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Entre attentat contre les Coptes et frappes américaines sur des civils en Syrie : le Moyen-Orient est-il en train de s'embraser ?
©REUTERS/Abdalrhman Ismail

Tourbillon

Les violences se multiplient dans plusieurs pays du Moyen-Orient.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Entre la présence militaire de l'OTAN dans le bassin levantin et son combat contre l'Etat Islamique, la bavure des forces américaines à Mossoul faisant au moins 105 victimes et, tout récemment, l'attentat contre la communauté copte en Egypte, quels sont les risques, aujourd'hui, de voir le Moyen-Orient s'embraser ?

Alexandre Del Valle : Le Moyen-Orient est déjà embrasé depuis pas mal d'années. On peut faire remonter cet embrasement au début des années 1990 avec la guerre en Irak, et encore plus loin encore avec la guerre Irak/Iran qui fut un véritable carnage et la guerre civile libanaise. Le déséquilibre du monde dû au fait qu'après la guerre froide, les Américains se sont retrouvés sans contre-pouvoir, leur a permis de préparer et déclencher les guerres que l'on sait en Irak en 90-91 et en 2003. Cela a grandement déstabilisé la région puisqu'on a fait chuter et renverser un régime dictatorial mais qui maintenait un certain ordre. Le chaos qui s'est installé en Irak est vraiment fondateur et a des répercussions jusqu’à aujourd’hui, dont la croissance du jihadisme terroriste et la Fitna chiites-sunnites. Il y a eu ensuite le 11 septembre 2001 et la 2nd guerre du Golfe qui a achevé le chaos national et régional, depuis surtout que le régime baasiste a été totalement détruit au profit des logiques tribales, confessionnelles et ethniques. Il n'y a plus d'État et la fragmentation irakienne a entraîné une fragmentation régionale proche et moyen-orientale de même que la fragmentation libyenne a accentué la déstabilisation africaine.

C'est Al-Qaïda qui remplit le vide d'un côté, puis son successeur rival Da’esh, et, pour la première fois depuis longtemps, l'Iran chiite de l’autre côté, qui est sorti de son périmètre national et a réussi à contrôler une partie de l'Irak via les protégés chiites qu'elle ne contrôlait plus depuis longtemps. C'est une très grande déstabilisation régionale qui a permis et décuplé l'action des djihadistes d'Al Qaeda, dont une partie deviendra Daesh, et qui leur même donné de nouveaux prétextes. L'Iran révolutionnaire-chiite (re)devient impérial, et profite du vide, et l’Arabie saoudite envoie encore plus partout ses métastases wahhabites-salafistes pour contre les Perses chiites jugés menaçants. La région entière a ainsi été déstabilisée par les États-Unis depuis des décennies, et avant encore si l’on remonte à l’Afghanistan où ils ont joué avec le feu jihadiste sunnite contre la Russie soviétique. Après l'Irak, c'est la Syrie qui a été contaminé et touchée puis plongée dans le chaos, tandis que la Jordanie voisine est contaminée idéologiquement par Al-Qaïda et Da’esh en dépit de sa stabilité apparente et très fragile. L'Arabie Saoudite et le Yémen sont également contaminés par Al-Qaïda / Daesh d'un côté, et de l'autre menacés de l’intérieur selon les sunnites par l'Iran chiite, qui cherche à la fois à s'étendre au Yémen via les rebelles chiites zaïdites, mais d'également d'instrumentaliser des minorités duodécimaines-chiites de la péninsule et de l’est saoudien. La Guerre en Lybie, elle, déstabilise à la fois le Moyen-Orient et l'Afrique : à nouveau, on a ici fait chuter un régime dictatorial, certes, mais qui était relativement stable et qui contrôlait pour nous l'immigration et combattait l'islamisme radical. Les révolutions arabes sont arrivées par-dessus tout cela, et ont achevé la déstabilisation des régimes stables puis ont été vite récupérées par l’islam politique, dans ses versions fréristes démocratiques et dans ses formes jihadistes : l'Égypte, la Tunisie, la Syrie et le Yémen ont été touchées et durablement déstabilisés, même si le désordre islamiste a semblé être stoppé en Egypte par un coup d'État militaire. Mais Al-Sissi, le raïs égyptien anti-islamiste, ne pourra pas juguler le chaos qui perdure de l’Afrique du Nord u Moyen-Orient, d’autant que sa légitimité démocratique est très faible et que l’islamisme jihadiste et frériste mondial veut sa peau, ce qui présage une guerre civile déjà en cours dans le sud et en zone tribale-bédouine puis se manifeste dans les attentats réguliers anti-coptes et autres. 

