Emmanuel Macron, un président tellement "monde d’avant" ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron s'exprime lors d'une réunion de travail 500 jours avant les Jeux olympiques et paralympiques d'été de Paris 2024, le 14 mars 2023.
Emmanuel Macron s'exprime lors d'une réunion de travail 500 jours avant les Jeux olympiques et paralympiques d'été de Paris 2024, le 14 mars 2023.
©LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Piège de la réforme des retraites

Lors de la pandémie de Covid-19, Emmanuel Macron voulait préparer et anticiper le "monde d'après". Pourquoi le chef de l'Etat n'arrive pas à s'emparer des défis de demain comme l'intelligence artificielle, la géopolitique ou les conséquences économiques des hausses de taux massives des banques centrales ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Atlantico : Lors de la pandémie de Covid, Emmanuel Macron avait prévu le "monde d'après". Alors que la réforme des retraites est le cheval de bataille de ce début de second quinquennat, le plus jeune président de la Cinquième République se révèle-t-il finalement être un président du "monde d'avant" ? 

Christophe Bouillaud : En tout cas, pour ce qui concerne la présente réforme des retraites, Emmanuel Macron reste dans la continuité des réformes précédentes. Comme l’on a pu le dire, il s’agit d’une simple réforme « paramétrique ». On retarde l’âge minimum de départ en retraite de deux ans, et on allonge encore la durée de cotisation pour avoir droit à une retraite à taux plein. Ce n’est pas d’une originalité folle. On supprime, sans grande logique d’ailleurs, des régimes spéciaux. On fait semblant de s’intéresser à l’emploi des seniors, uniquement dans les grandes boîtes en plus renforçant par là une inégalité très grave entre salariés. On prétend s’intéresser au départ en retraite des « carrières longues ». En somme, rien de bien innovant.

Le Président et ses proches oublient trois aspects, justement lié au « monde d’après ». D’une part, comme le disent tous les sociologues ou psychologues du travail, les conditions de travail se sont en fait durcies en France pendant les dernières décennies. C’est pour cela que les gens sont si intéressés par la perspective d’une retraite le plus tôt possible. D’autre part, les actifs âgés sont éjectés sans ménagement du marché du travail. Cela possède aussi sa logique dans l’évolution même des firmes, en raison de l’accélération des changements dans les manières de produire.  En outre, entre les effets du réchauffement climatique, ceux de la détérioration du système de santé faute de soignants,  les conséquences de modes de vie bien peu sains des générations montantes, et les éventuels effets à long terme de la pandémie de COVID, est-il bien raisonnable de prévoir, encore en 2023, une continuation de la tendance au rallongement de la durée de vie des Français ? Rappelons qu’aux Etats-Unis la baisse de l’espérance de vie a commencé. Avec une canicule majeure tous les étés, je ne suis pas sûr que l’on ait beaucoup de centenaires à terme.

Du coup, faire cette réforme-là en début de quinquennat et surtout de cette manière-là fige le Président Macron dans le passé des politiques publiques.

Où sont restées figées les logiques intellectuelles d'Emmanuel Macron ?

D’après ce qu’on peut en percevoir de l’extérieur à l’aune de ses décisions, le fond de sa pensée économique et sociale est la reprise d’un néo-libéralisme, tel qu’enseigné dans les années 1990, qui ne s’affiche pourtant pas publiquement comme tel. Les individus doivent faire leur propre salut uniquement par l’accès au travail, quel qu’il soit. Tout travail rémunéré est acceptable, quel que soit le taux de sa rémunération. C’est en somme très thatchérien comme vision. Bien sûr, Macron n’a pas supprimé le SMIC et ses règles d’indexation sur l’inflation, mais toute son action revient à faire en sorte que ce dernier augmente le moins vite possible pour que tout le monde soit employable. Ses gouvernements sont alors obligés de compenser cet appauvrissement à travers toute une série d’aides publiques aux revenus des personnes les moins bien payées : Prime pour l’emploi, et tous ces « chèques » (énergie, etc.) dont j’avoue avoir un peu perdu le fil à mesure qu’ils s’accumulaient. Il doit compenser parce que, du côté du consommateur, les prix restent élevés en France.

En effet, contrairement à l’authentique visée néo-libérale, qui laisserait vraiment faire les marchés et se contenterait d’y garantir le libre jeu de la concurrence, Macron semble être dans son action présidentielle le point focal de tous les grands groupes économiques, de tous les lobbys. Plus vous êtes déjà puissant économiquement, plus vous aurez l’oreille et l’appui du Président et de son gouvernement. Pensez par exemple aux concessions autoroutières. Une magnifique perte de pouvoir d’achat pour les Français et une rente sans pareille. On ne peut pas dire que Macron ait fait grand-chose pour résoudre ce problème.

Au total, Macron semble complètement aveugle au caractère asymétrique de son néo-libéralisme : organisation par l’Etat de la struggle for life pour les salariés ou aspirants salariés au nom d’un salut par l’emploi ;  et indifférence  envers - ou appui à - toutes les rentes, monopoles, abus des grands acteurs économiques. Le symbole de ce hiatus, c’est tout de même la légion d’honneur donné à Jeff Bezos, le patron d’Amazon, en plein conflit sur les retraites. En effet, s’il y a bien un personnage dans le capitalisme mondial qui symbolise les nouveaux monopoles, c’est bien lui. 

Comment expliquer que le président de la République, qui s'est vendu comme un renouveau politique ne soit rien capable de proposer d'autres qu'une réforme des retraites, voulue par LR depuis des années, et, finalement, une réforme de 1995 en moins ambitieuse ? 

