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Emmanuel Macron saura-t-il être l’homme de la disruption constructive... ou juste celui des clashs stériles ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Disruptif ?

Un article du New York Times rapportait ce dimanche les propos sévères qu’aurait tenus Angela Merkel à Emmanuel Macron en lui reprochant de « casser la vaisselle » dans l’Union en la contraignant ensuite à tout réparer.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Lors de la réunion des chefs d'Etat de l'OTAN, la chancelière allemande aurait dit à Emmanuel Macron qu'elle comprenait qu'il aime la pensée disruptive, mais qu'elle en avait assez de devoir recoller les morceaux de ce que Macron casse, et que cette vision sur le Président français serait partagée par d'autres pays européens. Angela Merkel faisait référence à la "mort cérébrale" de l'OTAN évoquée par son homologue français. Dans quelle mesure peut-on considérer qu'Emmanuel Macron mène une politique provocatrice à l'International ? 

Christophe Bouillaud : Il ne me semble pas qu’Emmanuel Macron cherche la provocation pour la provocation. Je ne vois pas ce qu’il aurait à y gagner en termes de stature internationale. Par contre, il se met dans la position d’un Cassandre qui rappelle à tous ses partenaires, européens en particulier, les nombreuses difficultés qui sont devant eux. Sur le fond, tout le monde voit bien parmi les dirigeants européens, informés par leurs services diplomatiques, que les Etats-Unis de Donald Trump ne sont plus vraiment ceux du Général Eisenhower, ni même ceux de Clinton, tout le monde voit bien aussi que la Turquie d’Erdogan se comporte en allié peu sûr, pour ne pas dire plus, tout le monde voit bien aussi que les intérêts géopolitiques des différents Etats de l’Union européenne ne sont pas exactement les mêmes, par exemple face à la Russie ou à la Chine.

Simplement, la plupart des dirigeants européens semblent penser qu’il est urgent d’attendre, de voir comment la situation va se décanter : après tout, ni Trump, ni Erdogan ni même Poutine ne sont immortels, des choses peuvent encore changer en mieux lorsqu’ils auront quitté le pouvoir dans leurs pays respectifs. Emmanuel Macron souhaite rompre avec cette attitude européenne qui consiste à repousser à plus tard la résolution des problèmes apparemment insolubles sur le moment, attitude attentiste dite « kick the can down the road » en jargon anglo-américain de science politique,  qui vise essentiellement à éviter d’envenimer les choses, à calmer le jeu. Et, donc comme tout Cassandre, Emmanuel Macron est mal vu de ce fait par ses partenaires.

Il est urgent de ne pas discuter des choses qui pourraient fâcher, ou éventuellement de le faire discrètement dans les profondeurs des coulisses des relations intergouvernementales. 

Que peut faire Emmanuel Macron dans ce contexte ? Peut-il mettre à profit cette tension qu'il génère pour faire bouger l'Europe, qui n'avance en général qu'à la faveur des crises, ou bien sa propension à casser la porcelaine est-elle vouée à l'échec s'il ne sait que parler et pas transformer les chocs qu'il cause en action ?

Comme il joue les Cassandre, les porteurs de mauvaises nouvelles, la stratégie d’Emmanuel Macron ne peut fonctionner que si des événements graves finissent par lui donner raison. Pour l’instant, sa tendance à « casser la porcelaine », comme l’aurait dit Angela Merkel selon le New York Times, ne peut que lui nuire. Personne n’a envie d’affronter à froid des tels défis : fin de la garantie américaine de sécurité, éloignement de la Turquie, définition de l’ennemi principal : la Russie, la Chine ou les islamismes de toute nature ?

En effet, sur ces trois grandes questions, les dirigeants européens sont divisés, les opinions publiques auxquelles ils rendent compte n’ont pas la même vision des urgences. En fait, le récent entretien donné au Monde par le futur Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, membre de la nouvelle Commission européenne, Joseph Borrell ne dit pas des choses très différentes d’Emmanuel Macron : l’Union européenne a encore beaucoup de travail pour définir ses intérêts stratégiques communs. 

