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Le président Emmanuel Macron échange avec la présidente de la région Ile-de-France lors d'une visite aux Mureaux, le 20 février 2018.
Le président Emmanuel Macron échange avec la présidente de la région Ile-de-France lors d'une visite aux Mureaux, le 20 février 2018.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Echiquier politique

Les électeurs de centre vont devoir choisir entre Valérie Pécresse et Emmanuel Macron lors de l'élection présidentielle. Le profil de la candidate LR complique la tâche du président de la République et de ses alliés, notamment Edouard Philippe et son mouvement Horizons.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Avec Valérie Pécresse comme candidate de LR et Edouard Philippe ayant lancé son parti Horizons pour incarner l’aile de centre droit de  la Macronie, va-t-il y avoir une bataille rangée pour les électeurs et les élus de centre-droit ?

Jean Petaux : Pour qu’il y ait « Une bataille rangée », il faudrait qu’il y ait « des troupes à ranger » et « une bataille entre elles ». Ce n’est pas le cas et cela ne le sera pas. N’oublions pas que nous sommes ici en présence de configurations pouvant aller effectivement jusqu’au conflit mais, comme les acteurs sur scène ne sont pas nombreux, ils en limitent la portée et la visibilité. Ce ne sont même pas des querelles d’appareils ou d’organisations partisanes. C’est une suite de conduites et de jeux destinés à conquérir le trophée (ou à participer sa conquête pour le compte d’un tiers), ce n’est en aucun cas, une bataille d’électeurs. En d’autres temps on aurait qualifié cette séquence de la compétition présidentielle de 2022, celle de la concurrence entre Philippe et Pécresse, de confrontation entre notables s’appuyant sur les réseaux  d’élus territoriaux, à même de « ramener » (tels des chaluts trainant derrière le navire) quelques « bancs d’électeurs » et quelques « plus gros poissons », de « belles prises » que l’on s’empressera de prendre en photo et d’exposer pour montrer aux concurrents qu’on a marqué des points.

Il reste, que vous avez raison, ce que vous évoquez est une illustration supplémentaire du fait que la désignation de Valérie Pécresse par 60% des adhérents LR qui ont participé à la primaire, comme candidate « officielle » de LR à la présidentielle, est le plus mauvais scénario pour, non seulement Emmanuel Macron, mais pour ses principaux soutiens. Au moins à court terme. Là où Edouard Philippe fort de son parcours à Matignon, fort surtout de ses « bonnes conditions » de sortie, pouvait espérer que la « ligne d’Horizons » soit une « ligne d’abondance électorale », en vendangeant sans grand scrupule la frange « Juppéo-social » ou « Juppéo-centriste » des électeurs LR, désormais Valérie Pécresse constitue une offre électorale satisfaisante pour ces électeurs, ni souverainistes, ni « ciottistes », ni, encore moins « zémouristes ».

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Maxime Tandonnet : Oui, c’est l’enjeu crucial du scrutin. La droite tendance Wauquiez et Retailleau ne votera pas Macron et se ralliera sans grande difficulté à Valérie Pécresse. Le centre gauche votera massivement Macron dont il est la base électorale. En revanche le centre droit c’est-à-dire la frange européiste et libérale de la droite reste un enjeu central de l’éventuel duel entre M. Macron et Mme Pécresse. Sur le plan idéologique, il est vrai que les différences entre les deux ne sont pas clairement perceptibles. Tous deux sont généralement considérés comme européistes et libéraux. Deux facteurs peuvent pousser cette frange de l’électorat à pencher vers Valérie Pécresse. D’abord le bilan du quinquennat Macron sur le plan de l’explosion des déficit publics et de la dette, sur la sécurité ou l’école peut inciter cette frange de l’électorat à vouloir « essayer » une autre équipe. Ensuite les questions de personnalités peuvent être favorables à Mme Pécresse du fait de la lassitude que peuvent inspirer aux Français cinq années d’omniprésence de M. Macron.

Le Parisien raconte qu’Emmanuel Macron a fait pression sur Franck Riester, le président d’Agir pour retarder voire empêcher le rapprochement avec Horizons. Quel peut-être l’intérêt d’une telle stratégie ? Qu’est-ce que cela nous dit de la vision que le président de la République a du rôle du centre-droit dans sa campagne ?

