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Drapeaux noirs de l’Etat islamique dans les manifs : un phénomène encore marginal que l’Europe aurait pourtant bien tort d’ignorer
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Attention danger

Après les slogans "Mort aux Juifs" entendus lors des récentes manifestations pro-palestiniennes un peu partout en Europe, ce sont désormais les drapeaux de l'Etat islamique en Irak et au Levant qui sont brandis. Une récupération de la cause palestinienne faite par l'EIIL afin d'asseoir son image et se forger des soutiens.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : Jeudi dernier, lors d'une manifestation pro-palestinienne organisée à la Haye (Pays-Bas), des drapeaux de l'EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant) ont été brandis par des participants. S'agit-il du premier cas en Europe depuis que les premières manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu ? Dans quelle mesure les dirigeants européens doivent-ils s'en inquiéter ? 

Alain ChouetNotons d’abord que le drapeau noir portant la shahada (la profession de foi musulmane) n’est pas le symbole exclusif de l’EIIL. Il est le drapeau des wahhabites, des salafistes, des Frères Musulmans et plus généralement de leurs bandes armées comme Al-Qaïda, l’EIIL, les Shebab somaliens ou Boko Haram. Il est donc le symbole de mouvements totalitaires violents et le fait qu’il porte un texte sacré de l’Islam ne le rend ni respectable, ni admissible. La svastika est un symbole respectable de l’hindouisme mais cela ne rend pas le drapeau nazi acceptable pour autant.

Ce n’est ni la première ni, sans doute, la dernière fois que ce drapeau apparaît. Il n’est certainement pas du goût de la plupart des Palestiniens qui comptent de nombreux chrétiens ou qui pratiquent dans leur immense majorité un islam apaisé. Et ce genre d’exhibition ne leur rend pas service en risquant de leur aliéner beaucoup de sympathies internationales.

Même si le phénomène reste heureusement très marginal, il convient de s’en inquiéter et de s’en défendre tout autant que si apparaissaient des drapeaux nazis dans une manifestations quelconque.

Qu'est-ce que cette présence de sympathisants/militants de l'EIIL révèle de la menace que fait peser précisément l'EIIL sur l'Europe ? Quelle attitude l'Europe doit-elle adopter concrètement en guise de prévention et d'action ? 

Dans l’inconscient collectif d’un certain nombre de jeunes musulmans frustrés, l’EIIL a remplacé par ses succès militaires Al-Qaïda en tant que symbole de l’antinomie aux valeurs occidentales et d’affirmation de fierté communautaire. De son côté, l’EIIL a besoin de magnifier son image pour supplanter définitivement le mythe d’Al-Qaïda et recherche toutes les résonances possibles dans le monde musulman, particulièrement dans les communautés émigrées en Occident où on sait que leur moindre manifestation ostentatoire sera largement répercutée par les medias.

C’est pourquoi, tout en luttant militairement sur le terrain tout autant que policièrement et judiciairement en Europe contre le phénomène, il convient de ne pas en exagérer ou en mythifier l’importanceau risque d’en faire - comme on l’a maladroitement fait avec la fantasmatique al-Qaïda - le drapeau de toutes les contestations dans le monde musulman. L’EIIL compte environ 12 000 hommes, pour la plupart constitués de mercenaires venus des quatre coins du monde musulman (Arabie-saoudite, Libye, Tunisie, Tchétchénie, Bosnie, etc.), qui ne doit ses succès qu’à l’effondrement du gouvernement irakien, à l’inaction internationale et au fait que sa première action d’éclat a été de piller la succursale de la Banque centrale d’Irak à Mossoul où il a raflé près de 500 millions de dollars qui lui ont permis de "s’acheter " un certain nombre de chefs de tribu du Nord du pays pour lui prêter main forte.

Mais ce pactole n’est pas inépuisable et c’est pourquoi le chef de l’organisation, Abou Bakr al-Baghdadi, s’est lancé dans une fuite en avant - notamment en proclamant de façon inepte la restauration du califat - pour essayer de se rallier des sympathisants dans l’ensemble du monde musulman. C’est contre cette stratégie qu’il faut lutter, c'est-à-dire en décrivant l’EIIL pour ce qu’il est, à savoir un ramassis de mercenaires et de bandits de grand chemin dont le principal objectif est de s’installer - comme voulait le faire AQMI au Mali - dans une zone de non-droit en se payant sur la bête et en rançonnant les habitants par la terreur. Si on ne veut pas que l’EIIL devienne mythique, il faut commencer par ne pas en faire un mythe comme on l’a fait avec Al-Qaïda.

