Déserts ruraux et vieillesse : le double emprisonnement du très grand âge et de la raréfaction des services<!-- --> | Atlantico.fr
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Les vieilles personnes se trouvent souvent isolées en campagne.
Les vieilles personnes se trouvent souvent isolées en campagne.
©Reuters

Naufrage

"Ruralité et vieillesse, la double peine ?", c'est le thème choisi par les premières Assises de Gérontologie qui se sont déroulées à Paris le 21 octobre 2015. Un événement construit comme une plateforme d'échanges et de réflexions sur la situation et les difficultés des différentes populations âgées vivant en milieu rural, notamment en ce qui concerne leur santé, leurs conditions de vie matérielles, relationnelles et culturelles.

Serge Guérin

Serge Guérin

Serge Guérin est professeur au Groupe INSEEC, où il dirige le MSc Directeur des établissements de santé. Il est l’auteur d'une vingtaine d'ouvrages dont La nouvelle société des seniors (Michalon 2011), La solidarité ça existe... et en plus ça rapporte ! (Michalon, 2013) et Silver Génération. 10 idées fausses à combattre sur les seniors (Michalon, 2015). Il vient de publier La guerre des générations aura-t-elle lieu? (Calmann-Levy, 2017).

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Atlantico : Vous êtes intervenu lors de ces Assises de Gérontologie. Connaissez-vous les raisons pour lesquelles a été choisi le thème "Ruralité et vieillesse" ?

Serge Guérin : Il s'agit de deux "parents pauvres". La question de la ruralité n'est pas très à la mode. Elle est confrontée à un certain déni, voire à du dédain. De plus, on ne sait pas vraiment comment définir cette notion de ruralité. S'agit-il d'une sorte de reliquat de la paysannerie ou est-ce autre chose ? Aujourd'hui, la ruralité est majoritairement non-agricole. La majorité de la population française vit hors des grandes métropoles. Mais le discours ambiant a tendance à penser que la France qui bouge c'est celle des métropoles – alors qu'elles ne regroupent que 25% de la population. Les 75% restants vivent ailleurs et sont souvent en difficulté parce qu'il y a moins de service public et parce que c'est plus compliqué d'y construire des réseaux. Quant à la vieillesse, elle s'oppose à la jeunesse, au fait d'"être dans le coup". Elle vit elle aussi un regard plutôt négatif, voire méprisant. Vieillesse et ruralité, c'est donc un peu la double peine.

On ne peut pas faire comme si la France n'était composée que de grandes métropoles : une grande partie de la population vit ailleurs, un ailleurs qui est tout aussi intéressant. En réalité, il se passe beaucoup de choses dans la ruralité : un tissu social extrêmement important, un tissu associatif, des entreprises, des PME, des gens qui se battent, des collectivités territoriales qui créent du maillage, des initiatives personnelles qui inventent des micro-solidarités et qui utilisent parfois les technologies pour recréer du lien, y compris pour les plus âgés. Des initiatives qui pourraient intéresser les villes.

Pratiquement le quart de la population française – 24% exactement - a aujourd'hui 60 ans. Dans les zones rurales, ce taux s'élève à 30% car il y a davantage de personnes âgées rapportées à la population totale. Mais en même temps, ces zones ont moins de moyens car il est plus difficile d'y mobiliser des moyens financiers et humains pour accompagner ces personnes.

La vie quotidienne des personnes âgées dans les campagnes s'est dégradée. Quelles pistes sont envisageables pour l'améliorer ?

Les conditions de vie des personnes âgées dans les campagnes se sont dégradées parce que les personnes vivent-là depuis longtemps et qu'elles ont vu le nombre de services se réduire. Il y a moins de services publics, moins de tissu de solidarité en provenance des collectivités.

On assiste aujourd'hui à un double mouvement. Il y a une paupérisation des départements – qui ont plus de mal qu'avant à soutenir un public de personnes âgées. Le public âgé doit donc inventer lui-même une nouvelle situation pour s'adapter. C'est à l'homme ou la femme de 85 ans de dessiner la société de la vieillesse. Les collectivités et les décideurs n'ont pas été capables de préparer cette situation. Donc il y a une course entre le vieillissement d'un côté et la capacité – ou non – d'un territoire à s'adapter à cette réalité.

