Drame de Viry-Châtillon : qui comprend vraiment les racines de l’hyper violence désinhibée qui s’empare du pays ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des collégiens passent devant le Collège départemental Les Sablons à Viry-Chatillon le 5 avril 2024, le lendemain de l'agression d'un adolescent. Le jeune homme a succombé à ses blessures.
Des collégiens passent devant le Collège départemental Les Sablons à Viry-Chatillon le 5 avril 2024, le lendemain de l'agression d'un adolescent. Le jeune homme a succombé à ses blessures.
©MIGUEL MEDINA / AFP

Société fracturée

Après la mort d'un collégien suite à une violente agression à la sortie de son établissement à Viry-Châtillon, le maire de la commune a dénoncé la banalisation de l'hyper violence. Emmanuel Macron a appelé à "protéger l'école" d'une "forme de violence désinhibée".

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Atlantico : Emmanuel Macron appelle aujourd’hui à "protéger l’école" d’une "forme de violence désinhibée". Une déclaration qui fait suite à de graves agressions, contre Samara à Montpellier et contre un élève de 3è à Viry-Châtillon. Que sait-on, à l’heure actuelle, des causes de cette violence ? Le mot choisi par le président de la République est-il le bon ?

Luc Rouban : La violence, notamment chez les jeunes, est le produit de deux phénomènes convergents. Le premier est la désocialisation de leurs parents et de leur entourage familial qui n’a pas permis la transmission par l’éducation des normes de la vie en société. Le second, c’est une resocialisation partielle des jeunes dans des groupes où il faut s’affirmer. Rappelons que 23% seulement des jeunes Français entre 18 et 24 ans estiment appartenir à la communauté nationale alors que 44% pensent appartenir à une communauté de valeurs (religieuses ou autres) ou de modes de vie (données tirées de la vague 15 de 2024 du Baromètre de la confiance politique du Cevipof). Des jeunes, souvent mais pas toujours, issus d’une immigration mal intégrée, se forgent une identité sociale dans des communautés diverses qui peuvent vite devenir délinquantes dans un contexte local d’émulation où il faut montrer sa force et sa disposition à la violence pour ne pas être soi-même victime. En somme, une partie de la société française ressemble à une prison à ciel ouvert où il faut se faire respecter. On retrouve alors tous les rites initiatiques d’agrégation au groupe : attaquer les « keufs », agresser les femmes, menacer ses professeurs, montrer qu’on est un « dur ».

Plusieurs facteurs politiques et sociologiques peuvent expliquer la violence à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés. Faut-il penser qu’elles émanent d’un contexte général d’allergie à la frustration dans lequel baignent aujourd’hui les jeunes générations ?

Luc Rouban : On peut effectivement ajouter la dimension consumériste. Le système économique a généré des comportements de consommateurs, y compris face aux services publics, qui ne se satisfont plus d’une prestation collective qui ne correspond pas aux attentes ou aux désirs. La satisfaction immédiate doit être alors la règle. Mais si cette dimension peut expliquer les pillages de magasins observés lors des émeutes récentes ou la dégradation des transports, elle n’explique pas les violences contre les représentants des institutions. Celle-ci s’enracine bien plus dans une désacralisation de l’autorité qui touche une partie de la jeunesse. 

Quid de l’aspect neuro-psychiatrique de la violence ? Quelles peuvent être les causes neurologiques qui poussent vers celle-ci ?

Pascal Neveu : Le sens de l’agressivité doit se différencier de la violence en fonction de pathologies : la peur, la provocation, les passages à l’acte…

Il est question d’agressivité, et surtout d’évaluation de la dangerosité.

Le stress, les réactions antipathiques, ou réactionnelles sont des facteurs de passages à l’acte.

Mais aussi le monologue intérieur d’un actant dirigeant (homme ou femme), le phénomène de groupe, le désir de revanche, les équations comportementales et systémiques.

La cohérence d’une équipe équilibrante qui n’existe plus.

C’est devenu du chacun pour soi.

Du harcèlement, du non respect des règles de valeur, des forces de l’ordre !

Où sont les re-Pères ?

Nous alertons depuis des années !  Où sont les Pères ? J’ai le témoignage de mères exténuées qui tentent de gérer leurs enfants.

Il faut sans cesse se rattacher aux comportements animaux afin de comprendre l’humain. Mon ami Boris Cyrulnik n’a cessé de le montrer.

La violence a plusieurs origines.
. La carence affective
. Une déficience chromosomique telle Klinefelter
. La violence affective
. L’absence d’empathie
- L’absence de tout re-Père
- L’absence de surmoi (valeurs morales psychiques)

L’être humain devient animal et encore plus depuis la covid et le confinement, ce qui n’est aucunement une excuse.

