En célébrant Joséphine Baker, Emmanuel Macron a-t-il réalisé qu’il rendait implicitement hommage à Éric Zemmour ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron prononce un discours lors de la cérémonie en hommage à Joséphine Baker qui vient de faire son entrée au Panthéon.
Emmanuel Macron prononce un discours lors de la cérémonie en hommage à Joséphine Baker qui vient de faire son entrée au Panthéon.
©SARAH MEYSSONNIER / POOL / AFP

Panthéonisation

Joséphine Baker est entrée mardi au Panthéon. Le choix d’honorer Joséphine Baker conduit Emmanuel Macron à célébrer la France d’avant, le modèle d'Eric Zemmour.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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C’est en grandes pompes que Joséphine Baker est entrée au Panthéon ce mardi 30 novembre. Passons sur le fait que le cénotaphe de la star franco-américaine était rempli de sable, détail qui n’a eu l’air de beaucoup déranger les commentateurs, mais qui laisse tout de même un goût amer : quel sens y a-t-il à rendre hommage à un cercueil vide ? Etrangement, ceux qui dénoncent la vanité et la roublardise de la communication politique contemporaine sont restés bien silencieux.

Le calcul du président

Il est vrai que cet événement, sous ses airs solennels et consensuels, avait un objectif dont la dimension tactique pouvait bien excuser une petite entorse à la décence : faire la nique à Eric Zemmour. Le journal Le Monde ne s’est pas privé de le rappeler : « La cérémonie de panthéonisation de l’artiste franco-américaine a opposé une France conquérante et joyeuse à la France défaitiste et recroquevillée représentée par Eric Zemmour ».

Cette dimension tactique n’est probablement pas pour rien dans le choix d’Éric Zemmour de prendre cette date pour officialiser sa propre candidature à l’élection présidentielle, date doublement intéressante puisque ce même 30 novembre avait également lieu le quatrième et dernier débat de la primaire de la droite.

On comprend dès lors quelles étaient les intentions d’Éric Zemmour : se manifester dans l’espace médiatique le jour où les caméras allaient être braquées ailleurs, ne pas laisser le président et les Républicains occuper le terrain, court-circuiter les deux cérémonies bien huilées pour, finalement, recentrer l’élection présidentielle autour du choc entre lui et le président de la République.

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Utiliser la force de l’adversaire

Mais ce choix d’intervenir le jour de l’intronisation de Joséphine Baker s’avère autrement plus subtil car il a aussi pour objectif de placer Emmanuel Macron dans une contradiction dont personne n’a pris la mesure, alors qu’elle crève pourtant les yeux.

Cette contradiction apparaît pourtant clairement lorsqu’on s’intéresse aux critiques qui ont été adressées à la vidéo de 10 minutes diffusée par Éric Zemmour sur youtube ce 30 novembre à midi. Outre les étiquettes habituelles (fasciste, pétainiste, raciste), Zemmour est en effet accusé d’être un nostalgique d’une France qui n’existe plus, d’une France vieillie, moisie, rance. Le secrétaire d’Etat Clément Beaune a ainsi parlé d’une « description apocalyptique de la France » où « tout est négatif, désespéré, rabougri, triste ». Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, a ironisé sur « un passé fantasmé pour un présent caricaturé». Pour la France insoumise, Adrien Quatennens a utilisé un argument olfactif : « ouvrez les fenêtres, respirez, mettez un air de musique peut-être un peu plus léger, la France d'Éric Zemmour n'existe pas ». Même dans l’entourage du Rassemblement national, les critiques ont été du même acabit : le maire de Béziers, Robert Ménard, a critiqué un « message trop apocalyptique » et Marine Le Pen a parlé d’une vidéo «passéiste et crépusculaire ».

Tout cela n’est pas faux puisqu’Eric Zemmour assume explicitement cette posture passéiste. Mais tout le problème est que le choix d’honorer Joséphine Baker conduit justement à célébrer la France d’avant.

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Car qu’est-ce qui a suscité l’émerveillement de Joséphine Baker, sinon cette France d’autrefois, cette vieille France que vante Éric Zemmour ? N’est-ce pas de cette ancienne France que Joséphine Baker est tombée amoureuse au point de vouloir en prendre la nationalité et d’y passer le restant de ses jours ? N’est-ce pas cette France d’avant les années 1970, aujourd’hui décrite comme patriarcale, sexiste, raciste coloniale, autoritaire, qu’elle a voulu adopter comme sa nouvelle patrie, à la fois en tant que femme et en tant que noire ?

C’est pourquoi, lorsqu’Olivia Grégoire, obscure secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, a cru bon de répliquer à Éric Zemmour en reprenant le message présidentiel, elle tombe à plat. Elle déclare ainsi : « Quelle meilleure réponse à l’annonce de la candidature d’Éric Zemmour et de ses promesses rabougries, que la panthéonisation de Joséphine Baker, elle qui nous rappelle avec force la grandeur de notre nation ouverte et progressiste ? ».

On n’ose pas croire que, en disant cela, elle ne réalise pas que la grande nation qui a séduit et accueilli Joséphine Baker n’est pas la France d’aujourd’hui, mais celle qui correspond en tout point à celle que Zemmour entend retrouver et réhabiliter.

La contradiction est tellement flagrante, tellement énorme, qu’elle n’a pas pu échapper à Emmanuel Macron, lequel a certainement pressenti qu’il risquait de tomber dans son propre piège. Il a dû espérer que personne n’aurait la mauvaise idée de la relever, ce qui est un pari assez raisonnable car, face à un adversaire qui n’est autre que le diable incarné, personne ne va s’amuser à brouiller le message. Le passéisme d’Éric Zemmour doit être dénoncé sans la moindre complaisance, même si la beauté de ce passé nous revient parfois du fin fond de notre conscience collective.  

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