"Les Français ont tué les Marocains, mais pas tous : reste aujourd'hui les petits enfants de certains de ces hommes qui protestent aujourd'hui contre l'Occident, les Etats-Unis, et les Juifs": tel est le type de phrases entendues lors de cette manifestation. Sur quels ressorts s'appuie précisément l'EIIL en Europe pour inciter de jeunes Européens à embrasser son idéologie ? Quel est le rôle dévolu à l'Europe par l'EIIL dans son système d'action ? 

On voit bien toute l’absurdité d’un tel raisonnement. Si ce sont des Français qui ont tué des Marocains, que viennent faire les Américains et les Juifs dans cette vendetta ? C’est d’ailleurs une phrase que ses auteurs n’oseraient certainement pas tenir au Maroc dont ils paraissent être originaires. Dans la tradition des Frères musulmans, l’EIIL essaye de jouer habilement sur toutes les frustrations, les défauts d’intégration, les exclusions réelles ou fantasmées pour asseoir son image et se forger des soutiens. Si l’Europe paraît principalement ciblée, c’est parce que les communautés musulmanes y sont plus nombreuses qu’ailleurs en Occident.

Mais là encore, il ne faut pas exagérer ou dramatiser le phénomène au risque d’en faire un symbole de ralliement. La France compte environ 5 millions de musulmans naturalisés ou immigrés résidents. La contestation salafiste qui s’est entichée des flamboyances de l’Etat islamique représente quelques centaines d’individus plus ou moins motivés et peut-être quelques milliers d’attentistes moutonniers plus ou moins sympathisants, soit en gros un pour mille de la communauté. Pourquoi ne jamais parler des 999 pour mille autres qui ne demandent qu’à vivre en paix, ni jamais en faire mention dans les médias ? Leur parole serait sans doute un contre-feu utile à l’imbécillité salafiste plutôt que de réserver nos plateaux télé aux ténors médiatiques des Frères musulmans.

Cela dit, l’EIIL n’a pas de stratégie définie par rapport à un pays ou un autre en Europe. Il tente d’exercer son influence où il peut, quand il peut, comme il peut. De ce point de vue, ce sont évidemment les pays où existent les plus fortes minorités musulmanes et où l’encadrement de l’islam a été concédé aux imams wahhabites contrôlés par les pétromonarchies et aux Frères Musulmans qui sont les plus vulnérables à la propagande salafiste.

Cet incident relance le débat sur l'interdiction de ce type de manifestations (NB: la manifestation de jeudi dernier a été autorisée par la municipalité de la Haye). Comment anticiper et empêcher la présence de tels individus lors de ces rassemblements ? De quelle manière l'EIIL récupère-t-il les évènements de Gaza ? 

Interdire une manifestation n’a guère plus de sens que multiplier les panneaux de limitation de vitesse. Si quelqu’un est décidé à rouler à 150 en ville, ce ne sont pas les panneaux 50 qui l’arrêteront mais la vigilance et l’action des forces de l’ordre. Si certains individus sont décidés à profiter de manifestations pacifiques pour attaquer les forces de police et vociférer leur haine en cassant les vitrines des magasins pour en piller le contenu, ce ne sont pas des interdictions administratives qui les empêcheront d’agir.

Prévenir leur action passe par leur identification aussi précise que possible par le renseignement intérieur, leur surveillance et - si nécessaire - par leur neutralisation judiciaire. Cela passe aussi par un ensemble de mesures sociales, éducatives et d’intégration qui dépassent largement le simple cadre sécuritaire et ne produiront leurs effets qu’à long terme. Cela passe enfin par une politique générale lisible. On ne peut lutter contre les islamistes à un endroit tout en les soutenant ailleurs. On ne peut condamner l’action des "généreux donateurs des pays du Golfe au profit de l’Etat islamique" - comme vient de le faire récemment le Parlement européen - tout en allant les courtiser à tout propos à des fins commerciales. Et il faut sans doute s’interroger sur la pertinence des stratégies occidentales dans le monde arabe. On ne peut pas dire que nos interventions en Afghanistan, en Libye, en Irak ou en Syrie, même si elles étaient dictées par ces bonnes intentions dont l’enfer est pavé, aient contribué à réduire le niveau et le rayonnement de la violence salafiste.

Enfin, et toujours dans la ligne stratégique des Frères musulmans, l’EIIL instrumentalise l’affaire de Gaza comme les salafistes ont toujours cherché à instrumentaliser de façon populiste toutes les formes d’exclusion ou de mal-être politique, économique et social dans le monde musulman. Si le problème de Gaza n’existait pas, ils en trouveraient un autre dans le genre de la présence des "infidèles" en terre d’Islam, du port du voile, de la fréquentation des piscines ou de la scolarisation des filles.

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