Jean Petaux : Le commentaire de cette pré-campagne présidentielle, tellement médiocre dans sa tonalité générale et dans les comportements de chaque candidate ou candidat, « déclaré » ou « non », voire « envisageabilée », fait que l’on peut presque écrire toutes les répliques des acteurs de cette « saison 11 » de la présidentielle avant qu’elles ne soient sorties de la « bouche des chevaux ». Si, de surcroît, il faut commenter telle ou telle rumeur, même (col)portée par un excellent quotidien national, il faut avouer que la tâche devient bien difficile. Si l’info du « Parisien » est conforme à la réalité, alors il est clair qu’Emmanuel Macron entend tout verrouiller de « sa » campagne et veut garder le contrôle du jeu, non pas seulement présidentiel, mais aussi des investitures législatives à venir pour former la nouvelle Assemblée à la mi-juin 2022. Dans cette perspective, deux formations, le MODEM d’un côté et Horizons augmenté d’Agir de l’autre, pourraient mettre une vraie pression sur les investitures LREM, aussi bien sur les députés sortants, candidats à leur propre succession, que sur les nouveaux « appelés » désireux de rejoindre les bancs de l’Assemblée sous l’étiquette « majorité présidentielle / LREM ». Il ne s’agit donc pas forcément de tirer un enseignement à caractère idéologique à cette « manœuvre » prêtée à Emmanuel Macron vis-à-vis de Franck Riester. Par exemple : « le centre-droit représente-t-il quelque chose pour Emmanuel Macron ? ». La réponse à cette question, pour légitime qu’elle puisse être, n’est pas essentielle. Ce qui compte pour le président sortant, futur candidat Macron, c’est l’interrogation suivante : « le centre-droit combien de divisions ? ». A la fois pour savoir combien ces divisions peuvent peser sur son « flanc droit » et aussi de quelles troupes dispose-t-il ici pour concurrencer son adversaire LR sur ce même champ électoral. Parce que c’est sans doute là, comme dans deux ou trois « lieux » bien identifiés de la scène électorale globale que se jouera le second tour, surtout dans l’hypothèse d’un duel Macron-Pécresse.

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Maxime Tandonnet : Agir de Franck Riester et depuis le début du quinquennat une composante de la majorité parlementaire à part entière assimilée à LAREM. Horizon est beaucoup plus récent, né justement de la rupture entre le chef de l’Etat et son ex-Premier ministre trop populaire à ses yeux qui lui faisait de l’ombre. Il est certain que les relations entre le président Macron et Edouard Philippe sont empreintes de méfiance. Le chef de l’Etat a probablement des doutes sur l’attitude de son ex-Premier ministre à son égard. Le rapprochement d’Agir et d’Horizon signifierait peut-être la constitution d’un pôle de centre-droit autonome vis-à-vis de l’Elysée. Dans ce cas Emmanuel Macron voit le risque d’une perte de la maîtrise sur une frange importante de sa majorité.  Dès lors qu’il a largement brûlé ses vaisseaux à gauche, il aura besoin de ce centre droit pour gouverner après 2022 en cas de réélection. L’émergence d’un centre droit dominé par Edouard Philippe après 2022 pourrait constituer une source de contestation interne à sa majorité. C’est ce qu’il veut éviter.

Les voix des électeurs de centre droit pouvant hésiter entre Valérie Pécresse et Emmanuel Macron / Edouard Philippe pourraient-elles être déterminantes pour la présidentielle, au premier puis au second tour ? 

