Désmicardisation, débureaucratisation : louable ambition, mauvais moyens<!-- --> | Atlantico.fr
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Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre a indiqué qu’il souhaitait « désmicardiser la France ».
Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre a indiqué qu’il souhaitait « désmicardiser la France ».
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Ambitieux

Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre a indiqué qu’il souhaitait « désmicardiser » et « débureaucratiser » la France.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre a indiqué qu’il souhaitait « désmicardiser la France ». « Nous devons faire évoluer un système qui nous a conduits, depuis des décennies, à concentrer nos aides, nos exonérations, au niveau du SMIC », a déclaré Gabriel Attal. Lors du prochain projet de loi de finances, ce système sera réformé. Gabriel Attal a confirmé la volonté du gouvernement d’aller « plus loin dans la réforme de l’assurance-chômage » et dans la nécessité de lutter contre « toutes les trappes à inactivité ». Que faut-il penser de ce projet de désmicardisation de la France ? Est-ce crédible et possible au niveau du système français ? Quels seraient les moyens nécessaires pour le mettre en oeuvre ?

Don Diego De La Vega : La sortie par le haut passe par l'augmentation des gains de productivité. Les gains de productivité permettent à moyen et long terme de véritablement élever le niveau des salaires réels dans un pays. En France, depuis maintenant plus de six ans, les gains de productivité d'année en année sont chaque fois négatifs. Toute augmentation des salaires réels est suspecte. Elle est destructrice. A un moment elle détruira de l'emploi, de la compétitivité. La voie par le haut est une voie de moyen, long terme. L'augmentation des gains de productivité est possible par le haut, non pas par des licenciements, mais par de l'innovation, une meilleure incorporation du progrès technique. Cela n'est pas lié directement à la main du gouvernement, c'est un sujet structurel de moyen long terme.

Il y a une solution par le bas qui consiste à s'organiser pour qu'il y ait un plus grand différentiel entre le salaire minimum et le salaire médian. Cela suppose de rendre plus flexible le salaire minimum en France. Cela suppose d'arrêter de donner des coups de pouce au SMIC de façon systématique. Dans une économie qui stagne, si vous augmentez le SMIC plus vite que la croissance de l'activité véritable du pays, il n'est pas étonnant qu'au bout d'un moment vous ayez une forme de smicardisation, c'est à dire de rapprochement entre le salaire minimum et le salaire médian. J'ai bien peur que ce soit cette solution qui soit envisagée puisque la solution par le haut n'est pas vraiment à notre portée immédiatement.

Alexandre Delaigue : La smicardisation est un phénomène bien connu. De plus en plus de gens se retrouvent avec leurs revenus qui se situent au niveau du SMIC. Il y a deux phénomènes qui sont le fait que le chiffre des personnes qui sont au SMIC augmente et du côté des hauts salaires, un certain nombre de choses viennent restreindre les hauts revenus. Il est important de parler de la fiscalité liée à la protection sociale et de son coût réel. Ce phénomène n’est pas nouveau. Lorsque l’on étudie la différence entre ce que coûte le salarié et ce que celui-ci va recevoir en salaire net, une énorme partie est absorbée par les cotisations sociales. Les gains de productivité sont intégralement absorbés par les hausses des cotisations, par toutes les hausses qui sont liées aux cotisations sociales.

Face à cette réalité, il est possible d’envisager de baisser le coût des cotisations sociales pour que les salariés récupèrent une somme plus importante sur leur salaire. Le problème est que ces cotisations sociales vont réduire les revenus pour d'autres car ce sont les revenus de transfert. Les cotisations sociales sont pour l'essentiel des retraites ou des dépenses de sécurité sociale. Vous n'allez pas augmenter globalement les revenus des travailleurs de cette manière-là. La seule solution, véritablement, serait d'augmenter la productivité. Mais dans ce cas-là, si vous voulez augmenter la productivité, le problème va être les trappes à inactivité. Cela est lié à l'assurance chômage. Certaines personnes font le choix de ne pas travailler et préfèrent plutôt toucher des allocations.

Avec toutes les réformes qu'il y a eu sur l'assurance chômage, ce n’est pas cela qui va changer quoi que ce soit à la smicardisation de la France. Est-ce que vous allez remplacer des gens qui touchent des allocations par des gens qui touchent le SMIC ? Il ne faut pas s'imaginer que cela sera vu autrement.

Un grand nombre de choses ont été faites en matière de réformes de l'assurance chômage ou de réforme du marché du travail. Nous arrivons au bout d'un système. Il n'y a pas grand-chose à en attendre. On pourrait espérer, comme aux Etats-Unis, que la France se retrouve avec une demande de travail qui est tellement forte que les entreprises paient les salaires à un niveau proche du plein emploi. Mais la grande différence entre nous et les Etats-Unis, de ce point de vue-là, c'est le fait que, aux Etats-Unis, il y a un soutien à la demande qui est encore plus important que ce qui est fait chez nous. Donc cela paraît peu probable de parvenir à cela via ce moyen.

