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Du Moyen-Orient à l'UE, voilà pourquoi les intérêts de la France bénéficient de la politique de l'Amérique de Trump
©ALAIN JOCARD / AFP

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Dossier syrien et excédents commerciaux allemands : sur ces deux points sensibles, les intérêts de Paris et Washington paraissent converger, en dépit de divergences qui persistent relatives au Moyen-Orient ou à l'Europe.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Dans le contexte du conflit syrien, et sur les différents dossiers moyen-orientaux plus généralement, qu'aurait à gagner Paris à un rapprochement avec Washington ? 

Alexandre del ValleLa France n'étant pas un pays ennemi des États-Unis, mais au contraire un allié multiséculaire de l’Amérique, depuis sa fondation même, qu’elle aida, puis étant membre de l’Otan et ayant des visions géopolitiques proches - parfois très proches- , il y a bien sûr des intérêts convergents, mais cela n’est pas global et cela dépend tant des époques et des gouvernements que des dossiers. Si l'on considère, par exemple, le plan économique, il n'y a pas que des intérêts convergents, loin de là, comme en témoigne la guerre commerciale menée à l'heure actuelle par les États-Unis à l'Europe, ou encore les rivalités entre Boing et Airbus, ou l’affaire assez stupéfiante de la Banque française BNP Paribas, l’une des plus puissantes banques mondiales, concurrentes de banques américaines, qui fut pénalisée à hauteur de près de 10 milliards de dollars par les Etats-Unis au nom d’une loi extraterritoriale à portée universelle comme seuls les Etats-Unis savent en concocter pour régenter le monde et servir leurs intérêts économico-cyniques au nom de prétendues normes morales universelles.

Pour ce qui est du Moyen-Orient, les deux pays ne sont pas toujours d'accord (conflits israélo-palestinien, guerres en Irak, etc), même s’il est vrai que le gouvernement au pouvoir en France et l'administration américaine semblent converger parfois (Syrie, Mali, Libye, Yémen, Arabie saoudite, Qatar, Iran, etc), comme on l’a notamment vu de façon éclatante depuis quelques jours dans le contexte des frappes militaires aériennes américaines en Syrie du 7 avril dernier en représailles aux attaques chimiques attribuées au régime syrien, régime que la France et les Etats-Unis ont souvent condamné de concert. De ce fait, le soudain revirement "interventionniste" et moralisateur de Donald Trump montre qu’il peut y avoir des convergences de vues relatives y compris entre deux gouvernements et deux personnalités (Hollande/Trump) que tout semble opposer en apparence. Rappelons que jusqu’au revirement du président américain, la France était beaucoup plus jusqu'au boutiste et va-t'en guerre que l'administration Obama en ce qui concerne la Syrie notamment. Maintenant que Donald Trump montre un visage beaucoup plus activiste et militariste que ce qu'il a pu annoncer initialement – un revirement auquel il a été contraint – la France semble effectivement beaucoup plus en accord avec les États-Unis même si elle semble aller plus loin dans sa volonté de parvenir à la rédaction d’un texte onusien qui officialiserait et légaliserait cette ligne anti-Bachar. Ce qu'il faut bien préciser, c'est que ce ne sont pas les deux pays, mais les deux administrations qui ont l'air de converger sur ce dossier notamment, ce qui est différent.

Des pierres d'achoppement relatives au Moyen-Orient ont cependant toujours existé de façon assez claire depuis l’avènement de De Gaulle jusqu’à la présidence de Jacques Chirac entre les deux pays. Par exemple au sujet du Liban, où les États-Unis et la France n'ont jamais eu les mêmes intérêts. Les Français y ont, en effet, toujours été assez proches des chrétiens – relais de la francophonie et garants de l’intégrité du pays  tandis que la souveraineté libanaise fut bafouée par les Etats-Unis qui livrèrent purement et simplement le Liban aux Syriens en 1990 en échange de la participation syrienne à la coalition anti-Saddam Hussein en Irak. Américains et Britanniques y ont, au contraire, souvent privilégié des forces musulmanes et sécessionnistes. Au Maghreb, les Américains ont longtemps soutenu des forces hostiles à la France, ceci dès la Seconde Guerre mondiale en aidant les groupes indépendantistes, et jusqu'à soutenir les islamistes du FIS (Front islamique du salut) et les Frères musulmans dans les années 1980-1990, très hostiles à la francophonie et à la France. Sur le conflit israélo-palestinien, les positions demeurent profondément différentes, même si la France n'est pas un pays antisioniste, car si la France prône clairement une solution à deux Etats et refuse de reconnaître Jérusalem comme la capitale de l’Etat hébreux, les Etats-Unis ont toujours maintenu – jusqu’à l’exception relative d’Obama à la fin de son mandat – mais de plus belle avec Trump, une vision très favorable aux intérêts et objectifs israéliens, ceci d’ailleurs plutôt par tradition protestante (Sion-peuple de la Bible) plutôt qu'à cause d’un"lobby juif" en réalité très hétéroclite et moins radical que les forces WASP pro-sionistes. Les Etats-Unis ont, en effet, toujours fait preuve d'une véritable empathie pour la terre d'Israël et le peuple juif, ce que l’on ne retrouve dans aucun pays européen, pas même en France. Les intérêts divergent également grandement en Afrique de l’Ouest, excepté en Côte d’Ivoire, où un certain nombre de dirigeants et dictateurs francophones ne sont pas bien perçus par les États-Unis qui souhaiteraient les remplacer, et ainsi prendre la place de la France en Afrique.

