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Mais comment pouvons-nous 
continuer à ignorer le scandale 
de l'absence de bureaux 
à l'école pour les profs ?
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Maîtres carrés

Nicolas Sarkozy a proposé que l’Etat finance l’amorçage du coût d’installation des bureaux des enseignants dans les établissements scolaires. Une mesure au financement mal mesuré mais un pavé dans la mare des habitudes françaises sur la place et le rôle des professeurs à l'école.

Roger Célestin

Roger Célestin

Roger Célestin est journaliste.

Il écrit pour Atlantico sous pseudonyme.

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Nicolas Sarkozy a fait savoir qu’il proposait que l’Etat finance l’amorçage du coût d’installation des bureaux des enseignants dans les établissements. Son entourage évoque une mise de départ comprise entre 50 et 100 millions. J’ai déjà eu l’occasion de le dire : j’adore quand les politiques évaluent leurs idées, à une cinquantaine de millions d’euros près. Comme quand ils écartent telle ou telle mesure, au prétexte qu’elle ne rapporte qu’epsilon, c’est à dire souvent quelques centaines de millions d’euros. On se sent gouverné par des gens responsables, raisonnables, précis, mesurés et surtout, qui savent compter. Pas du genre à nous creuser des déficits publics abyssaux.

Donc Nicolas Sarkozy prévoit que son prochain ministre de l’Education nationale devrait réunir les associations des communes, départements et régions pour définir « une charte de construction des bâtiments scolaires qui intégrera la question des bureaux ». Une charte de construction de bâtiments qui sont déjà construits pour la plupart ! Intéressant concept.
La vérité, c’est que depuis près de trente ans, élus locaux et nationaux, ministres, conseillers, hauts responsables administratifs, syndicalistes, jusqu’aux architectes et bureaux d’études, se sont tenus par la barbichette pour oublier, consciencieusement, d’installer des bureaux. Des milliers de collèges et lycées, sans même parler des écoles, ont été construits, sans bureaux, dans le silence général, y compris celui de la presse.
Et il ne faut pas croire ce que raconte Terra Nova dans sa « note de chiffrage » du 29 février 2012, quand le think tank écrit (gonflé, quand même !) que 'les bureaux pour les enseignants sont une idée partagée bien au-delà de l’UMP. La gauche syndicale et politique y est elle-même ouverte'. C’est bien entendu faux. Ni la gauche, surtout pas syndicale, ni la droite, sauf le candidat Sarkozy 2012, n’ont soutenu cette idée des bureaux. Sinon, ils l’auraient mise en pratique depuis belle lurette. Particulièrement dans les lycées puisque la gauche gouverne depuis longtemps les régions.
Ces collectivités territoriales ont en effet obtenu avec les lois de décentralisation de 82, 83 et 85 la compétence pour la construction, la rénovation et l’entretien des établissements scolaires (plus de 7 000 collèges et près de 4 300 lycées), comme les communes pour les 54 000 écoles.
Si l’on prend les seules Régions, elles ont investi pas moins de 4 milliards 600 millions d’euros en 2009 pour les lycées, soit une hausse de 11 % depuis 2004. Education et formation représentent leur premier poste budgétaire.
On aurait pu penser que les collectivités, soi disant plus proches du « terrain » et des réalités, seraient plus intelligentes que l’Etat. Que nenni !
La réalité, c’est que des milliards d’euros ont été investis depuis le milieu des années 80 par les départements et régions dans la construction ou la rénovation de milliers de collèges et de lycées, sans jamais ou presque prévoir de bureaux pour les profs.
Aussi incroyable que ça paraisse, aucun bureau de prévu au sein des milliers de nouveaux établissements surgis ces vingt-cinq dernières années, commandés par les élus locaux, conçus par des architectes, en concertation avec les proviseurs ou principaux (souvent nommés par anticipation dans leur futur établissement, afin d’être associés au cahier des charges), avec les parents d’élèves ainsi qu’avec les enseignants !
