Du double meurtre des Cévennes à l’adolescente assassinée dans le Val-de-Marne, avons-nous raté quelque chose dans l’éducation des générations les plus jeunes ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des gendarmes contrôlent des véhicules lors de la recherche du fugitif qui a abattu deux personnes dans une scierie dans les Cévennes en mai 2021.
Des gendarmes contrôlent des véhicules lors de la recherche du fugitif qui a abattu deux personnes dans une scierie dans les Cévennes en mai 2021.
©CLEMENT MAHOUDEAU / AFP

Gestion de la frustration

Marjorie, une adolescente de 17 ans a été poignardée à mort ce vendredi 14 avril à Ivry-sur-Seine. Son agresseur est âgé de 14 ans. Dans une autre affaire, le fugitif des Cévennes, accusé d'avoir tué son patron et un collègue, a avoué les crimes devant les enquêteurs. Ces drames ont relancé le débat sur la question de l'éducation des générations les plus jeunes et sur la canalisation de la violence.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Les faits divers impliquant des jeunes sombrant dans la violence, ou commettant des meurtres, comme c’est le cas avec le double meurtre des Cévennes et l’adolescente assassinée dans le Val-de-Marne, se multiplient. Les jeunes sont-ils plus prompts à céder à la violence sans véritables motifs ?

Bertrand Vergely : Un jeune de 14 ans tue une adolescente à la suite d’un différend à propos de la sœur de cette adolescente.  Un jeune  adulte de 29 ans tue le patron de la scierie qui l’employait ainsi qu’un autre employé. Ces deux meurtres se suivant on a l’impression soudain que rien ne va plus chez les jeunes. Il convient de remettre les choses sans leur contexte. Ces deux jeunes meurtriers ne sont pas les mêmes jeunes. Qui plus est, ils ne sont pas toute la jeunesse.

Il existe une violence endémique dans certains groupes de jeunes de certains quartiers. Les causes en sont connues. Famille éclatée. Echec scolaire. Aucune perspective d’avenir. Des petits trafics ici et là. Un ensemble qui fait boule de neige et qui un jour dérape. Le jeune trafiquant de drogue qui a tué un policier à Avignon afin d’échapper à un contrôle s’inscrit dans cette logique. Le jeune adulte qui a abattu son patron et le jeune de 14 ans qui a tué une jeune fille de 17 ans s’inscrivent dans une autre logique. Leur violence n’est pas tant le résultat d’un effet de système que d’un rapport à la colère. Le climat général est aujourd’hui à la colère. Globalement, notre monde ne supporte plus la moindre critique. Si on veut pouvoir tout critiquer, on ne supporte plus d’être critiqué. L’exacerbation de l’go en est la cause. La complaisance des medias et des politiques hantés par la peur d’être critiqués  également. Dans ce climat, il n’est pas étonnant que des individualités fragiles se sentent autorisées de tuer à la moindre critique, au moindre différend. 

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Le tueur des Cévennes n’a rien de paranoïaque. La frustration semble l’avoir poussé à passer à l’acte. Quant au jeune de 14 ans mis en examen pour le meurtre du Val-de-Marne, sans antécédents judiciaires, il a tué à la suite d’une rixe. Ces actes témoignent-ils d’une incapacité grandissante de la jeunesse à gérer sa frustration ?  

Bertrand Vergely : Tout le monde est frustré. Tout le monde ne tue pas pour autant. Les jeunes sont frustrés. Les jeunes ne sont des meurtriers pour autan. La frustration n’explique rien  et ne veut rein dire. Un meurtrier n’est pas un frustré ni un frustré un meurtrier.  Pour comprendre un meurtre, il faut revenir à la biographie du meurtrier. Un meurtre est toujours précédé de signes qui annoncent le meurtre. On ne tue pas par hasard. Chez le jeune de 14 ans  qui a tué, il y avait des signes. En a-t-on tenu compte ? Quant au jeune adulte de 29 ans qui a tué, les signes sont manifestes. Passionné d’armes à feu, il était inscrit dans un club de tir. Quand on éprouve le besoin d’aller faire du tir dans un club deb tir, il est évident que l’on a inconsciemment envie de tirer sur quelqu’un. Là encore en a-t-on tenu compte ? Bien évidemment, non. Le problème de notre monde n’est pas qu’il est frustré. Il vient de ce que l’on rêve. Les réseaux sociaux sont meurtriers. Il y règne une violence effarante. On n’ise pas s’attaquer au problème. On ne veut pas s’attaquer au problème. On n’a pas le courage de s’attaquer au problème. Derrière nombre d’activités ludiques dont le tir, il y a des passions meurtrières. On ne veut pas le dire. On n’ose pas le dire. On n’a pas le courage de le dire. Il est évident que l’on assiste çà une montée de la violence dans notre monde. On n’ose pas le dire. On ne veut pas le dire. On n’a pas le courage de le dire. Complotisme, dérive sécuritaire, entend on sans cesse. Résultat : on regarde les bras ballants le système démocratique en train de s’effondrer, miné par ses propres contradictions. 

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Quelle devrait être la marche à suivre pour réapprendre aux jeunes à faire la part des choses et à ne pas céder à des pulsions violentes ?

Bertrand Vergely : Quand on est incapable de symboliser les pulsions que l’on porte en soi, pour échapper à l’angoisse qu’elles provoquent, il n’existe qu’un seul moyen : la violence. La violence à laquelle nous assistons et dont les jeunes sont la partie émergée de l’iceberg est la conséquence normale d’un monde qui n’a plus de sens. Pour donner du sens au monde il y a trois choses à faire. La première est de retrouver le sens de l’émerveillement en rappelant que la vie et les hommes recèlent un potentiel extraordinaire. La deuxième est un acte de lucidité constant oser regarder en face que nous ne sommes pas à la cheville de ce que nous devrions être et faire. La troisième consiste à associer émerveillement et lucidité en se réveillant. Il faut être exigeant. Nous ne sommes pas exigeants. Il faut être excellent. Nous ne sommes pas excellents. Il faut mettre la barre haut et avoir des ambitions. Nous ne mettons pas la barre haut et nous n’avons pas d’ambitions.

Dans la préface du Théâtre et son double Antonin Arthaud a écrit : « La poésie que nous ne mettons pas dans nos vies nous revient sous la frome des crimes les plus sombres qui soient ». L’exigence que nous ne mettons pas dans nos vies aujourd’hui nous revient à travers la succession des crimes abominables qui ne cessent de martyriser l’innocence, d’ensanglanter la quotidienneté et de meurtrir les âmes.

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