Egalité des chances : ce que le passé (ou l'étranger) nous apprend sur ce qui marche vraiment<!-- --> | Atlantico.fr
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égalité des chances Emmanuel Macron
égalité des chances Emmanuel Macron
©JEFF PACHOUD / POOL / AFP

Monte-charge social

Emmanuel Macron était en visite à Clermont-Ferrand ce mardi afin de promouvoir l’égalité des chances. Lors de ce déplacement, le chef de l'Etat a fait un certain nombre d'annonces, parmi lesquelles la création d'un internat d'excellence par département.

Joël Hellier

Joël Hellier

Joël Hellier est économiste et enseigne à l'Université de Nantes et de Lille 1. Ses travaux portent sur la macroéconomie des inégalités, l'économie de la mondialisation, l'éducation et la mobilité intergénérationnelle et l'économie du travail.
 

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Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Atlantico.fr : En quoi le regard que l’on porte sur l’égalité des chance impacte l’égalité elle-même ? 

Jean-Philippe Delsol : Bien sûr il faut être attentif à ceux qui n’ont pas leur autonomie, enfants ou adultes handicapés notamment, auxquels la collectivité doit faciliter l’expression de leurs droits. Chaque être humain a, en tant que tel, un droit à l’existence et un droit à être secouru dans les circonstances où malgré lui il en a une nécessité. Ce sont les cas rares où des droits créances se justifient, des droits sur les autres, sur la communauté, pour autant que le créancier n’abuse pas de ses débiteurs. C’est ce que traduit l’égalité des chances offerte à ceux qui n’ont pas les moyens physiques ou mentaux, et financiers, pour leur permettre d’accéder  au niveau des autres. Mais l’égalité des chances est à manier avec d’infinies précautions tant elle recèle de nombreux pièges :

  • L’égalité des chances peut nuire à ceux auxquels elle bénéficierait trop longtemps au point de les infantiliser. C’est pourquoi, par exemple, elle ne devrait être étendue qu’avec beaucoup de précaution et de réserve aux étudiants capables de gérer leur avenir, car il n’est pas anormal que ceux qui ont la chance de pouvoir faire des études fassent des efforts pour y accéder en empruntant ou en travaillant un peu pour payer leurs études qui leur permettront de gagner leur vie mieux que les autres qui n’ont pas eu cette chance.
  • Elle est souvent illusoire car elle fait croire qu’il suffit de plus de moyens et d’argent pour assurer l’égalité de tout avec tous en tout. Mais la nature humaine est diverse comme les capacités et les talents. Ceux qui malgré l’aide qu’on leur accorde ont du mal à réussir leurs examens auront donc toujours tendance à penser qu’on ne leur a pas donné assez et ils militeront pour une politique du « toujours plus » d’argent public ruineuse pour toute la société. Mais surtout ils seront déçus de ne pas obtenir ce qu’on leur avait promis et ils seront aigris.
  • Ils le seront plus encore quand l’égalité des chances aura conduit à une politique de discrimination dite « positive » qui conduit à donner des diplômes au rabais à des gens qui dans la vraie vie seront disqualifiés et gonflés de ressentiment. Une telle politique donnant plus de droits à certaines minorités raciales ou sexuelles ou à certaines catégories plus pauvres de façon à imposer l’égalité promet une égalité factice, artificielle et dès lors méprisée
  • L’égalité des chances à l’école conduit inexorablement depuis des décennies à une égalité par le bas et à l’abandon du suivi des enfants livrés à eux-mêmes en dehors des heures de cours souvent de plus en plus rares.  La perversité est à son comble chez ceux qui veulent étendre cette égalité par le bas à toute la société en accordant à tous un revenu dit universel, comme une  manne tombant du ciel étatique, en leur faisant croire que le travail n’est pas  une nécessité.

L’égalité des chances fait toujours courir le risque que la société soit toute entière déresponsabilisée, comme l’est une grande partie de la France d’aujourd’hui qui ne paye plus elle-même ses cotisations de sécurité sociale, de retraite et d’assurance chômage, pas plus que l’école de ses enfants ou l’Ephad de ses parents. Elle enfonce insensiblement les gens dans un collectivisme doux qui les enchaine plus qu’il les libère. A vouloir faire le bien des hommes à leur place, l’Etat dévore ceux qu’il nourrit, il détruit l’homme dont l’être est par essence dans la liberté de découvrir et devenir ce à quoi il est appelé, dans une liberté qu’il doit acquérir par lui-même, à défaut de quoi elle ne serait plus sa liberté et ne lui permettrait plus d’être lui-même. Pour que tous aient les mêmes chances, il faudrait changer l’homme lui-même, réduire tous les hommes à des clones.  

