Entre Emmanuel Macron et Bruno Le Maire, la relation devient de plus en plus compliquée<!-- --> | Atlantico.fr
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Bruno Le Maire et Emmanuel Macron.
Bruno Le Maire et Emmanuel Macron.
©Christophe Ena / POOL / AFP

Atlantico Business

Alors que Bruno Le Maire recherche tous les moyens pour rassurer Bruxelles sur la politique budgétaire, le président de la République semble ne pas vouloir prendre le risque politique de réduire drastiquement les dépenses publiques et sociales.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le désaccord a priori entre le président de la République et son ministre des finances, Bruno Le Maire, serait d’une banalité affligeante si elle ne se développait pas au cœur du pouvoir sur un point de stratégie essentiel pour les Français et les Européens.

Le ministre de l’économie cherche à rééquilibrer les comptes en rabotant les dépenses publiques et sociales. Le président de la République considère que le problème est plus du côté des recettes et de la croissance que du côté des dépenses ; en attendant, il faut régler le problème de la dette à un coût financier qui ne soit pas exorbitant et un cout politique supportable.

Les faits d’abord, ils sont très techniques et finalement très politiques. Techniques parce que depuis 7 ans, Bruno Le Maire a géré les finances de l'État en toute loyauté à l'égard des Premiers ministres successifs et du président de la République. Il a géré les comptes et la relation avec Bruxelles, il a aussi évidemment géré la dette, nécessaire en rassurant en permanence les marchés financiers. Il a su expliquer en détail l'incidence comptable et financière des différentes crises que la France a traversées, des gilets Jaunes au COVID, sans parler de la guerre en Ukraine et son impact sur l'inflation qu’il a bien fallu amortir.

Bref, il a mis en musique et solvabilisé cette politique du « quoi qu'il en coûte » qui avait été décidée par Emmanuel Macron. Aujourd’hui, personne ne viendra critiquer sur le fond toutes les protections mises en place pour protéger les Français et les entreprises. Bruno Le Maire a d’ailleurs « vendu » cette stratégie aux marchés financiers qui ont accepté de la financer. Pas facile, parce qu’il a fallu organiser tout cela dans le respect des engagements qui avaient été pris par le président de la République de réduire les prélèvements obligatoires de façon à protéger les capacités de production. Cette politique a été conduite et personne ne la regrette.

Pendant près de 7 ans, le ministre des Finances de la France a répondu aux décisions politiques, sans créer trop d’inquiétudes au niveau de la communauté financière à tel enseigne que les agences de notation internationales n’ont pas trouvé de raisons à sanctionner la maison France. Il s’est aussi forgé une image d’expert, sérieux, européen, ouvert sur le monde des entreprises. Bref il construit une image de presque candidat à la présidence de la République.

Pendant près de 7 ans, cette gestion dans le secret de Bercy n'a pas provoqué d’inquiétudes particulières. Au contraire. Il y avait certes un déficit budgétaire qui dépassait les normes de Maastricht, mais ces normes avaient été mises entre parenthèses pour tous les pays membres de l’Union européenne pour cause de crise exceptionnelle, d’autant que le ministre de l'Economie avait cette pédagogie nécessaire pour convaincre nos partenaires que la France avait les moyens de se redresser. Et c’est vrai que l'endettement extérieur était « soutenable », comme disent les banquiers ; la preuve, c’est que les taux d’intérêt, qui intègrent le taux de risques, n’ont pas bougé. Ils n’ont pas bougé jusqu’à la dernière crise qui s’est matérialisée par une poussée de fièvre inflationniste et une rupture dans la croissance du monde entier après l’euphorie de l'après COVID.

Pour combattre cette poussée de fièvre, le gouvernement et le président ont repris la méthode du « quoi qu’il en coûte », y compris très récemment quand il s’est agi de calmer la grogne des agriculteurs ou des automobilistes affolés par le prix de l'essence.

Et c’est vrai qu'à ce moment-là, tout le monde s’est inquiété parce que les prévisions budgétaires pour 2023 et 2024, qui ont permis de construire les lois de finances, n'ont sans doute pas pris en compte la totalité de la dégradation conjoncturelle.

La suite va devenir très politique parce que la classe politique de tous les bords, à droite comme à gauche, s’aperçoit que le budget est en déficit, que la dette devient importante et surtout parce que la panne de croissance touche d'abord l'activité économique et par conséquent plombe les recettes fiscales, d’où l’aggravation probable du déficit et par conséquent de la dette. Tout le monde se découvre des talents d’économistes pour expliquer que le gouvernement s’est trompé. Surtout quand le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, tire le signal d’alarme en critiquant vertement la gestion budgétaire alors qu’on ne l’avait pas beaucoup entendu jusqu’à maintenant… La conclusion s’impose, pour la classe politique, la France ne pourra pas éviter une cure d’austérité… et à Bercy on reconnaît qu’il va falloir entreprendre non pas une cure d’austérité, mais une série d’économies. On parle de 10 milliards, puis de 30 milliards. La Cour des comptes, elle, estime qu’il faudrait trouver 50 milliards pour revenir dans les clous.

C’est à ce moment-là que le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, publie un livre qui diagnostique les difficultés de la maison France, qui dénonce l'addiction aux dépenses de protections sociales et préconise des recettes pour redresser la maison France avec un modèle beaucoup plus libéral que ce qu’on a fait jusqu’alors… moins de dépenses, moins d’État, moins de prélèvements, plus de travail et de compétitivité, etc., etc.

La classe politique s’étonne de cette initiative d’un ministre en exercice qui vient préconiser une politique «  un peu » différente de celle à laquelle il a participé. Au sein du gouvernement où Bruno Le Maire n’a pas que des amis, on considère que le livre est une erreur tout en reconnaissant que le propos est juste. Les amis du ministre eux ont compris que Bruno Le Maire va s’engager en politique et entre dans la pré-campagne pour la prochaine présidentielle. L'objectif est clair : il cherche à s’affranchir du bilan dont il est co-responsable tout en traçant une voie nouvelle pour la France. La démarche ne trompe personne, et surtout pas ceux qui se sont déjà mis sur la ligne de départ comme Edouard Philippe, Xavier Bertrand, Laurent Wauquiez, ou même David Lisnard, le maire de Cannes, qui ne cache plus son ambition.

Du côté de l’exécutif, ça grogne à Matignon comme à l’Élysée. Le débat politique qui passe en revue toutes les économies de dépenses que l’on pourrait faire créer du stress et de l’inquiétude. Pour prouver le sérieux français face à Bruxelles, Bruno Le Maire laisse dire qu'il faudra sans doute faire voter une loi de finances rectificative, l’opposition politique se frotte les mains... À l’Élysée, on regarde les sondages et on considère que la loi de finances rectificative va enflammer la classe politique où chacun ira de sa solution ; pour Emmanuel Macron, le temps n’est pas aux disputes subalternes, le problème c’est la croissance parce que la croissance nous apporterait des recettes. Bruno Le Maire plaide une dernière fois pour une autre politique de dépenses publiques et sociales. Le président préfère la croissance, même si chacun sait que la croissance est en panne partout en Europe. Au final, le ministre de l’Economie fera son job avec loyauté en appliquant les consignes du président. À Bruxelles aujourd’hui, il va donc présenter la trajectoire budgétaire pour l'année prochaine qui est un peu différente de la voie française qu’il avait décrite dans son livre.

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