Jean Petaux : Je viens, pour partie, de vous répondre. Mais ce ne sont pas les seules voix qui vont compter. Ce premier « lieu » d’affrontement de la campagne présidentielle est peut-être le « terrain » le plus traditionnel d’une campagne présidentielle : convaincre, après avoir rassemblé les « siens » (cela relève du principe d’évidence et va « sans le dire »… encore qu’il n’est pas inutile de le « redire » tant, dans le passé certains candidats ont oublié ce « premier commandement électoral »), convaincre donc la frange « mouvante » de l’électorat, celle du centre-doit ou du centre-gauche capable de « faire la différence » au second tour, c’est une première loi d’airain. Sarkozy a su rallier ces électeurs en 2007, en pratiquant tout à la fois une ouverture sous forme de « mercato » et de « débauchages individuels » (exactement sur le modèle de Mitterrand en 1988). Hollande l’a aussi très bien  pratiqué en 2012, même s’il a su faire une entrée en campagne par la « porte de gauche », il s’est efforcé de ramener à lui les électeurs qui s’étaient portés sur Bayrou au premier tour. Et comme celui qui allait être élu en 2012 est, sans aucun doute, un des plus malins et un des plus fins politiques, quand il n’est pas victime de ses propres stratégies trop sophistiquées, il a su aussi, avec une ou deux propositions de mesures fiscales « cosmétiques » et destinées à « faire de gauche », faire voter « utile » (comprendre « pour lui ») des électeurs que le discours politique de Jean-Luc Mélenchon séduisait prioritairement. Donc, à côté de l’électorat de centre-droit, il existe un électorat de centre-gauche, qu’aucune offre politique actuellement, ne séduit. Sinon Anne Hidalgo, officiellement investie par le PS, occuperait ce créneau-là et ne « plafonnerait » pas à 3% des intentions de vote. Sur le flanc gauche de la majorité présidentielle, la structuration d’une formation politique autour d’Olivier Dussopt et de quelques ministres n’a pas vraiment été prise au sérieux. En tous les cas elle n’a rien montré de « conséquent ». Il y a donc, clairement, un vide à combler ici. Ce n’est pas Christiane Taubira qui n’a ni programme ni troupes qui est en mesure de le faire. Les 10% du marché électoral présidentiel qui se « baladent » ici ne devraient pas rester sans « prétendant au rachat »… Macron est encore le mieux placer pour les récupérer. Dernier « gisement » électoral : les abstentionnistes et les jeunes. Si l’on constate, au fil des sondages, qu’Emmanuel Macron n’est pas du tout en retard sur ses concurrents, auprès de la frange la plus jeune de l’électorat, c’est bien en direction des abstentionnistes que se trouvent, d’ores et déjà, celles et ceux qui sont les plus déçus de son mandat. Sans se résoudre à rejoindre d’autres candidats, même « disruptifs » par rapport à lui, ces électeurs l’ont abandonné. C’est donc à eux, peut-être en priorité, qu’Emmanuel Macron devrait proposer un « retour dans le jeu citoyen ».

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Maxime Tandonnet : Le véritable enjeu central pour Valérie Pécresse est de parvenir au second tour donc de devancer Mme le Pen. Si elle réussit, ses chances de l’emporter sur Macron au second tour sont très élevées : elle constituera un pôle de ralliement compatible avec un vaste éventail de l’électorat, allant de la gauche à la droite radicale, dont l’objectif commun sera d’en finir avec la présidence Macron. Au premier tour, Mme Pécresse a peu de chance de mobiliser en sa faveur l’électorat le Pen ou Zemmour qui soutiendra son champion. L’enjeu pour Valérie Pécresse est de faire le plein des voix de droite et de centre-droit, donc de reconstituer le « vote Fillon » de 2017 pour atteindre un seuil de 20% qui lui permettrait de se situer devant Mme le Pen, sous réserve qu’Eric Zemmour puisse maintenir sa candidature. La reconquête de cet électorat de centre-droit perdu, en parti rallié à M. Macron, est ainsi vitale pour parvenir à cette fin. L’expérience montre que c’est tout à fait possible.

Quelles raisons idéologiques et stratégiques, dans ce que l'on connait de la culture politique des élus et électeurs de centre-droit, pourrait faire pencher la balance dans un camp ou dans l'autre ? 

