Donald Trump : comment le populiste s’est mué en conservateur<!-- --> | Atlantico.fr
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Donald Trump républicains démocrates
Donald Trump républicains démocrates
©JOSHUA ROBERTS / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Hughenden, 

Le 27 septembre 2020

Mon cher ami, 

Vertus américaines

Quelles images étonnantes nous a livrées la Maison Blanche hier ! Donald Trump annonçant sa proposition de faire nommer Amy Coney Barrett à la Cour Suprême, en remplacement de Ruth Bader Ginsburg, récemment décédé. Lorsque le président a fait monter sur la tribune la famille de Madame Barrett, nous avons eu le spectacle impressionnant de la fidélité d’une partie de la société américaine aux valeurs qui fondent l’Occident. Nous regardions une famille unie, des parents de sept enfants, dont deux adoptés, originaires d’Haïti. Quel démenti éclatant à toute la propagande néo-fasciste des progressistes et de l’extrême gauche américaine à l’origine des émeutes qui dérangent le pays depuis la fin du printemps: loin de la tartufferie bien-pensante qui consiste à laisser enfermer des minorités dans des enclaves économiques, culturelles et sociales avant de crier à leur exclusion par des siècles de racisme ou d’exploitation, nous avions sous les yeux les héritiers de vingt siècles de civilisation chrétienne, fidèles à la fois à la double injonction divine de fécondité et de charité. Les mots me manquent pour décrire mieux cette scène qui aurait tant inspiré votre Péguy ou notre Chesterton. 

WASP renégats

Je ne vous redirai pas ici ce que nous savons tous. Les médias mainstream et le parti démocrate vont déverser des torrents de haine contre une femme qui pense que l’état de droit s’enracine dans le droit naturel. Les idéologues qui voudraient bien faire chuter Madame Barrett ont déjà annoncé qu’ils allaient regarder si l’adoption de deux enfants haïtiens avait bien été faite dans des conditions de légalité. La pierre de touche de notre époque, c’est la capacité des individus à considérer que les enfants doivent être préservés des turpitudes des adultes. En l’occurrence, nous avons affaire à des charognards, qui sont prêts à prendre en otages du débat politique et médiatique des enfants adoptés. A vrai dire, la haine doit être à son maximum chez les WASP renégats qui peuplent aujourd’hui les hautes sphères du parti démocrate: l’adoption si naturelle de deux enfants noirs par une juge catholique fidèle au combat pour la vie du pape Jean-Paul II est un démenti éclatant à toutes les élucubrations sur le racisme dominant dans la société américaine. On peut néanmoins s’attendre à tous les coup bas. 

Le courage de Donald Trump

Il me semble cependant que le plus frappant, dans ce qui sera sans doute le dernière péripétie du premier mandat de Donald Trump, c’est d’abord le courage du président américain. Il est une leçon pour tous les hommes de droite. Comment ne pas être admiratif devant cet homme, solide comme un roc, depuis quatre ans, alors qu’il a les médias mainstream  déchaînés contre lui et que ses adversaires le combattent de manière absolument déloyale? Jamais il n’a montré un moment de faiblesse, jamais il n’a eu la tentation de renoncer. J’ai eu pitié de Nicolas Sarkozy, il y a quelques jours, quand je lui ai entendu dire, qu’il n’aimerait pas travailler avec quelqu'un comme Donald Trump. Ne voit-il pas le destin qu’il a manqué, lui qui avait fait, en 2007, une campagne « trumpienne », sur le sujet de l’immigration et de l’insécurité, en particulier, mais, plus généralement en matière de combat culturel. Malheureusement, votre ancien président n’était pas prêt à affronter cinq ans de haine médiatique déchaînée; il a voulu être aimé. Il ne voulait pas affronter le Deep State français, dont deux des trois piliers sont constitués par la gauche intellectuelle et le grand patronat qui ont préféré, depuis les années 1970, l’immigration massive à la modernisation de la France. (Le troisième pilier est ce que vous appelez « Bercy », avec le choix de la politique monétaire alignée sur l’Allemagne). Résultat: Nicolas Sarkozy, même s’il n’ a pas démérité, ne laisse pas l’équivalent du legs qui sera celui de Trump: avoir refondé le conservatisme. 

