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Emmanuel Macron prononce un discours à Nouméa le 26 juillet 2023.
Emmanuel Macron prononce un discours à Nouméa le 26 juillet 2023.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Et en même temps

Emmanuel Macron a accordé un entretien au Figaro Magazine en marge de son voyage dans le Pacifique. Le chef de l’Etat revient notamment sur les questions de sécurité et d’immigration.

Carlyle Gbei

Carlyle Gbei

Carlyle Gbei est journaliste politique pour la radio fréquence protestante. Presentateur du podcast la Ve République, mode d'emploi et Nos présidents avec Maxime Tandonnet. Contributeur pour la revue politique et parlementaire .

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Atlantico : Emmanuel Macron a donné un entretien à des journalistes du Figaro Magazine. Quels sont les points saillants de cet échange ?

Philippe d’Iribarne : L’essentiel, dont le reste découle, tient à l’évolution de sa compréhension de la société française, et de manière plus large du fonctionnement des sociétés. On peut saluer plus de réalisme par rapport à ses prises de position antérieures, quand elles conduisaient à voir la France comme dépourvue d’une culture propre ou identifiaient la nation à la guerre (son discours de Strasbourg). Les propos, osés dans le contexte idéologique actuel, sur le rôle des enfants des familles monoparentales dans  les émeutes de juillet traduisent une volonté de voir la réalité en face. Mais bien du chemin lui reste à parcourir. On est encore dans le déni sur les sources de la fracturation de la société.

Carlyle Gbei : Après son interview réalisée en triplex depuis Nouméa le 24 juillet aux 13H  de TF1 et France 2, le chef de l’Etat s’est confié à nouveau chez nos confrères du Figaro Magazine afin de dresser plus en profondeur le bilan des violences urbaines qui ont frappé le pays. Emmanuel Macron a également dressé sa vision de la crise migratoire que traverse le pays avant de décliner sa stratégie politique pour relancer son quinquennat à la rentrée.

En cultivant encore et toujours le en même temps, notamment sur la question migratoire, le président ne finit-il pas par dire tout et son contraire ?

Philippe d’Iribarne : Le point aveugle le plus net de son discours relève des rapports entre la nation, « faire nation », et l’immigration. Il n’est pas question, dans l’entretien, de l’immense problème de ceux que l’on désigne par l’expression « Français de papier », qui ont la nationalité française, mais ne se sentent nullement citoyens français, voire pour qui la France est une terre de conquête. Tout ce qui a été mis en lumière par nombre de travaux tels ceux publiés par Georges Bensoussan dans Les territoires perdus de la République, Hughes Lagrange dans Le déni des cultures  ou Bernard Rougier dans Les territoires conquis de l’islamisme paraît ne pas exister. Quand Emmanuel Macron affirme que la France a toujours été un pays d’immigration, il fait comme si toutes les immigrations étaient équivalentes, si le chemin à parcourir par un Africain pour devenir un citoyen à part entière, avec tout le renoncement à sa culture d’origine que cela suppose, n’était pas différent de celui d’un Espagnol, un Belge, un Italien ou un Polonais, qui retrouve en France une grande part de sa culture d’origine, ne serait-ce que la référence fondamentale à la figure même du citoyen. Le Président appelle à l’unité, parle un peu vaguement d’intégration, mais sans aborder réellement ce que cela suppose. De plus, quand il parle de l’autorité dans la famille en général, il fait comme si il n’y avait pas de problème spécifique majeur d’autorité des mères sur les garçons dans les familles maghrébines.

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Carlyle Gbei : C’est vrai qu’on retrouve dans cette interview l’identité du macronisme. Le président continue de faire un jeu d’équilibriste. Sur les émeutes par exemple, il veut responsabiliser les familles des quartiers populaires dans l’éducation des enfants tout en évitant de couper le robinet des allocations pour ceux qui manqueront à leur devoir. Son approche sur ce sujet reste ambiguë. Dans le feu de l’action, on le voyait plus actif, plus autoritaire. Il donnait  même l’impression d’effectuer un virage à 360 degrés à sa droite. L’émotion retombée,  le macronisme renait de ses cendres. Le « en même temps » demeure sa marque de fabrique.

Derrière les grandes déclarations du président dans cette interview, y-a-t-il vraiment de la substance ?

Philippe d’Iribarne : Il y a une certaine substance dans les idées, comme la place donnée au fait que l’ordre ne peut régner à défaut de « faire nation » ou que l’encadrement des jeunes ne peut être seulement le fait de l’Etat et des institutions, mais relève d’abord des familles. Mais on ne voit pas trop de substance dans les projets concrets d’action. Quand, à propos de la répartition de l’immigration sur le territoire, les familles ukrainiennes sont prises en exemple, comme si c’était elles qui faisaient problème, on croit rêver. On ne voit pas prendre en compte le fait que la diffusion des émeutes de juillet sur le territoire a accompagné la diffusion des populations issues de l’immigration extra-européenne.

Carlyle Gbei : Il faut lire cet entretien avec beaucoup de recul. Sur la question de l’immigration, Emmanuel Macron considère que « toute réforme qui nous fait sortir de l’Europe est inefficace, parce que le problème est européen et parce que nous ne sommes pas une île ».  C’est une analyse lucide et réelle. Ce problème nécessite une véritable initiative des vingt-sept, une politique claire et cohérente, une simplification commune des procédures et une étroite collaboration. C’est dommage que Les Républicains dans leur désir de radicalité permanente abordent le sujet de manière utopique.  Sur les violences urbaines, le président reconnait un problème d’intégration. Une Immigration sans une meilleure intégration conduit au communautarisme qui est un danger pour la République. Maintenant une fois qu’on a dit ça, qu’est-ce qu’on fait ?

Après le chef de l’Etat nous a servi du macronisme avec souvent des expressions fleuves mais bon, il y avait quand même de la substance, des déclarations qui peuvent donner lieu à des débats.

«Je vais ­prendre à la fin du mois d'août une initiative politique d'ampleur», annonce-t-il. Le conseil national de la refondation avait déjà de grandes ambitions, qui ne sont pas traduites concrètement. Est-on dans le même cas de figure ?

Philippe d’Iribarne : Nous verrons bien.

Carlyle Gbei : Comme il a tendance à le dire souvent, il faut arrêter avec la politique fiction. Son initiative politique destinée à réunir les forces politiques constituant son « arc républicain » a de très faibles chances d’aboutir. A l’approche des sénatoriales et surtout à l’orée des européennes, je ne suis pas certain que son opposition ait envie de converger avec lui. Après, attendons de voir pour juger.

La rupture qu’il cherche à incarner n’est-elle que sur la méthode et finalement pas sur le fond?

Philippe d’Iribarne : Peut-on vraiment les séparer. L’idée d’associer les oppositions, en excluant les extrêmes, au projet de faire nation relève d’une évolution de méthode. Mais est-il possible de la mettre en œuvre si il n’y a pas une évolution de fond conduisant à mieux accepter de voir les éléments de réalité sur lesquels les oppositions insistent et dont, pour  le moment, Emmanuel Macron n’a pas l’air de vouloir tenir compte ?

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