Et n'oublions pas la principale pierre d'achoppement, de nature géoéconomique, qui réside dans le fait que les États-Unis ont déclaré une véritable guerre commerciale à l'Europe, dont la France. 

En considérant tout particulièrement la question des excédents allemands, et plus largement sur l'Europe, dans quelle mesure la France pourrait-elle avoir intérêt à se rapprocher des Etats-Unis ? Quels intérêts communs peuvent se dessiner ?

Christophe BouillaudTout d’abord, il faut rappeler l’évidence : les objectifs des Etats-Unis en matière internationale sous la présidence de Donald Trump ne sont pas faciles à interpréter. Le choix pour le moins surprenant du président Donald Trump d’engager des frappes en Syrie contre des forces du régime al-Assad rompt avec toutes les prévisions de la veille. De ce fait, il est difficile d’imaginer des intérêts communs face à une telle incertitude chez le partenaire américain.

Quoi qu’il en soit, on peut dire que si, effectivement, Donald Trump se tient à ce qu’il a dit jusqu’ici sur les excédents commerciaux de l’Allemagne qui seraient excessifs, il pourrait y avoir une convergence limitée avec les actuels, et sans doute futurs, dirigeants français issus des grands partis de gouvernement (PS, Les Républicains, UDI, Modem, ou peut-être bientôt En Marche !), et plus encore des deux ailes eurosceptiques de l’arc partisan (FN, la France insoumise). En effet, tous critiquent, avec plus ou moins de force - certes selon les moments - la politique économique allemande trop restrictive qui favorise ces mêmes excédents, tout en souhaitant par ailleurs l’imiter pour une partie d’entre eux. On pourrait donc effectivement imaginer une convergence franco-américaine sur le fait que l’Allemagne devrait relancer fortement son économie pour résorber ses excédents commerciaux en achetant du coup beaucoup plus de biens et de services chez les autres pays développés. Cela peut passer en particulier par un effort accru sur le budget de défense de l’Allemagne, qui, en conséquence, devrait importer des armes de pointe made in USA et pourquoi pas made in France ou made in UK. Il s’agirait d’un scénario de relance de l’économie occidentale par l’Allemagne au profit des autres pays développés, dont les Etats-Unis et la France, mais aussi l’Italie ou même le Royaume-Uni. Notre voisin d’outre-Rhin deviendrait ainsi le consommateur en dernier ressort de l’Occident à la place des Etats-Unis. Pour autant qu’il soit réaliste, parce qu’il suppose un bouleversement de sa politique économique de long terme pour l’Allemagne, ce scénario "du beurre et des canons" achetés en masse par Berlin n’empêcherait pas cependant l’existence de profondes divergences entre la France et les Etats-Unis de Donald Trump.

En effet, les dirigeants français d’après 1945 sont très attachés au libre-échange et au multilatéralisme. Il faudrait au moins qu’une Marine Le Pen arrive au pouvoir en France pour que la France abandonne son engagement pour le libre-échange des biens et des services ou pour que, par exemple, la France renie sa signature au bas de l’Accord de Paris de la COP 21 sur la lutte contre le réchauffement climatique. Les propos pour le moins désobligeants tenus vis-à-vis de l’Union européenne par certains membres de l’administration Trump traduisent aussi une divergence radicale d’intérêts. Là encore, en dehors de l’arrivée de Marine Le Pen aux affaires, ou éventuellement de Jean-Luc Mélenchon, les dirigeants français issus des partis de gouvernement voient l’avenir du pays au cœur de l’Union. Que ce soit François Fillon, Emmanuel Macron, ou Benoît Hamon, aucun n’imagine en effet un avenir en dehors de l’Europe actuelle. Ils veulent la réformer, pas du tout la détruire. Ils sont d’ailleurs tous les trois fidèles en ce sens à la politique de longue période des Etats-Unis, qui, depuis 1946, ont toujours favorisé l’intégration européenne- sauf en matière de défense où ils ont privilégié l’Otan.  De fait, sur ce dernier point, il se pourrait bien que Donald Trump se ravise là aussi, et considère que l’intégration européenne d’après 1946 fait aussi partie de la "grandeur de l’Amérique" qu’il tient tant à restaurer. 

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