Cet épisode est-il symptomatique d'un désamour du couple franco-allemand ? Emmanuel Macron peut-il abîmer durablement la relation franco-allemande, voire l'Union Européenne ?

Cet épisode témoigne peut-être surtout de l’énervement d’une professionnelle de la politique, fatiguée par des années de mandat difficiles à la tête de son propre pays, face à un dirigeant français faisant preuve d’un certain amateurisme. Puisque Emmanuel Macron a bien vu que personne ne répondait vraiment en Europe à ses discours de 2017, en bon professionnel, il aurait dû comprendre qu’il était inutile d’insister et qu’il fallait passer à autre chose. De plus, Angela Merkel se trouve elle-même face à l’évolution compliquée du paysage politique allemand. Elle n’a sans doute pas envie en plus d’avoir à gérer une crise diplomatique au sein de l’Union européenne provoquée par le Président français, résolu à obtenir une réponse positive de ses partenaires. 

Pour ce qui est du couple franco-allemand, il faut d’abord noter que la réconciliation franco-allemande reste à ce jour l’un des récits fondateurs de l’Union européenne actuelle. Personne ne le remet en cause, et l’on continue à accumuler des symboles de cette réconciliation avec le nouveau Traité de l’Elysée signé sous la Présidence Macron. Sur ce fond de réconciliation et de coopération, la relation franco-allemande a toujours été, depuis les années 1950, faite de hauts et de bas, souvent symbolisés pour les grands moments par des couples (De Gaulle-Adenauer, Schmidt-VGE, Mitterrand-Kohl). Les deux derniers présidents français (Sarkozy et Hollande) ne rentreront cependant dans l’histoire de l’intégration européenne que comme le maillon faible d’un couple franco-allemand désormais fortement dominé par l’Allemagne. Le « Merkozy » du temps de Sarkozy fut ainsi surtout un règne sans partage d’Angela Merkel et de son Ministre de l’économie de l’époque, et Hollande fut des plus inexistants. Il est possible que les relations personnelles s’enveniment désormais entre Merkel et Macron, parce que ce dernier veut redonner à la France une parité de leadership, ce à quoi, évidemment, Angela Merkel ne souhaite pas s’habituer sur le tard. 

Par ailleurs, même si les relations personnelles entre les dirigeants sont importantes, il reste que les deux pays divergent sur bien des points dans leur appréciation de la situation mondiale, parce qu’ils n’ont pas les mêmes contraintes de fait. Par exemple, la France ne peut pas se désintéresser de ce qui se passe au Sahel et en Afrique de l’Ouest, ou encore dans le Pacifique (avec la Nouvelle Calédonie, la Polynésie) ou l’Océan Indien (Mayotte, la Réunion). Pour montrer sa bonne volonté, l’Allemagne se force à le faire pour le Sahel, mais sans avoir complètement pris conscience de l’enjeu. Plus généralement, les sociétés allemandes et françaises n’évoluent pas exactement de la même manière : l’Allemagne connait par exemple peu le terrorisme islamiste autochtone, alors même que de nombreux habitants du pays sont désormais musulmans (d’origine turque), mais notre voisin est confronté à un terrorisme néo-nazi des « Allemands de souche » qui infiltrerait jusqu’à ses propres forces armées et services de sécurité ; inversement, la France est, avec la Belgique, le pays d’Europe le plus frappé par un terrorisme islamiste venu des tréfonds de la société française, comme vient de le montrer encore une fois la grande étude de la Fondapol sur le terrorisme dans le monde depuis 1979. 

Au-delà du cas franco-allemand, force est de constater que 70 années d’intégration européenne par le haut et par l’économie n’ont pas réussi à faire une société européenne unique, d’où les difficultés pour agir en commun face aux défis du monde dangereux qui se profile. 

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