Ce rôle revient en principe à la commune et au département. Mais dans la  réalité ce sont essentiellement les structures associatives – lorsqu'elles sont denses et organisées - qui interviennent pour améliorer la vie quotidienne des personnes âgées. Parfois, ce sont aussi de belles histoires comme par exemple un élu qui a voulu mobiliser autour de ce sujet ou une communauté éducative qui a voulu favoriser le lien entre des écoliers et des personnes âgées autour d'un jardin partagé. Cela demande un volontarisme porté soit par une collectivité – la commune ou le département –, soit par un tissu associatif, soit tout simplement par des individus en position institutionnelle comme le maire ou la directrice d'une école ou des individus qui se regroupent entre eux.

Les nouvelles technologies peuvent aussi jouer un rôle si elles sont mises au service des personnes et qu'on ne demande pas aux personnes d'être à leur service. Elles assurent un véritable rôle de suivi médical – télémédecine - et de sécurisation des personnes – système de téléalarme. Mais il faut prendre garde qu'au prétexte de la technologie on n'en profite pas pour réduire encore la présence humaine. La technologie doit délester l'être humain de certaines actions dont la valeur sociale humaniste n'est pas tellement valorisée pour que cela lui laisse davantage de temps pour les échanges entre personnes.

L'amélioration de la vie quotidienne des personnes âgées en zone rurale passe aussi par la présence humaine, comme par exemple un veilleur de nuit payé par la ville ou le facteur qui passeraient voir si tout va bien. Les mutuelles doivent aussi se mobiliser autour de cette problématique.

Il faut inventer un écosystème territorial qui favorise le bien vivre et une longévité agréable et bienveillante pour toutes les personnes. Cet écosystème sera facteur non seulement de liens mais aussi de dynamique à la fois de technologie et d'emplois.

Réinstallation de commerces, services juridiques, services de santé, etc : comment récréer une vie sociale dans les zones rurales ?

Il serait trop complexe économiquement de recréer les services et les commerces qui ont été supprimés peu à peu des campagnes. En revanche, je pense qu'il est possible de mettre en place des plateformes multiservices dans des lieux comme une petite épicerie, la maison de retraite la plus proche ou les habitats groupés. Il faut parvenir à mutualiser un maximum de services.

Mais ce n'est pas tout : en Nièvre par exemple, une petite troupe de théâtre se déplace de ferme en ferme dans un camion d'alimentation culturel général pour faire de l'animation. Dans le nord, un homme se déplace avec sa camionnette chez les gens pour leur donner des conseils administratifs et juridiques.

La question du territoire ne doit pas être abordée au niveau national, mais dans une logique de proximité. Il y a de très nombreuses petites innovations, des petits projets, des micro-initiatives qui, mis bout à bout, finissent par faire de vraies réponses grâce à une vraie logique économique et une valeur ajoutée humaniste.

Des obstacles nouveaux se dressent pour le "bien vieillir" dans ces zones qui connaissent une désertification et un manque croissant d’infrastructure et de services, notamment en direction des plus âgés.

Observe-t-on des disparités en fonction des régions dans le domaine de la solidarité familiale qui s'exerce vis-à-vis des personnes âgées ?

Il y a des histoires, des cultures qui font que les solidarités familiales ne se développent pas exactement de la même manière au sud ou au nord, dans les villes ou dans les campagnes. Les différences peuvent s'expliquer par le fait que les jeunes sont partis à la ville et que les plus âgés sont restés ou sont revenus. Il y a donc parfois une distance géographique qui peut produire aussi moins de solidarité – bien qu'avec les outils numériques on puisse maintenant pallier un certain nombre de choses.

Selon les régions, mais surtout entre le nord et le sud, on observe des différences culturelles. Il ne s'agit pas tout à fait du même modèle. Les habitudes de vie et l'anthropologie sociale diffèrent. Dans le nord, les gens ont moins bougé. Ce sont des familles qui sont restées ensemble, ce qui crée des solidarités plus évidentes. Il s'agit de personnes qui sont là depuis des générations et qui ont développé le "vivre chez soi", le "vivre dans l'entre soi". Dans le sud, les mobilités sont plus fortes : nombreux sont ceux qui sont venus s'y installer après la retraite et se sont donc éloignés de leurs zones d'amitiés, de leurs liens sociaux et de leur zone familiale. On ne reconstruit pas nécessairement de la même manière à 60 ans les liens sociaux que l'on avait à 20 ans ou 40 ans. 

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