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Les prisons modernes isolent trop les détenus.
Les prisons modernes isolent trop les détenus.
©Reuters

Jail

Mai 2013, le Conseil de l'Europe notait dans un rapport que le taux de suicide dans les prisons françaises était deux fois supérieur à la moyenne constatée dans les 47 pays membres. Pourtant, beaucoup de vieilles prisons délabrées et insalubres ont laissé placent à des prisons neuves et ultra-sécurisées. Le drame des prisons modernes serait dû aux pouvoirs publics et aux architectes qui ont privilégié la rationalisation, synonyme de déshumanisation.

Atlantico : La prison HMP Oakwood, au Royaume-Uni, inaugurée en avril 2012, est érigée en modèle de prison moderne par le gouvernement. Et pourtant, plusieurs rapports la pointent du doigt. En effet, les actes violents ne s'y sont pas rares. En France, on remarque également une augmentation des violences carcérales dans les prisons modernes. Comment se manifestent concrètement ces violences ?

Véronique Vasseur :Les prisons modernes sont plus propres mais mal acceptées par les détenus car la solitude remplace la crasse. Tout y est électronique et les détenus et les surveillants ne voient pas grand monde de la journée. Quand mon livre est sorti, les prisonniers ne se plaignaient pas tant de l'insalubrité que du manque d'espoir, du manque de travail, du manque de sport ou encore d'écoute et de compréhension ... Bref, du manque de tout. Sur les 200 qui venaient à l'infirmerie tous les jours, le tiers seulement était malade, le reste venant trouver du réconfort. Ce qui est au final très couteux.

Michel Bénézech : Lorsqu'il y a isolement ou rupture des communications, il est fatal qu'il y ait une augmentation des violences envers le personnel pénitencier et entre les détenus. On note cinq à huit fois plus de cas de dépression en milieu carcéral qu'en milieu extérieur. Ce phénomène s'est accentué avec les prisons modernes du fait d'un isolement lié à l'aménagement des bâtiments.De même, l'automatisation de ces prisons (clés électroniques, cartes magnétiques, etc.) empêche les détenus d'avoir un contact avec les surveillants. J'ajouterais que l'isolement est également dû au fait que les prisonniers ne sont généralement pas des solitaires, ce sont des personnes qui aiment vivre en collectivité. Donc même si un détenu a une télévision dans sa cellule, il se sent seul.

Concrètement, cela se manifeste par des insultes, des menaces, des agressions physiques voire des homicides. Certains prisonniers s'en prennent à leur propre vie.

Certes la sécurité est davantage assurée pour le personnel, mais on a favorisé la déshumanisation.

Au Royaume-Uni, l'aménagement des bâtiments de la prison HMP Oakwood expliquerait cette violence endémique. En France, il semblerait que la problématique serait la même. Qu'est-ce qui, dans l'organisation de l'espace de ces prisons modernes, pose problème ? Était-ce mieux avant ?

Véronique Vasseur : Les prisons doivent rester à échelle humaine avec de la discipline et du travail. Le but n'est pas qu'ils sortent haineux ou abrutis mais qu'ils se réinsèrent dans la société. C'est tout ce pan de la loi pénitentiaire qui est un vœu pieux et bien hypocrite.  

La réinsertion n'existe pas en prison et tout le monde s'en fout !

Michel Bénézech : Lecloisonnement, la déshumanisation, le manque de contacts sont des facteurs pathogènes. Auparavant, il y avait dans les prisons des dortoirs ; la vie, dans la journée, se faisait enchauffoir, c'est-à-dire autour de moments de convivialité entre détenus avec jeux de cartes, discussions, blagues voire préparations de coups… Ces prisons-là étaient animées par une vie sociale. En outre, elles étaient organisaient selon une certaine hiérarchie entre caïds, braqueurs, criminels… Et donc, en micro-sociétés. Au final, on remarquait une entraide des détenus contre le système ou entre prisonniers malades, par exemple.

En somme, avec les prisons modernes, on a privilégié l'organisation spatiale – l'hyper-cloisonnement – au service de la sécurité au détriment de l'organisation sociale qui primait autrefois. On a ainsi déshumanisé davantage la prison.

Les prisons sont-elles aujourd'hui gérées comme des entreprises où "rationalisation" est le mot d'ordre ?

Michek Bénézech : Oui, sans doute. Tout est ou devrait être géré selon les canons économiques actuels comme dans les entreprises. Mais les entreprises qui fonctionnent le mieux sont celles où il existe un certain relationnel.

Alors à quoi ressemblerait la prison moderne "idéale" selon vous ?

Michek Bénézech :La prison qui fonctionnerait le mieux serait celle où il y aurait un haut niveau de sécurité, une vie communautaire, et des programmes adaptés et personnalisés de réinsertion. La France est assez à la traîne sur le dernier point. En effet, en ce qui concerne les programmes, on n'a ni la théorie ni les moyens financiers.

Il faut toutefois noter des limites à ce système "idéal". En effet, penser que beaucoup de délinquants récidivistes peuvent être suivis en milieu ouvert est certainement une utopie. Le Canada a expérimenté la chose et en a payé les frais.

Je finirais par évoquer l'augmentation considérable du nombre de malades mentaux au sein du milieu carcéral (conduites addictives, dépressions, troubles, psychoses et schizophrénies). Nos prisons se sont psychiatrisées de plus en plus avec des Unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) en leur sein – à défaut d'assurer des lits à ces détenus en hôpital psychiatrique, on les a transféré dans des "prisons psychiatriques". Ceci accroît l'insécurité des détenus et du personnel. Quand bien même nos prisons sont aménagées en secteurs (un secteur pour malades mentaux, un secteur pour les criminels, un secteur pour les délinquants…), il n'en reste pas moins que ce n'est pas suffisamment bien organisé.

Aujourd'hui, la prison a besoin de redéfinir son rôle. Il y a un réel problème au niveau de la réinsertion. Je pense qu'il devrait y avoir des prisons différentes.  

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