A partir du moment où la réforme plus structurelle prévue en 2019-2020 était abandonnée, il ne restait plus que deux solutions : soit adopter vite fait mal fait la réforme « paramétrique » bête et méchante qui aura au moins le mérite de rassurer les marchés financiers ; soit réfléchir vraiment. 

Or je soupçonne que ni Emmanuel Macron ni ses partisans n’avaient vraiment pas envie d’une vraie réflexion nationale sur les retraites. Cela débouchait trop facilement sur la question du travail, sur la question des inégalités, sur celle des parcours de vie, autant de question que les macronistes ne veulent absolument pas se poser. Cela ne convient pas du tout, ni à leur électorat, ni aux groupes économiques qu’ils favorisent.

Par ailleurs, Macron a réussi le tour de force en 2016-2017 de se présenter comme un renouveau, alors que tout observateur un peu averti pouvait bien comprendre qu’il ne faisait que reprendre des propositions de réforme déjà depuis longtemps dans les tiroirs de différents ministères. C’est largement la faute des médias de l’époque de ne pas avoir su pointer ce hiatus entre un discours de « Révolution », pour reprendre le titre de son livre, et la réalité de ses propositions. La naïveté d’une bonne part de l’électorat a fait le reste. Il reste que, vu cet ancrage dans des propositions déjà bien amorties, Emmanuel Macron n’était guère en mesure d’innover vraiment.

Pourquoi le Président n'arrive pas à s'emparer des défis de demain, que ce soit l'intelligence artificielle, la géopolitique bouleversée par le retour de la guerre ou même les conséquences économiques des hausses de taux massives des banques centrales ? 

Bonne question : pourquoi Emmanuel Macron donne l’impression d’être une sorte d’Hibernatus des années 1980 ? J’aurais envie de répondre méchamment, parce qu’il n’a sans doute aucune des qualités intellectuelles qu’on a pu lui prêter à un moment. Rappelez-vous. Il fut un temps où des thuriféraires de sa personne n’hésitaient pas à le présenter en « Président-Philosophe », l’élève du grand Paul Ricoeur qui serait finalement devenu Président. Le risible débat entre le Président et des intellectuels lors de la crise des Gilets jaunes fut l’enterrement de toute première classe de cette prétention. 

En effet, Emmanuel Macron, ce n’est, si j’ose dire, qu’une version humaine d’une intelligence artificielle de première génération. En effet, comme co-rapporteur du rapport Attali de 2007, il s’est contenté de synthétiser, certes brillamment,  tout ce qui trainait dans les tiroirs des penseurs néo-libéraux de l’époque. Comme son mentor de l’époque, le dit Jacques Attali, c’est un pur synthétiseur, pas du tout un penseur original, ni même un penseur. Ce n’est pas un de ses politiciens qui ont marqué l’histoire de France par la profondeur de leur réflexion politique, ni un Jaurès, ni un Blum, ni un De Gaulle, ni même un Giscard. Personne ne lira jamais ses œuvres complètes – sauf de malheureux doctorants en histoire politique obligés de comprendre le désastre qu’il aura été pour la France.  Il n’a pas non plus, comme une Margaret Thatcher, de vraie carrière politique derrière lui quand il arrive aux affaires en 2017, lui ayant permis de se créer de vraies convictions, et de se battre une fois arrivé au pouvoir pour les mettre en œuvre. Ses mémoires ne risquent pas d’être un best-seller.

Malheureusement pour nous, le dit Macron se croit brillant, croit pouvoir tout résoudre mieux que les spécialistes, un Pic de la Mirandole devenu Président. Du coup, il a visiblement tendance à ne pas écouter ces derniers quand ils l’avertissent d’un danger – l’exemple de la relation avec Vladimir Poutine est paradigmatique. Nos diplomates l’avertissent, il ne les croit pas, et il se plante magistralement. A cause de cet aspect, il n’est pas en état d’apprendre vraiment, de renouveler sa pensée. Il a fini par croire que ses capacités d’acteur et de causeur hors pair, qui sont grandes à vrai dire, suppléaient à tout. Ce n’est pas Mitterrand se faisant humblement et discrètement étudiant en économie dans les années décisives de son premier septennat. 

Enfin, il est sans doute privé des meilleurs esprits qui pourraient l’aider, par le fait que la plupart des cadres politiques de la macronie ont été recrutés parmi les plus médiocres de leurs camps de départ respectifs. Personne ne se risquera sérieusement du coup à dire qu’un macroniste a eu une seule pensée un tout petit peu originale. Il vaut mieux d’ailleurs pour sa survie en macronie. En effet, on voit bien ce que cela a donné avec Edouard Philippe, mis de côté en 2020, alors qu’un Le Maire ou un Darmanin est toujours là. Nous fonctionnons tout de même depuis 2017 avec une majorité de ministres ectoplasmiques sur le plan intellectuel. Comme Emmanuel Macron, ils semblent tous incapables d’une quelconque réflexion personnelle un peu élaborée. Ils se contentent de laisser divaguer leur intelligence artificielle de première génération. 

Vu les rapports d’allégeance qu’exige Emmanuel Macron de ses Ministres, aucun ne peut donc le suppléer intellectuellement, et, de ce fait, nous sommes condamnés sous leur médiocre direction à naviguer à vue. Il ne reste plus qu’à espérer que rien de trop grave n’arrive d’ici 2027.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !