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Détournements de fonds publics : pourquoi les escroqueries "à la Théo et sa famille" sont monnaie courante via les associations travaillant en banlieue
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Escroquerie

Théo Luhaka, connu sous le nom de Théo depuis sa violente interpellation en février 2017, a été arrêté avec plusieurs autres membres de sa famille pour répondre de soupçons d'escroquerie aux aides de l'Etat.

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Théo Luhaka, connu sous le nom de Théo depuis sa violente interpellation en février 2017, a été arrêté avec plusieurs autres membres de sa famille pour répondre de soupçons d'escroquerie aux aides de l'Etat - "escroquerie en bande organisée, abus de confiance et blanchiment" pour être plus précis. Il aurait participé au détournement de centaines de milliers d'euros et empoché une somme de 52.000 euros. Ce genre d'affaire est-elle isolée ou les aides et subventions de l'Etat sont-elles régulièrement "détournées" de la sorte ?

Guillaume Jeanson : Vous faites référence à l’interpellation très largement médiatisée de février 2017 pour laquelle une enquête est également en cours. Pour éviter toute confusion, il convient bien évidemment de dissocier cette affaire de celle qui nous intéresse ici et qui concerne, rappelons-le, l’association Aulnay Events soupçonnée de fraude entre 2015 et 2016. C’est à dire bien avant l’affaire dite « Théo ». La question que doit se poser le parquet de Bobigny est probablement de savoir s’il y a eu une mauvaise gestion des deniers publics ou une intention volontaire d’escroquerie, auquel cas les risques pourraient être importants. Mais la question que vous me posez dépend plus précisément de ce qui fait l’objet de la fraude. Il pourrait en effet y avoir une fraude concernant des subventions accordées à l’association et une fraude concernant spécifiquement des contrats de travail. A en juger par le peu d’éléments du dossier sortis dans la presse, il faut bien sûr se montrer prudent. Il se pourrait que l’infraction la plus importante soit une fraude aux « emplois aidés » et plus précisément à des Contrats d’Accompagnement à l’Emploi. Est-ce que cette affaire est isolée ? Rappelons qu’il y a deux mois seulement, en avril dernier, une vaste fraude concernant des emplois aidés qui aurait rapporté plus de 7 millions d’euros avait déjà conduit à la mise en examen de sept personnes… Concernant l’association de Mickaël LUHAKA, le frère de Théo, le montant de la fraude serait toutefois d’un montant moindre, puisqu’on parle de près de 650 000 euros.

L’importance des subventions de l’État (2 milliards d’euros de subventions allouées aux associations par l’État en 2015 selon l’une des annexes du projet de loi de finances pour 2017 dite « effort financier de l’État en faveur des associations ») peut malheureusement conduire certains à profiter du système. Mais dessiner une tendance demeure un exercice compliqué. Il faut déterminer si les contrats conclus étaient fictifs ou non, et cela pose donc la question du contrôle de ce type de contrat. En effet, ces Contrats d’Accompagnement à l’Emploi sont conclus entre l’employeur (l’association donc), le salarié et le pôle emploi qui doit les contrôler. De la même manière, l’utilisation des subventions accordées aux associations, qu’elles soient issues d’un concours financier de l’État ou d’une collectivité territoriale, est sensée être contrôlée. Le contrôle peut être politique (par les élus de la collectivité qui a accordé ces subventions). Mais il peut aussi être juridictionnel ou financier. C'est-à-dire qu’il peut être réalisé par la Cour des comptes (si la subvention a été accordée par l’État) ou par une chambre régionale des comptes (si la subvention a été accordée par une collectivité). Le contrôle peut également être administratif (par les comptables du Trésor public ou l’Inspection générale des finances par exemple), et enfin ce contrôle peut encore naturellement être exécuté par un Commissaire aux comptes dans certaines circonstances et au-delà de certains seuils prévus par la loi. Ces contrôles sont donc en théorie nombreux mais ils peuvent tout aussi bien conduire en réalité à des doublons ou des lacunes au détriment de leur efficacité réelle. 

