croyances-préjugés. Retirer le corps des femmes de l’histoire de la peinture, c’est encore une fois occulter la femme en tant que sujet politique. C’est tragique.

Extrait de "Non! nos voix ne sont pas une honte", de Hamid Zanaz, publié aux Editions de Paris, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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