Lorsqu’elle est étendue au-delà du cercle étroit de ceux qui peuvent y prétendre au regard de leur incapacité, l’égalité des chances produit des artistes médiocres et des étudiants moyens, elle dévalorise le travail et le risque. Il vaudrait mieux lui substituer les mille et une facilités qui pourraient permettre à ceux qui sont sans diplômes et/ou sans travail de se lancer dans une activité, leur garantir les droits d’ouvrir une boutique sans avoir tout de suite à payer des tributs à l’Etat, aux caisses sociales ou aux collectivités locales, des droits de créer des spectacles et de les présenter au public sans avoir à respecter trop de règlements inutiles.

L’Etat pour sa part a une vraie vocation à assurer à tous une égalité en droit et à garantir, pour ce faire, la sécurité de tous. Cela profitera plus aux pauvres tant il est évident que les zones de non droit sont plus préjudiciables à ceux qui y vivent ou les côtoient qu’aux habitants du 7ème arrondissement de Paris, ce très chic quartier  où le Haut Conseil pour l’Egalité a implanté ses locaux !  L’Etat a pour mission de mettre en place l’environnement qui permet à tous ceux qui le veulent de grimper l’escalier social qui n’est jamais facile mais que ceux qui s’y aventurent aujourd’hui doivent monter avec les sacs de plomb sur le dos que sont autant de règlementations, d’interdictions, de limitations et cet égalitarisme de papier qui désapprend l’effort et le travail au risque d’accroître la pauvreté. En allant au-delà de ses missions et toujours plus loin, l’Etat dénature ses missions et les exerce mal ; pire, en outrepassant son rôle, il ampute chaque citoyen capable de créer ses chances, de s’élever par lui-même.

L'Egalité des chances proposée par le Président de la République passe, entre autre, par la création en régions d'internats destinés à "valoriser l'excellence". L'éducation semble  incontournable pour obtenir cette égalité mais est-ce suffisant?

Joël Hellier : Dans une société où existent de fortes inégalités éducatives, culturelles et sociales entre les parents, l’éducation est un moyen essentiel de rétablir, au moins partiellement, l’égalité des chances.

Or, la France est de ce point de vue dans une situation particulière, et d’une certaine façon paradoxale. En termes de revenu après impôts et redistribution, la France est nettement moins inégalitaire que les Etats Unis, la Grande Bretagne, les pays du Sud de l’Europe, et même l’Allemagne depuis quelques années. Seuls les pays nordiques sont moins inégalitaires. Or, du point de vue éducatif, la France est, parmi les grands pays avancés, celui qui présente à la fois la plus forte inégalité et le plus fort impact de l’origine familiale et sociale. Les études PISA de l’OCDE montre que la France est le pays où l’influence de la position socio-culturelle des parents sur les résultats scolaires des adolescents de 15 ans est la plus élevée. L’importance des inégalités éducatives s’observe à la fois à l’issue du primaire (études PIRLS de l’OCDE ), pendant le secondaire (études PISA) et chez les jeunes adultes (études PIAAC, OCDE). Ainsi, loin de réduire les inégalités, le système éducatif français tend à les pérenniser, les intensifier et même parfois les créer (en favorisant la dualité éducative entre établissements d’excellence sélectifs qui disposent de nombreux moyens et établissements « standards » nettement moins bien dotés dans le secondaire et le supérieur).

La France est dans cette situation paradoxale où le système éducatif favorise les inégalités, ces dernières étant ensuite réduites par une large redistribution permettant de limiter les effets néfastes des inégalités éducatives sur les revenus. Cela explique, du moins en partie, le niveau très élevé des prélèvements publics en France : on réduit après coup les inégalités que l’on a préalablement créées.

Il est donc impératif de revoir le système éducatif français pour qu’il revienne à son objectif initial d’égalité des chances. Des réformes ont eu lieu ces dernières années pour améliorer l’éducation primaire qui était (et reste en grande partie) le parent pauvre de l’éducation nationale.  En effet, c’est dès le primaire que l’on doit compenser les différences éducatives et culturelles issues des familles. L’augmentation des ressources pour le primaire et la réduction des effectifs par classe dans les zones défavorisées sont de bonnes décisions, même s’il faut aller plus loin.

