Directive secret des affaires : comment l’Europe est en train de tuer le secret des sources en toute discrétion<!-- --> | Atlantico.fr
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Une directive européenne menace le secret des sources.
Une directive européenne menace le secret des sources.
©Reuters

Infiltration

Une directive portant sur le secret des affaires et le secret des sources est en passe d'être votée en commission, au Parlement européen. Une discussion aura lieu mardi 16 juin. Des soupçons liberticides pèsent sur cette directive, le volet portant notamment sur le secret des sources dans la presse étant fortement décrié.

Nicolas Gros-Verheyde

Nicolas Gros-Verheyde

Vice président de l'AJE (Association des Journalistes Européens), membre du bord du Press Club Brussel Europe

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Atlantico : En France, des mesures similaires initialement prévues dans la loi Macron avaient rencontré de vives résistances, contraignant le gouvernement a faire marche arrière.  Quels sont les risques du texte discuté à Bruxelles ?

Nicolas Gros-Verheyde : La loi Macron visait autant les procédures pénales que civiles. Le texte en discussion, une directive, ne vise que les aspects civils. Ce qui n'est pas moins dangereux. La Commission européenne minimise les risques posés pour la liberté de la presse en disant que cela n'a qu'un objet civil. Or, chacun sait que les procédures en responsabilité n’ont pas pour but obtenir réparation d'un préjudice. Elles ont un seul but : asphyxier les médias, faire taire des sources… En soi, elles sont d’ailleurs plus risquées pour les médias, et les journalistes, et plus dissuasives. Les indemnités peuvent réussir à faire fermer un média ou, à tout le moins, éroder son envie d’enquêter. C’est d’ailleurs l’objectif recherché...

Le texte proposé est-il satisfaisant  ? Quels sont les points de la directive qui concentrent  les critiques?  

L'ensemble en discussion n’est pas du tout satisfaisant. La liberté du journaliste d'enquêter est très mal protégée. Elle ne constitue qu’une exception particulière et non une exception générale. De plus, elle est conditionnée à un usage "légitime". L’élément le plus inquiétant est l’absence de protection des sources. Le lanceur d’alerte ne sera protégé que si l’acquisition "illicite" a été nécessaire pour une telle révélation et qu’il a agi dans "l’intérêt public". Cela fait beaucoup de conditions. La combinaison de tous ces éléments fait que la liberté de la presse n’est pas automatique mais subordonné à la réalisation de la liberté des entreprises de préserver leurs "secrets". Il pourrait de fait aboutir à un renversement de la charge de la preuve. Le journaliste et le média devant prouver qu’il n’a pas mal agi.

Peut-on s'attendre à voir les pays membres s'arranger avec cette directive comme ils le souhaitent ?

Oui. Non seulement ce texte est assez flou sur la protection de la presse et des sources. Mais, il laisse aux Etats membres une très large part d'interprétation. Le risque est de voir certains gouvernements – en Hongrie, en Roumanie, en Bulgarie - s'engouffrer dans la brèche pour limiter un peu la liberté de la presse et surtout la liberté des différentes sources de communiquer des informations à la presse, notamment dans les entreprises. Ce flou arriverait à un résultat contraire à l'objectif recherché. Au lieu d'harmoniser les différentes législations européennes, il va favoriser une nette dispersion.

La liberté de la presse est-elle seule menacée ? Quid de la protection des lanceurs d'alerte par exemple?  

Vous avez raison. C'est surtout au niveau des lanceurs d'alerte, et donc de la protection des sources que ce texte est le plus inquiétant. Et les derniers amendements de compromis proposés par le groupe du parti populaire européen sont liberticides sur ce point de vue, davantage encore que la proposition initiale de la Commission.

N'est-ce pas là le réel objectif de cette directive   ?

Peut-être. Car aucun élément logique, compréhensible, n’a vraiment été avancé pour justifier ce texte si ce n'est une vague nécessité d'harmoniser la législation sur le secret d'affaires. La nécessité de protéger les PME semble davantage un paravent qu'une réalité. Ce texte obéit davantage à la volonté de certaines grosses entreprises de faire taire leurs sources internes. On est ainsi étonné de la forte mobilisation d'entreprises de la pharmacie, de la cosmétique en coulisses pour durcir le texte. On peut être également étonné de la volonté de certains, notamment de la Commission européenne comme de certains eurodéputés, de boucler ce dossier rapidement. Ce qui, pour un sujet aussi sensible, et aussi délicat, est plus que troublant. Est-ce la volonté d'harmoniser avec les règles en discussion aux Etats-Unis dans le cadre plus général du TTIP   ? On peut se poser la question. Car une nouvelle législation fédérale a été présentée de l’autre côté de l’Atlantique en septembre 2014.

La tentation pourrait être très grande d’avoir une position radicale. Pour nous, à l'AJE-France, ce n'est pas le cas. Une directive bien rédigée pourrait être un pas intéressant pour la protection des sources et la protection du journalisme d’investigation dans de nombreux pays où ces deux notions sont mal protégées. A l’inverse, une directive mal rédigée pourrait être perçue comme un encouragement à faire des brèches dans la liberté de la presse et d’expression. Pour l'instant, malheureusement, la balance ne penche pas du bon côté, du côté des libertés fondamentales. 

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