Quelques chiffres  donnés par le gouvernement :

• 700 000 élèves sont victimes de harcèlement scolaire, dont la moitié de manière sévère, soit 5 à 6%  des élèves

• au total 55 828 sollicitations et 14 445 appels ont été traités via le numéro vert 3020 
• 55% des élèves en situation de harcèlement sont touchés par la cyberviolence 

Les filles sont davantage exposées à des formes spécifiques de cyberviolence, à caractère sexiste et sexuel (cybersexisme). Elles sont notamment trois fois plus touchées par des actes de « sexting ».

Oui, il y a anxiété chez les jeunes. Oui, il y a augmentation de produits psychoactifs… mais rien n’autorise d’en arriver à de tels déferlements de haine, pour tuer un enfant qui aurait mérité sa vie !

Ceux arrêtés vont connaître la justice et mieux comprendre la mort dont ils n’ont pas conscience.

Ils ont détruit une vie… Ils viennent de détruire la leur.

Je déteste le terme « éducation nationale »… L’éducation se vit dans la famille. La République est avant tout « enseignement ».

Je ne suis absolument pas réac. Mais pour moi les mots ont un sens, et nous avons tous des devoirs et envers nos enfants.

Y a-t-il une composante génétique ou psychiatrique à la violence ?

Pascal Neveu : C’est, hélas, un sujet très complexe et tabou.

Alors que la violence et l'agressivité font régulièrement des victimes et défraient la chronique, des scientifiques s'attachent à savoir si ces comportements destructeurs ont des racines génétiques.

J’ai lu plusieurs études.

Fait divers sanglant dans un parking à Genève, heurts dans des manifestations au Venezuela, dérapages des gilets jaunes ou accusations de répressions policières: la violence est omniprésente dans l'actualité. Mais d'où vient l'agressivité? La violence a-t-elle des racines dans le code génétique même de l'humain ou des animaux?

La science s'est questionnée pour tenter d'établir si l'agressivité est inscrite dans notre ADN. La question est de savoir s’il existe un ou plusieurs gènes responsables d’un comportement agressif, un gène qui serait porté par certains et absent chez d’autres.

Identifier un ou des gènes responsables de la violence pourrait en effet conduire à une forme de déterminisme. Ce qui pose un souci éthique et médical.

Car la piste génétique a effectivement été explorée via la découverte d'un gène appelé Mao-A, menant à un comportement agressif. Cela a été identifié dans une famille connue pour être agressive, et également chez des souris.

Les recherches ont montré qu'il n’y avait pas qu'un seul, mais plusieurs gènes impliqués dans l’agressivité.

Ce gène rendrait une activation dans les circuits neuronaux, et dans les processus de développement neuronal et comportemental.

Ces « dommages » cérébraux ne sont toutefois plus considérés comme irréversibles. "Un mauvais câblage du cerveau durant son développement est plus difficile à recâbler complètement", précise la chercheure Carmen Sandi. "Mais nous avons pu donner un traitement pour améliorer les fonctions qui ne marchent plus dans le cerveau de nos souris, et ainsi restaurer un comportement normal chez ces animaux agressifs. Mais pas sur le long terme."

Sauf qu’ancien chercheur et psy… entre l’animal et l’humain, il reste une dimension essentielle : la conscience.

Quand j’ai vu un jeune dans le métro avec pied de bîche, quand la semaine dernière on a maîtrisé un jeune avec un couteau…

Il ne s’agit aucunement de sombrer dans une vie paranoïaque.

La vie l’emporte.

Mais la violence augmente.

Ma question… Que font les absents-Parents ?

Quel peut-être l’impact des réseaux sociaux sur la violence en France et sur l’allergie à la frustration (ou le désir du tout, tout de suite) précédemment évoquée ?

Luc Rouban : Dans notre dernière enquête, on a mesuré l’usage des réseaux sociaux de manière très précise. Pour simplifier, on a créé quatre groupes d’usagers selon la fréquence de leur utilisation de ces réseaux. Premier constat : plus les jeunes de 18-24 ans (on ne peut descendre plus bas car ce sont des enquêtes sociopolitiques qui portent sur des majeurs) utilisent les réseaux et plus ils disent appartenir à une communauté : 23% chez ceux qui appartiennent au groupe 1 (usage faible des réseaux) mais 51% dans le groupe 4 (usage intensif). Ensuite, on peut étudier la légitimation de la violence. On a posé des questions sur le fait de considérer comme acceptable de recourir à la violence pour protéger sa vie, sa famille ou sa propriété privée. On dispose donc d’un indice de violence privée qu’on peut diviser en deux groupes, l’un qui rejette la violence, l’autre qui la défend. Les 18-24 ans qui utilisent peu les réseaux sont 58% à considérer que la violence privée est légitime mais 70% lorsqu’ils utilisent ces réseaux de manière intensive. Donc, oui, on a des preuves empiriques montrant que l’enfermement dans les réseaux sociaux et les communautés qu’ils constituent augme la probabilité de légitimer la violence. Mais ici on se heurte à un autre problème qui est le passage à l’acte. C’est une chose de considérer la violence comme acceptable et une autre de la pratiquer. On peut néanmoins penser que lorsqu’on se trouve dans une communauté numérique acceptant largement la violence, la probabilité pour que les plus fragiles s’y adonnent augmente également.