La législation actuelle encadre-t-elle correctement ce type de fraudes ? Les condamnations sont-elles à la hauteur des accusations ?

Si l’on s’en réfère aux informations sorties dans la presse au sujet de cette deuxième affaire Théo, une information judiciaire aurait été ouverte en août 2017 contre X pour « escroquerie en bande organisée au préjudice d’un organisme chargé d’une mission de service public, abus de confiance et blanchiment ». Pour mémoire, dans le code pénal, l’escroquerie que l’on retrouve à l’article 313-1 (et dont les articles suivants prévoient toutes sortes d’aggravation) peut faire encourir des peines, lorsqu’elle est commise en bande organisée, allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 1.000.000 d’euros d’amende. L’abus de confiance est quant à lui puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d’amende et le blanchiment l’est de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. Ces fraudes peuvent donc être sanctionnées lourdement par la loi.

La pratique conduit bien sûr à relativiser la réalité du risque réellement encouru. La justice française a en effet tendance à juger plus sévèrement les infractions d’atteintes à la personne et de violences que celles qui ont trait à une forme de délinquance financière. A tout le moins pour ce qui concerne les peines de prison susceptibles d’être prononcées dans ces affaires. Les peines d’amendes étant en revanche souvent sensiblement plus lourdes. Pour illustrer ce point, nous pouvons mentionner par exemple cette décision rendue au mois de novembre dernier par le tribunal correctionnel de Nantes dont la presse s’était faite l’écho au sujet d’un ancien viticulteur condamné  à six mois de prison ferme pour « escroquerie » par le tribunal correctionnel de Nantes, pour avoir décroché en 2010 un peu plus de 300.000 euros de subventions européennes indues à l’aide de faux documents. Précisons que cette peine de prison ferme avait évidemment vocation à être commuée en une autre peine afin de permettre à la personne condamnée d’éviter la prison. Précisons toutefois que, si la peine de prison prononcée n’a été ici que symbolique, l’ancien viticulteur a néanmoins été également condamné à payer une amende de 30.000 euros. Si l’on regarde du côté de nos voisins belge, la tendance semble comparable : en 2016, la presse se faisait cette fois l’écho d’une affaire de détournement de plusieurs centaines de milliers d’euros de la part d’un responsable associatif qui officiait « dans le domaine de l'intégration des personnes issues ou non de l'immigration dans la société belge ». Ses deux associations avaient bénéficié de plus d’un million d’euros de subsides sur plusieurs années de la part de la région Wallonne sur plusieurs pour soutenir son activité. Le parquet se serait pourtant cantonné à réclamer une peine de 12 mois de prison avec sursis, une amende de 1 000 euros et une interdiction commerciale à son encontre…

Que recommandez-vous pour lutter plus efficacement contre ces fraudes ?

Simplifier les contrôles et les centraliser. Mais aussi sans doute intensifier les enquêtes. C’est ce qui a permis depuis le début des années 2010 à l’Office européen de lutte antifraude d’accroître considérablement le montant des sommes récupérées au titre des fraudes aux subventions européennes. Pour lutter contre les fraudes à cet échelon européen, des efforts conséquents ont d’ailleurs encore été annoncés ces jours-ci. La Commission vient en effet de proposer de mettre à disposition 181 millions d'euros pour le prochain budget de l'UE à long terme pour la période 2021-2027 afin de soutenir les efforts déployés par les États membres pour lutter contre la fraude. Cette annonce s’inscrit dans un contexte volontariste tel qu’en témoigne la création d’un parquet européen entérinée par l’adoption par les ministres de la Justice de l’Union européenne réunis au sein du Conseil « Justice et affaires intérieures » le 12 octobre 2017 d’un règlement instituant ce parquet européen. Un parquet se donnant notamment pour ambition de lutter contre les fraudes aux subventions européennes mais qui ne devrait prendre ses fonctions qu’en 2020. Pour l’anecdote, l’ancienne juge Eva Joly avait salué cette avancée à l’automne dernier, en indiquant : « Il ne sera plus possible, comme on l'a vu, notamment en France, à l'exécutif de décrocher le téléphone ».

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