Gabriel Attal a dit aussi souhaiter « débureaucratiser la France ». Il a promis d’évaluer les normes qui peuvent être « supprimées » ou « simplifiées ». La France peut-elle réellement être débureaucratisée ? Ce projet peut-il réellement se mettre en place dans notre pays ?

Alexandre Delaigue : Cette annonce est l'exemple même du vœu pieux. Les problèmes rencontrés par les agriculteurs ont permis de révéler l’accumulation de normes. Toute une culture politique est en cause. Lorsque vous souhaitez atteindre des objectifs et que vous ne voulez pas y consacrer beaucoup de moyens, vous faîtes passer une loi en disant qu’elle va être obligatoire. A partir du moment où on ne veut pas consacrer suffisamment de moyens pour atteindre des objectifs mais que l'on veut juste que les objectifs soient atteints, qu'est-ce que l'on fait ? On discute des objectifs et des normes.

Il est possible d’avoir des normes très ambitieuses et des objectifs précis que l’on souhaite atteindre dans le cadre de la débureaucratisation. Très peu de pays parviennent à faire réellement une déréglementation suffisante. La réglementation en France est le résultat d'un équilibre politique dans lequel on ne veut pas faire de choix et donc on multiple les normes. Parce que l’on veut tout et le contraire de tout. On rend et on décide que tout doit être normalisé et obligatoire sans faire de choix.

Cela aboutit à un tas de normes qui, prises individuellement, peuvent avoir un certain sens, mais dont l'accumulation est contradictoire et conduit à des aberrations. Cela est vécu, à juste titre, comme de plus en plus insupportable.

Il ne va pas être facile de décider du jour au lendemain d'alléger les contraintes environnementales. Très vite, cela va poser des problèmes vis-à-vis de l'Europe. Il sera décidé de maintenir les contraintes environnementales, mais on va éviter de trop les appliquer.

L'intention de vouloir débureaucratiser est louable, mais la vraie question à se poser est de savoir comment en sommes-nous arrivés à être autant bureaucratisés à la base. Il n’y a pas eu en France un grand changement politique, une grande période dans laquelle d'un seul coup l’objectif était de bureaucratiser la France à outrance. La réalité de cette bureaucratisation est qu'elle est particulièrement enracinée dans la multiplication des niveaux de responsabilités politiques. Est-ce que l’on va décider de supprimer un échelon ? Est-ce que l'on va décider de supprimer les départements ou les régions ? Est-ce que l'on va faire ce genre de choses ? A force de ne pas vouloir choisir, on se retrouve dans cette situation.

En annonçant que l’on va débureaucratiser, cela va créer très probablement une administration, voire un Haut conseil chargé de la débureaucratisation qui publiera un magnifique rapport, sur les normes et sur les procédures, qu'il va falloir appliquer pour réduire les normes.

Don Diego De La Vega : Ce projet de débureaucratisation ne pourra pas se mettre en place. Il faudrait une démission du gouvernement et la sortie d’Emmanuel Macron de l'Elysée. Emmanuel Macron est responsable de la plus importante inflation normative de l'histoire du pays. Depuis dix ans, Macron a un poste important dans la République française. Il est le grand pourvoyeur de réglementations, soit directement de son propre chef, soit via la transposition des directives européennes. Donc ce n'est pas aux gens qui ont créé le problème ou en tout cas qui l’ont considérablement augmenté qu'il faut attendre une solution. Le gouvernement Macron est structuré autour de la prolifération législative. Ce qui l'enraye un petit peu est le fait de ne pas avoir de majorité depuis deux ans, en tout cas pas de majorité claire. Mais c'est un gouvernement qui est organisé dans ce sens-là. C'est d'ailleurs essentiellement un gouvernement d'énarques. Il n'y a pas de hasard. Ils ont tout intérêt à la complexification administrative et législative. Ils n'ont pas la moindre intention de simplifier quoi que ce soit. Ils ne sont pas faits pour cela. Ils peuvent de temps en temps supprimer une règle ou simplifier quelque chose, mais immédiatement, le lendemain, ils créeront un comité ou un texte nouveau. Je n'ai jamais vu, depuis sept ou dix ans, une réduction ni du volume du code du travail, du code de l'urbanisme, du code des impôts.

Pour « déverrouiller l’accès au travail », le Premier ministre a annoncé que le conditionnement du RSA à 15 heures d’activité pour l’insertion sera généralisé dans tous les départements d’ici le 1er janvier 2025. Il a également déclaré que les chômeurs en fin de droits n’auraient plus d’allocation spécifique de solidarité permettant « sans travailler, de valider des trimestres de retraite » et basculeraient au Revenu de solidarité active (RSA). Ces mesures sont-elles susceptibles de réellement déverrouiller l’accès au travail en France ?