Le président de la République et le gouvernement ont pu, par le passé, employer le mot de "décivilisation" pour désigner le phénomène. Que dit-il des racines profondes de la violence en France ? Fait-on encore face à de simples "faits divers" ?

Luc Rouban : Non, on ne se situe pas dans le cadre de « faits divers » qui sont généralement des actes délinquants ou criminels isolés. On est ici dans une action collective qui peut être organisée (par exemple les émeutes de juillet 2023 ou l’attaque récente du commissariat de La Coruneuve) ou devenir contagieuse par effet de mimétisme (dans le cas des attaques contre les professeurs). Les racines profondes, que j’ai pu analyser dans mon ouvrage « Les racines sociales de la violence politique », relève d’une remise en cause générale des institutions laquelle est elle-même nourrie par la remise en cause de la hiérarchie sociale et l’affaiblissement de l’État comme garant et de la mobilité sociale et d’une certaine moralité publique. 

Sur le plan social, la violence fait l’objet de plusieurs analyses. D’aucuns, à gauche, dénoncent les inégalités socio-économiques pour justifier le recours de certains à la violence. S’agit-il d’une explication satisfaisante ou oublie-t-elle certaines des composantes importantes du problème ?

Luc Rouban : Les inégalités peuvent évidemment générer de la violence de type politique classique, attentats anarchistes autrefois, groupes d’extrême-gauche comme Action directe en France ou Brigades rouges en Italie dans les années 1970, mouvements sociaux peu ou mal encadrés par les syndicats. Mais cette violence s’inscrit alors dans un discours, une idéologie révolutionnaire, contre le patronat, la bourgeoisie, les riches, etc. Aujourd’hui la violence est diffuse et concerne souvent des mineurs ou des personnes âgées qui s’en prennent à leur maire. Les jeunes qui ont dévasté certaines villes moyennes en juillet 2023 ou qui s’en prennent à leur école n’ont pas de culture politique. Le but de cette violence n’est pas de changer de régime politique ou social, c’est de détruire un univers qui est devenu étranger, considéré comme hostile et dangereux, c’est aussi de faire peur pour se faire respecter car on se trouve dans un échange politique qui n’est plus institutionnalisé mais qui relève de la relation interpersonnelle : le maire n’est qu’un bouffon, inefficace mais privilégié et disposant d’une autorité qu’on ne lui reconnaît plus car il parle au nom d’un ordre social rejeté ; l’enseignant n’est qu’un oppresseur qui vend du vent car l’éducation ne sert à rien ; le flic fait partie d’une bande rivale. On retrouve donc derrière cette violence deux facteurs : l’échec de la méritocratie à la française et l’effet désastreux d’un État dont le pouvoir s’est amenuisé alors qu’il structure toute la hiérarchie sociale en France, à la différence de la plupart des autres pays européens.

Quid, peut-être, des autres "fausses pistes" régulièrement évoquées ? Que dire, par exemple, des jeux-vidéo ?

Luc Rouban : Les jeux vidéo participent effectivement de l’abolition de la frontière entre le réel et la fiction numérique. Mais un jeune bien encadré par sa famille peut jouer sans devenir violent. 

Faut-il, selon vous, analyser la violence sur le plan individuel ou collectif ? Quels peuvent être les mécaniques d’appartenance qui poussent à de tels comportements ?

Luc Rouban : L’analyse doit être menée sur le plan collectif, sinon il suffirait de quelques traitements médicaux ou de sanctions pénales. La violence nouvelle est bien plus dangereuse car diffuse, construisant des modèles de contre-société bien éloignés d’une République qui n’a pas su être suffisamment vertueuse pour être coercitive à bon escient. On assiste à l’émergence de pouvoirs privés qui contestent le monopole de la violence légitime détenu par l’État, « tauliers » de banlieue, groupes radicalisés. Les jeunes qui tombent dans la violence recherche une autorité, un ordre que l’État n’assume plus avec un système judiciaire qui ne fonctionne plus et en qui seule une minorité (48% exactement) de Français ont encore confiance. N’oublions pas que tous les régimes totalitaires, nazis ou communistes, se sont servis des délinquants et des criminels pour asseoir des régimes de terreur. L’apprentissage de la violence c’est l’apprentissage d’un terrorisme d’ambiance qui relance l’histoire politique de notre pays.

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