Le populiste s’est définitivement mué en conservateur

Car tel est bien l’enseignement premier de ce qui s’est passé samedi dernier:  le populiste Trump s’est définitivement mué en conservateur. Il a réconcilié « droite d’en haut » et « droite populaire ». La manière dont le parti républicain soutient aujourd’hui quasi-unanimement le candidat populiste de 2016 est la preuve d’une mue réussie. Ce qu’a fait Donald Trump restera dans les livres d’histoire. Constatant la volonté de « sécession des élites », il avait été élu en prenant la défense du peuple américain, de toutes les catégories populaires, de ce que mon ancêtre Benjamin l’Ancien appelait « l’autre nation ». Et il avait promis à ce peuple américain, à tous ceux qu’Hillary Clinton appelle « les déplorables », de les amener dans le Bureau ovale, d’être leur porte-parole depuis la Maison Blanche. On peut gagner une élection en étant populiste. Mais on ne peut pas rester au pouvoir en étant que populiste. Il est un moment où il faut réconcilier le peuple avec les élites, ou du moins une partie d’entre elles. Donald Trump a mené, à l’intérieur, une politique économique favorable à l’emploi, fondée sur la baisse de la fiscalité: les riches en ont bénéficié autant que les classes moyennes et les petites entreprises. Il a relancé l’effort de défense (tout en veillant à ne pas engager les Etats-Unis dans de nouvelles guerres). Il a été un défenseur des « pro-vie » encore plus ferme que Ronald Reagan voici quarante ans. Enfin, Donald Trump a consacré beaucoup de temps à la politique étrangère, pour ramener la politique américaine dans un cadre national, après trente ans d’impérialisme. 

Une référence pour tous les conservateurs du monde

Lutte contre l’immigration clandestine, contre l’islamisme, contre le terrorisme; rénovation de l’appareil militaire américain au service d’une politique étrangère au service d’un nouvel équilibre des puissances, en particulier face à l’impérialisme chinois; renégociation des grands accords commerciaux dans le sens des intérêts américains; incitation fiscale très fortes aux créations et relocalisations d’emplois; nominations de plusieurs centaines de juges à des postes clé, la question de la Cour Suprême n’étant que le couronnement d’une volonté bien plus large de retirer à la gauche sa capacité à faire avancer son programme délétère par le pouvoir des juges. Enfin, soutien sans faille aux pro-vie. En fait, le président américain a refondé la droite américaine, dont les élites avaient préféré, avec Bush et les « néo-conservateurs », la connivence mondialiste aux intérêts de la société américaine. L’objectif d’un populiste est bien de faire entendre la voix, dans la démocratie malmenée, des classes moyennes et des catégories populaires. Mais le paradoxe est qu’un populiste ne peut arriver à ses fin qu’en Sortant du populisme, qu’en faisant un compromis avec une partie du monde dirigeant. La démocratie ne peut fonctionner, en effet, que si elle repose sur l’affrontement entre plusieurs options politiques portées par des membres de l’élite et intégrant, potentiellement, toutes les classes sociales. Voici pourquoi un populiste de gauche doit toujours, à un moment, se faire social-démocrate; et un populiste de droite se muer en conservateur. 

Mission réussie pour Donald Trump. Les Démocrates le savent tellement bien qu’ils ont décidé de répandre le bruit, par New York Times interposé, que l’actuel occupant de la Maison Blanche n’avait pas payé d’impôts ces dernières décennies, espérant rompre ainsi le lien affectif réciproque que le milliardaire a établi avec les catégories populaires. Les Démocrates, en véritables « sécessionnistes », sont prêts à tous les coups pour déboulonner Trump. Je continue pourtant à faire le pari qu’il sera réélu. Et ce sera très important pour l’avenir des mouvements conservateurs dans le monde. Reparlons-nous après le débat de mardi soir. 

Bien fidèlement à vous. 

Benjamin Disraëli

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