Jean Petaux : Si l’on se réfère aux catégories classiques de la droite, car avant d’être « du centre » les électeurs de « centre-droit » sont quand même « de droite », on peut mettre en avant plusieurs traits importants qui structurent leurs représentations politiques et leur vision du monde. Sur la question sécuritaire et identitaire : ils ne sont ni obsédés par l’ordre ni penchés sur le nombril de la France pour savoir dans quel état il erre ?.... Ce sont ce que l’on appelle des « anywhere » et non pas des « somewhere ». Au plan économique ils mettront en avant la réussite individuelle et entrepreneuriale. Si l’Etat n’est pas rejeté dans sa totalité, comme chez les néo-libéraux par exemple ou comme chez les « libertariens » inspirés par leurs cousins d’Amérique du Nord, il doit se limiter à ses grandes fonctions régaliennes et peut intervenir dans le champ économique quand les circonstances l’y obligent (c’est d’ailleurs le cas avec les « effets sociaux » des mesures de lutte contre la pandémie de Covid-19). Plus de justice fiscale n’est pas, pour eux, une priorité, tant il est vrai qu’ils considéreront vite que l’Etat « s’engraisse sur leur dos » en rémunérant une armée de fainéants que l’on nomme « fonctionnaires ». Au plan social toujours on trouvera dans leurs rangs beaucoup plus d’adeptes du « travailler plus pour gagner plus » ou encore de « travailler plus longtemps » pour sauver le régime de retraite par répartition tel qu’il fonctionne depuis 1945. Mais à la différence d’électeurs plus à droite sur l’échiquier politique, ces citoyens qui se positionnent eux-mêmes au centre-droit, ne seront pas favorables à la mise en place d’un régime par capitalisation, à l’américaine. Quant aux choix sociétaux, on les identifie bien : favorables à l’autorisation de l’IVG en 1974-1975, ils ont soutenu (sans le crier sur les toits) le PACS en 2000 et le « mariage entre personnes du même sexe » en 2013. La PMA ne les choque pas quand la GPA les interpellent essentiellement sur la question du statut du corps de la femme. On ne peut pas dire qu’ils soient, à l’allemande ou la belge, sensibilisés aux thématiques environnementales et écologiques, mais, pour autant, parce qu’ils sont à l’écoute des évolutions de la société, en particulier des générations qui les suivent, celle de leurs enfants et surtout de leurs petits-enfants, on constate qu’ils intègrent de plus en plus les fondamentaux de la lutte contre le dérèglement climatique, surtout quand ils vivent dans des métropoles ou à Paris, auquel cas on les voit ressembler de plus en plus aux « Bobos », de gauche côté cœur, de droite côté portefeuille… De centre-droit ils migrent vers le centre-gauche. Pas certain que cela refroidisse la banquise, mais cela explique que les élus de centre-droit adoptent de plus en plus des « pratiques » « militantes » que l’on pensait réservées aux élus se déclarant « de gauche » : signatures de pétition, mobilisations citoyennes à la tête de leurs collectivités territoriales. Tout cela n’est pas seulement guidé par une forme d’opportuniste ou par un cynisme motivé par « je suis leur élu, je dois les suivre ». Il arrive souvent que les représentants calquent leurs conduites publiques et politiques sur celles des représentés.

Maxime Tandonnet : L’équation n’est pas évidente à résoudre. Valérie Pécresse est comme souvent à droite, tenaillée entre le centre droit orléaniste, libéral et européen, et une droite plus gaullo-bonapartiste, souverainiste et étatiste. Elle est obligée d’opérer une synthèse qu’elle le veuille ou non pour éviter une fuite de son électorat potentiel vers M. Macron et une autre vers Mme le Pen ou Eric Zemmour. La grande force de Nicolas Sarkozy était de transcender ce clivage par son charisme. Pour Mme Pécresse pencher d’un côté ou de l’autre pourrait lui être fatal. Tenir un discours souverainiste ou de prise de distance avec Bruxelles (comme le fit un temps Michel Barnier) risque de lui aliéner une large partie de son électorat de centre droit sans convaincre pour autant l’électorat d’Eric Zemmour ou Mme le Pen. Donc cela l’exposerait au risque de ne pas effectuer la percée nécessaire de premier tour. Il lui faut être très pragmatique comme elle sait si bien le faire comme présidente de région, éviter les sujets qui déchire son électorat, rassembler sur des thèmes consensuels à droite et au centre tel que le retour de la confiance, la lutte contre la fracture entre le peuple et les élites, le renouveau de la démocratie, de l’école et de la culture française, la sécurité et la maîtrise de l’immigration.

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