D'un côté, il y a dans le monde arabe des mouvements islamistes qui gagnent des élections, et de l’autre des groupes jihadistes qui terrorisent la population par la violence. Face à eux, des Etats nationalistes sont prêts à tout pour vaincre leurs ennemis théocratiques, comme c’est le cas de la Syrie de Bachar, de l’Egypte de Sissi ou mêle de l’Algérie. La Syrie et l’Egypte sont ainsi devenus l'épicentre d'une lutte entre nationalistes et islamistes, et la Syrie, l’Irak et le Yémen le terrain de la guerre civile religieuse inter-islamique chiites-sunnites. Cette Fitna chiites-sunnites a été sans doute possible encouragée et réactivée depuis le chaos en Irak. La déstabilisation est donc profonde, générale et multiforme. Elle a plusieurs sources : des États faillis, des luttes chiites et sunnites qui cachent une guerre entre Arabie Saoudite et Iran, les injustices sociales et l’opposition politique. Cette déstabilisation est donc régionale, nationale et internationale. La Russie soutient globalement l'axe Chiite pro-Iranien, tandis que, et on l'a vu avec Trump récemment, l'Amérique soutient de manière dangereuse l'Arabie Saoudite, ceci sans esprit critique et en oubliant trop vite l’énorme responsabilité saoudienne dans l’explosion jihadiste sunnite-salafiste planétaire et ses répercussions terroristes. 

 En quoi la présence de plus en plus marquée des forces occidentales risquent de rajouter de l'huile sur le feu?

Ce qui a été dit par Trump et autre pendant le sommet de l'OTAN, à savoir la nécessité de se concentrer sur la menace terroriste, est assez juste. Je pense toutefois que l’Amérique ne devrait non plus se soucier de s'opposer à la Russie et ses alliés, comme elle le fait, mais accepter de réformer l’OTAN et de redéfinir la menace principale. Cela implique de ne plus s'immiscer dans les affaires des autres États qui ne nous ont pas agressé, et de tout faire pour renouer un dialogue constructif avec la Russie. De même, l'Occident et surtout les Etats-Unis d’Obama ont eu tort de condamner le maréchal Abdelfattah Al-Sissi en Égypte et de soutenir l’opposition sunnite-islamiste en Syrie et en Libye. Ils ont également eu tort de soutenir les islamistes en Turquie contre les Kémalistes et de favoriser le processus de candidature de la Turquie dans l’UE qui n’a profité qu’à Erdogan pour justifier le démantèlement des militaires kémalistes au nom des critères démocratiques européens. Et l’OTAN a eu tort de laisser la Turquie défier des Etats européens et refuser d’être solidaire de ses alliés atlantiques à plusieurs reprises. L’Occident dans son ensemble a eu tort de déstabiliser à la fois l'Irak, la Lybie et la Syrie. Il a commis une erreur énorme en désignant la Russie, la Syrie et l'Iran comme ses ennemis principaux alors que la menace qui frappe régulièrement les citoyens européens et américains est islamiste sunnite-jihadiste et pas chiite. Il devrait se concentrer sur ses intérêts vitaux, se recentrer sur ses précarrés vitaux, et ne plus pratiquer d'ingérences au nom des droits de l’homme ainsi dévoyés et discrédités. Mais cela va être très dur à faire comprendre aux va-t-en-guerre occidentaux adeptes d’un néo-impérialisme interventionniste. 

Au risque de voir le conflit OTAN - EI dégénérer, risque-t-on de voir d'autres pays du Moyen-Orient s'engouffrer dans la guerre? 

À court et moyen termes, je pense que les pays les plus fragilisés sont l'Irak, totalement divisée entre Chiites et Sunnites, et Kurdes et Arabes, et la Syrie, divisée entre Alaouite-sunnites laïques et autres minorités d’un côté, puis sunnites- arabes-islamistes, de l’autre, sans oublier l’élément kurde. La Jordanie demeure de son côté un maillon faible, comme le Liban. Alliée des États-Unis et d'Israël, elle souffre énormément de sources de déstabilisation. C'est un Etat fragile avec un roi hachémite modéré minoritaire étant donné qu'il y a plus de Palestiniens que de jordaniens-bédouins dans le pays, mais que les premiers sont moins représentés que les seconds et se révoltent de plus en plus. Le Liban, lui, peut exploser aussi à tout moment, même s'il y a une entente momentanée chiites / chrétiens aujourd'hui à travers le président Michel Aoun. Le Yémen s’enfonce quant à lui plus que jamais dans le chaos le plus total et devient comme la Syrie et l’Irak un terrain de lutte chiites-sunnites et saoud/Iran. Le dernier foyer possible de guerre civile est l'Égypte. Elle a beau être tenu par un homme fort, il ne faut oublier que les Frères-musulmans ont gagné les élections et préparent leur revanche puis alimentent en sous-main le jihad. Les islamistes en général vont rentrer dans une lutte à mort contre le président Sissi. C'est pour cela qu'ils s'en prennent aux chrétiens-coptes, car ils accusent ce dernier d'être leur protecteur, d’être « vendus » aux « croisés », d’être le protecteur de la « cinquième colonne » chrétienne-croisée que seraient les Coptes dans la vulgate paranoïaque-haineuse et bouc-émissariste des islamistes. Au Moyen-Orient, il n'y a presque plus d'État aujourd'hui qui soit épargné par le totalitarisme islamiste. 

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