La lecture d’articles ou de rapports de l’Education nationale, datant de quelques années, montre comment la langue de bois sait réécrire l’histoire et inventer une réalité virtuelle. Finalement, ces rapports sont souvent comme un jeu vidéo : ça ressemble à la réalité mais ça n’a aucun rapport.
"Au niveau local, peut-on lire dans l’article d’un inspecteur général de l’Education nationale, l’implication de l’ensemble des acteurs concernés (...) peut donc permettre de mieux prendre en compte les impératifs pédagogiques et contribuer aussi, opportunément, à minimiser les coûts induits de fonctionnement et de maintenance de l’établissement".
Mais oui !  Bravo l’artiste, surtout pour la prise en compte des impératifs pédagogiques ! Quant aux coûts de fonctionnement, il est certain que les professeurs n’ont pas fait gonfler la facture d’électricité et de chauffage en travaillant trop longtemps dans leurs bureaux !
Des colloques savants, des rapports passionnants, ont donc disserté sur « l’école intelligente » et « l’architecture scolaire du futur » . Waou ! Il faut donc, « concevoir une architecture et un environnement éducatifs qui servent et facilitent au mieux les apprentissages. Mais concevoir “une architecture scolaire du futur” n’amène pas seulement à réfléchir sur la place que doivent occuper, dans le cadre scolaire, les NTIC et la domotique : il s’agit également de “penser l’école” de façon aussi “intelligente” que possible au regard de ses missions propres, de même que par rapport à son environnement ».
Un autre rapport rappelle que « pour la construction de nouveaux collèges ou lycées, l’administration centrale a introduit (...) la formule de nomination ‘par anticipation’ des chefs d’établissement, ceux-ci ayant pour mission de participer au suivi technique de la construction ; dans l’ensemble, on peut dire que cette expérience s’est révélée fructueuse pour que les architectes tiennent mieux compte des caractéristiques propres à l’établissement à réaliser, et notamment de préoccupations d’ordre pédagogique ».
Puissant. Mais apparemment l’intelligence n’est pas allée jusqu’à penser aux bureaux des profs.
Quelle est la raison de ce phénoménal oubli collectif, qui va nous coûter cher dans les années qui viennent ?
La principale raison est tout simplement le refus des syndicats d’enseignants, qui ont su pratiquer un lobbying efficace pour tuer dans l’œuf toute perspective de création de bureaux. C’est logique : les profs préfèrent travailler seuls, chez eux, sans voir davantage les élèves qu’en groupe dans la classe. Leur mission se limite, selon eux, à exposer des connaissances, donner des contrôles, corriger des copies (tâche fastidieuse et usante, et surtout d’un très mauvais rapport énergie-efficacité) et fournir à la classe un commentaire global, donc inefficace, sur le résultat. Leur mission n’inclut pas, actuellement, de vérifier que chaque élève a bien compris ('pris avec lui", étymologiquement) les notions, bien intégré les connaissances, ni bien entendu, la mise en œuvre des actions correctrices si ce n’est pas le cas. Donc, pas besoin de bureaux.
Des bureaux permettraient aussi aux profs de recevoir les parents dans de bonnes conditions, et pas lors de ces foires indignes mal organisées dans la cantine bruyante, où les parents font la queue pour échanger rapidement avec des profs incapables de tenir leur planning de rendez-vous.
Enfin, des bureaux leur permettraient d’échanger, voire – horreur suprême, de travailler vraiment en équipe. Et de sortir de l’exercice solitaire, et parfois déprimant, du métier.
Face à ce frein des profs, que l’on peut expliquer, sans l’excuser, par la définition de leur métier, leur mode de recrutement et leur formation (quand elle existait), régions et départements ont tout simplement montré une lâcheté politique totale, avec la complicité des associations de parents d’élèves et de l’Etat, qui ne sont pas montés au créneau pour dénoncer cette insulte au bon sens, et cette gabegie. Car si chacun, après presque trente ans de réflexion, finit par se dire qu’il faut des bureaux, cela va coûter cher. Tant mieux pour les entreprises du bâtiment, tant pis pour nos finances publiques et nos impôts.

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