La création d’internats censés accueillir des élèves issus de milieu défavorisés dans le secondaire participe à cet effort. Je reste néanmoins sceptique sur la portée de cette réforme, sauf si elle est menée de façon extensive. Il faut rappeler qu’au début des années soixante, 22% des élèves du second degré étaient en internat, contre moins de 4% aujourd’hui. Il s’agissait en grande majorité d’enfants du milieu rural qu’il fallait regrouper pour les éduquer. Aujourd’hui, le poids des enfants des milieux ruraux a très fortement diminué, et les internats ont plutôt pour objectifs de proposer aux enfants des milieux défavorisés (pour être clair : des « banlieues »),  soit des  issues professionnelles (les « campus pro »), soit une éducation d’excellence (les « internats d’excellence »).

En fait le projet actuel me semble répondre à deux objectifs. D’une part, développer des formations professionnelles manquantes dans certains secteurs et y attirer des enfants de milieux modestes. D’autre part, lutter contre la consanguinité grandissante des formations d’excellence du supérieur. Cela n’est pas négligeable, mais bien loin de l’objectif  central qui devrait être de lutter efficacement contre l’échec scolaire et/ou la désocialisation non négligeable des enfants issus des milieux défavorisés. Mais, pour atteindre cet objectif, il faudrait rapidement retrouver un niveau de 15 à 20% d’enfants concernés, ce qui n’est pas le cas. Enfin, cela poserait la question de l’acceptation par les enfants et les familles d’aller en internat, qui est loin d’être acquise.

Cette "égalité des chances" a-t-elle déjà existé par le passé et quels facteurs nécessite-t-elle?

Joël Hellier : Une parfaite égalité des chances n’a jamais existé et ... n’existera jamais. Tant qu’il y aura des inégalités entre les parents, celles-ci seront en parties transmises aux enfants et il est sans doute illusoire de vouloir totalement compenser ces inégalités familiales. Toutefois, dans une démocratie, la prédétermination sociale et familiale doit être réduite au maximum. L’objectif, même s’il ne peut être totalement atteint, est de permettre aux citoyens d’avoir d’égales opportunités. Les différences devraient dépendre essentiellement des choix et des capacités propres des individus, l’école et la société devant compenser le plus possible les inégalités familiales et sociales.

D’un point de vue général, cet objectif de compensation signifie qu’il faut donner plus à ceux qui, de par leurs origines sociales et familiales, ont initialement moins. L’Etat devrait dépenser plus pour l’éducation des enfants issus des familles modestes que pour les autres. Dans la réalité, c’est plutôt l’inverse qui est vrai pour le secondaire et le supérieur. Il en va de même pour la santé, l’information, etc. Il ne me semble pas anormal que les familles favorisées paient une partie de leurs frais médicaux et de leur frais d’éducation dans le supérieur. Cette conception de l’égalité des chances s’oppose à la conception très française de l’égalité comme étant le fait de donner la même chose à tout le monde. Il s’agit de donner plus à ceux qui en ont vraiment besoin pour qu’ils aient les mêmes opportunités que les autres.

Enfin, il existe en France une autre source d’inégalité des chances, qui est la puissance des réseaux pour l’accès aux positions supérieures. Et, ici également, le système éducatif au sens large a une responsabilité étant donné le poids des réseaux de grandes écoles. 

La croissance est-elle l'unique moyen de tirer la société par le haut ? 

Joël Hellier : Tout dépend de ce que vous appelez « croissance » et de ce que vous entendez par « tirer vers le haut ».

Un exemple est éclairant. Depuis le début des années quatre-vingt, les Etats Unis ont eu une croissance du revenu par tête plus élevée que celle de la France. Mais, si l’on enlève le « top 1% », la croissance des revenus est très légèrement plus élevée en France. Et, si l’on enlève le « top 10% », la croissance du revenu par tête est assez nettement plus élevée en France.

Que vaut-il mieux ? Une croissance plus forte qui ne profite qu’à une petite minorité ou une croissance moins forte qui profite à tous ?

Tout dépend de ce que l’on fait de la croissance. Si les surplus qu’elle génère améliorent l’éducation, le système sanitaire, le bien-être général, alors plus de croissance « tire la société vers le haut ». Si elle enrichit une petite minorité sans améliorer ou en détériorant la position des autre, elle tire la société vers le bas.

Une dernière remarque. L’analyse économique s’est plutôt intéressée à la relation inverse : les inégalités sont-elles bonnes ou mauvaises pour la croissance économique ? La réponse à cette question est multiple. Lorsque la croissance est tirée par l’investissement matériel, l’inégalité tend à pousser la croissance car les riches épargnent plus que les pauvres et les classes moyennes, à condition bien évidemment que cette épargne soit investie. Mais si la croissance dépend du niveau éducatif et de qualification de la population, de la cohésion sociale et de la recherche alimentée par l’éducation, alors les inégalités réduisent la croissance car elles freinent l’éducation et défont la cohésion sociale.

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