Elisabeth Borne veut s’occuper des salaires et rémunérations : voilà ce que l’Etat peut faire. Et ce qu’il ne faut SURTOUT pas qu’il fasse<!-- --> | Atlantico.fr
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Elisabeth Borne et Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle.
Elisabeth Borne et Emmanuel Macron lors d'une cérémonie officielle.
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Pouvoir d'achat

A l’issue de la conférence sociale en présence des partenaires sociaux, Elisabeth Borne a confirmé ce lundi la mise en place prochaine d’un « Haut conseil des rémunérations ».

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint- Paul est un économiste spécialiste du marché du travail.

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Atlantico : La Première ministre, Élisabeth Borne, est la cheffe d’orchestre de la conférence sociale consacrée aux bas salaires, par temps d’inflation. Quels sont les objectifs en l’état du gouvernement ?

Gilles Saint-Paul : Il faut prendre en compte les conséquences économiques de politiques non-économiques. Les mesures sanitaires imposées à toute la population ont coûté cher, ainsi que la mobilisation face à la Russie (inflation), ou encore la transition énergétique, cela se traduit par une tonne de contraintes et de normes, inhibant la compétitivité des entreprises.

La baisse du pouvoir d’achat est le résultat d’un agenda qui fait passer l’économique au second plan par rapport au politique. La conférence est d’après moi du théâtre politique afin de sauver les meubles.

Michel Ruimy : Cette conférence sociale a été annoncée, fin août, par Emmanuel Macron à l’issue des Rencontres de Saint-Denis avec les principaux chefs de partis politiques. Bien que son champ soit restreint - elle porte sur les carrières et les branches situées sous le salaire minimum -, elle est censée relancer le dialogue entre l’exécutif et les partenaires sociaux alors que le poids des syndicats diminue même si les mobilisations massives contre la réforme des retraites se sont traduites par un regain du nombre des adhésions (En 2021, seules 11,2% des entreprises de 10 salariés ou plus disposaient d’au moins un délégué syndical, représentant 57,5% des salariés).

Si le gouvernement n’a, pour l’heure, quasiment rien laissé filtrer, cette conférence est l’occasion pour les syndicats d’exposer leurs principales propositions qu’ils ont déjà pu défendre, vendredi dernier, lors du mouvement de grève : combattre l’austérité en améliorant le pouvoir d’achat et les déroulés de carrière dans le secteur privé par la négociation collective, revaloriser les salaires en luttant conte le temps partiel subi et les contrats courts et renforcer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

La prudence est de mise pour le gouvernement. Sur la question des salaires, la cheffe du gouvernement envisagerait la mise en place d’un « Haut Conseil des rémunérations », en vue de redynamiser la négociation dans certaines branches qui n’ont pas revu leur grille de rémunération depuis plus de vingt ans. Cette nouvelle instance sera chargée d’éclairer la situation et de proposer des réponses même si la CGT souhaite des mesures contraignantes comme l’indexation des salaires sur les prix, proposition qui devrait être écartée par le gouvernement (En France, seul le Smic est indexé sur la hausse des prix). Le gouvernement souhaite davantage inciter, impulser, suivre les avancées plus que de mettre la pression sur les entreprises

Par ailleurs, n’oublions pas d’une part que, concernant le thème de l’égalité femmes-hommes, l’exécutif s’est fait épingler, mi-septembre, par la Cour des comptes. Élisabeth Borne propose aux partenaires sociaux de lancer une concertation pour revoir l’index Pénicaud, qu’elle juge perfectible. D’autre part, cette conférence se tient sur fond de profond désaccord entre les partenaires sociaux et le gouvernement sur les régimes des retraites complémentaires du privé (Agirc-Arrco) et de l’assurance-chômage (Unedic).  

Les interventions de l’État sont globalement inefficaces voire contre-productives. De quelle manière l’État a-t-il agi négativement sur les salaires d’un côté et les rémunérations de l’autre ? L’État peut-il se contenter de s’occuper de la différence entre brut et net en agissant sur les cotisations (mais on a atteint les limites de baisses de charges sur les bas salaires qui deviennent même toxiques aujourd’hui) ?

Michel Ruimy :Même si le climat est apaisé, la grande amertume des partenaires sociaux les incite à revendiquer de fortes revalorisations de salaires face à l’inflation. En effet, alors que sur le plan social et sur le plan économique, les ménages ont de plus en plus de difficultés à faire face à leurs dépenses, le gouvernement a un discours de rigueur en favorisant une politique de l’offre via, par exemple, des exonérations fiscales accordées aux entreprises. Ces mesures (prime d’activité, certaines exonérations de cotisation…), qui sont des « trappes à bas salaires », peuvent conduire à des effets de seuil où le salarié sort du dispositif d’aide dès lors qu’il accepte une promotion ou une augmentation.