Alexandre Delaigue : Ces mesures partent du principe que le seul problème est que les gens ne veulent pas travailler et que cela expliquerait le fait que l'intégralité du chômage en France soit ce qu'on appelle le chômage volontaire, des gens qui pourraient trouver du travail de l'autre côté de la rue mais qui refusent de le faire parce qu’ils ont trop d'allocations et trop d'avantages. Est-ce que cela reflète véritablement la réalité ?

Les obstacles à l’emploi sont nombreux en France. L'un des grands problèmes est que l’on remplace des trappes à inactivité par des trappes à pauvreté. Les gens n'ont plus le choix entre des allocations beaucoup trop faibles ou essayer de trouver des emplois particulièrement mal payés dans lesquels ils vont faire quelques heures. Cela ne va pas particulièrement les pousser vers l'emploi.

Pour les 15h d'activité, beaucoup de questions se posent. Qui a besoin de gens qui sont au RSA et qui n'ont pas particulièrement envie de faire quoi que ce soit et qui viennent là uniquement parce qu'ils sont obligés de faire leurs 15h d’activité pour pouvoir toucher leurs allocations ? Quel employeur voudrait recruter ce genre de personnes ? Au bout du compte, il sera obligatoire de leur fournir des pseudo emplois dans des collectivités territoriales locales qui seront bien contentes de toucher des aides de l'Etat pour faire semblant de faire travailler les gens.

Il est facile de critiquer, avoir des propositions concrètes est toujours plus délicat. Mais la première chose à faire quand on a des problèmes est d'arrêter de creuser le trou dans lequel on a creusé depuis des années.

Don Diego De La Vega : Ce n’est pas suffisant pour créer un véritable choc. Cela conduit à taper sur les plus faibles. Je ne pense que cela pourra résoudre le problème de l’accès au travail. Cela fait partie des espèces de petits totems que l'on agite. Je doute que cela soit appliqué. C'est un peu comme la loi immigration. Il y a une énorme distance entre ce qui est proposé comme texte et ce qui sera finalement appliqué à la fin. Notre marché du travail est beaucoup trop régulé par l'Etat.

Quels sont les obstacles du modèle français ? Quelles seraient les mesures indispensables à mettre en œuvre ? La France peut-elle réellement être désmicardisée, débureaucratisée et dévourouillée pour l’accès au travail ?

Don Diego De La Vega : Il y a un trop grand nombre de structures étatiques ou infra étatiques en France entre les 34 945 communes, 100 départements, une douzaine de régions. Il n'y a pas de réforme possible en France à carte territoriale constante.

La libéralisation du foncier doit intervenir. On ne peut pas prétendre réintroduire de la flexibilité dans le pays s’il n’est plus possible de construire. Il faut trouver les moyens de libérer le foncier et plus généralement de libéraliser le secteur de l’immobilier.

La monnaie a aussi son importance. On a voulu rendre un serviteur de la monnaie à travers les banquiers centraux indépendants, sanctuarisés à Francfort. Il faudrait pouvoir questionner l'autorité monétaire, notamment quand elle commet de grosses erreurs, réintroduire au moins une sorte d'audit, voire demander plus de transparence à la BCE.

Il faut se focaliser sur quelques points et agir. Le problème de la France, notamment depuis Emmanuel Macron, est qu'on ne se focalise pas assez. Il y a toujours des catalogues de mesures, des catalogues de réformes. Il faut se focaliser sur quelques points et aller jusqu'au bout de ces mesures précises. Sur l'immigration, l'insécurité, la monnaie, la santé ou l'éducation, il faut vraiment se focaliser sur quelques points et agir. Il est urgent d’établir des priorités et d’en finir avec toute la débauche de communication.

Alexandre Delaigue : Les mesures sont difficiles. Nous sommes plus dans un problème de culture et d'attitude. Ce n’est pas quelque chose qui va changer facilement malheureusement. Ce qu'il faudrait, c'est arriver à réaliser des gains de productivité mais on ne sait pas véritablement comment faire.

Il est important de faire un certain nombre de choix et de fixer des priorités. Si on veut faire des choix pour augmenter la productivité, je pense qu’il faut cesser de se préoccuper de choses qui sont virtuelles et qu’il est nécessaire de se mobiliser sur des tâches concrètes pour la transition énergétique, pour la production d'électricité. Or, nous tournons en rond actuellement.

Comment se fait-il que nous n’ayons pas de gains de productivité et que l’on ne consacre pas des ressources à des objectifs ? Pourquoi est-ce que l’on passe tant de temps à définir des objectifs et pas les ressources que l'on souhaite y consacrer. Peut-être qu'il faudra faire des choix qui seront douloureux pour un certain nombre de personnes pour dégager des ressources pour satisfaire d'autres besoins.

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