Le problème des rémunérations est, en fait, le tassement des grilles des salaires. La vraie question n’est pas de débattre sur le pourcentage de hausse de salaire qui pourrait être accordé mais celle des conditions de vie : comment vivre aujourd’hui, en France, avec 1 383 euros par mois nets (Smic net) et même avec plusieurs années d’ancienneté, le salarié reste au salaire minimum. L’employé n’a aucune perspective sauf le désespoir.

Gilles Saint-Paul : Le salaire dépend de la productivité de l’économie, donc si vous mettez des entraves, cela va faire baisser la productivité, laquelle ne préoccupe plus les politiques. Ce n’était pas le cas il y a des décennies lorsqu’on produisait des centrales nucléaires, des autoroutes, etc. A l’époque, la productivité était la principale préoccupation des gouvernements.

Par exemple, la baisse des charges sur les bas salaires n’est plus une bonne solution. Cela réduit les incitations à sortir de la trappe à pauvreté. Si vous êtes payé au SMIC, l’employeur pourrait vous encourager à faire un BTS et à vous augmenter. Mais s’il vous augmente, il perd l’exonération sur les bas salaires, donc cela crée un cercle vicieux. D’où le fait que beaucoup de gens sont payés au SMIC. La seule vraie bonne politique pour améliorer le pouvoir d’achat est de favoriser la productivité et l’innovation.

Pourquoi a-t-il cru bon d’agir comme ça ?

Michel Ruimy :La construction de l’Union européenne, dont la France est un des états-membres, est d’inspiration libérale. Le gouvernement mène donc une politique économique libérale même si, dans le contexte actuel, l’Etat est très présent. Dans cet environnement - économie de marchés -, l’État ne fixe pas notamment les salaires. En outre, il considère que l’indexation des salaires sur l’inflation menace l’emploi des plus fragiles et des moins qualifiés. Ensuite, en matière du maintien ou non des allègements de cotisations sociales, il ne souhaite pas aggraver la charge des finances publiques - 70 milliards d’euros - alors que l’endettement public est supérieur à 3 000 milliards d’euros.

Quels objectifs l’Etat devrait se fixer pour agir concrètement sur les salaires et les rémunérations ? Que doit faire l'Etat ?

Gilles Saint-Paul : Une bonne partie de l’inflation actuelle serait due à une hausse des marges des entreprises. Le pouvoir de monopole augmente, donc on pourrait donner du pouvoir d’achat à la population en cassant un peu cette spirale.

Quant à toucher aux rémunérations des patrons, cela n’est pas la bonne solution. Cela regarde avant tout le rapport entre eux et les actionnaires. Ce n’est pas en divisant par dix la rémunération des patrons que le pouvoir d’achat des travailleurs va augmenter. C’est une fausse bonne idée. 

Michel Ruimy :La ligne de crête semble abrupte, entre un fort volontarisme politique et des instruments juridiques très complexes qui peuvent se révéler être des épées de bois. Malgré tout, des marges de manœuvre existent sur les chantiers du compte épargne-temps universel, des parcours professionnels et de l’emploi des seniors.

Concernant le compte épargne-temps universel, le risque est de mettre en place une redoutable « usine à gaz ». Néanmoins, cette démarche peut permettre de faire des ponts entre le temps dévolu à la formation et le pouvoir d’achat, en introduisant la possibilité de monétiser la 5ème semaine de congés payés, dispositif qui a été mis en place lors de la crise du Covid et qui pourrait être pérennisé. Il conviendra de se prémunir contre les effets pervers possibles de ce compte épargne-temps universel sur le provisionnement des entreprises, le statut fiscal des sommes ou le recrutement des personnes.

Concernant les négociations de branche, la question de leur réduction est essentielle. Beaucoup de chemin a déjà été fait. Il conviendra de veiller à ce que les acteurs de la négociation collective aient une masse critique suffisante pour faire vivre un dialogue social de qualité qui produise des régulations intelligentes.

Un grand nombre d’instruments pourraient être mis en place pour gérer individuellement les salariés les plus âgés en les maintenant dans l’emploi : des conventions de fin de carrière pourraient permettre de mettre en place des compromis individuels entre salaire / emploi / temps de travail pour maintenir les seniors en activité.

Avec un objectif double : soutenir le pouvoir d’achat des salariés aux rémunérations les plus faibles dans un contexte d’inflation et renforcer l’attractivité de certaines filières, qui peinent à recruter, en vue d’atteindre progressivement le plein-emploi.

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