Derrière les finances catastrophiques de la Justice, le scandale d’une France incapable de garantir la dignité de ses services publics alors qu’elle est la vice-championne du monde des prélèvements obligatoires<!-- --> | Atlantico.fr
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En dépit d'un niveau des dépenses publiques estimé à 55,8% du PIB pour 2015, l'état des services publics français ne cesse de se détériorer, notamment l'armée, la gendarmerie, la police, les médecins dans les hôpitaux...
En dépit d'un niveau des dépenses publiques estimé à 55,8% du PIB pour 2015, l'état des services publics français ne cesse de se détériorer, notamment l'armée, la gendarmerie, la police, les médecins dans les hôpitaux...
©Reuters

Mais où va l'argent ?

36 millions d'euros de factures impayées, 170 millions d'euros de dette : le ministère de la Justice est dans un état catastrophique, comme l'a révélé ce dimanche dans le "JDD" Jean-Jacques Urvoas. Un délabrement qui touche l'ensemble des services publics, et parmi les plus importants, alors que le niveau des dépenses publiques se situe, pour 2015, à 55,8% du PIB.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : En affirmant ce matin dans le JDD que le ministère de la Justice "n'a plus les moyens de payer ses factures", Jean-Jacques Urvoas relance la question du délabrement des services publics. Comment expliquer ce phénomène de paupérisation de ces services, et notamment parmi les plus importants (on peut penser également à l'armée, la gendarmerie, la police, les médecins dans les hôpitaux, etc.), alors que le niveau des dépenses publiques représente 55,8% (2015) ? 

Jean-Luc Boeuf : Il est nécessaire au préalable de préciser que l'étonnement de l'actuel garde des Sceaux est ... étonnant. Il ne faut pas oublier qu'il occupait au préalable le poste de président de la Commission des lois de l'Assemblée nationale. Le président de la Commission des lois est, en principe, au coeur de la production legislative. Si le président de la Commission des lois s'étonne de découvrir l'état des finances publiques, il y a de quoi s'interroger sur le fonctionnement des institutions. C'est-à-dire que, concrètement , le président de la Commission des lois voit normalement passer au préalable le projet de loi de finances de l'État, puis, en cours d'année, son exécution et, après que l'exercice est clôturé, le résultat. Ensuite, le mois d'avril est préalablement la période de début de préparation de l'exercice budgétaire suivant. Dans ces conditions, la prise de parole d'un membre du gouvernement peut être assimilée à une défense et une illustration de son périmètre, face à d'autres ministres qui vont bénéficier d'engagements présidentiels forts, comme à la Défense. Enfin, les élections législatives auront lieu à la fin du printemps 2017, dans la foulée des elections présidentielles. Au regard des indications données par les instituts de sondage, quant à l'impopularité du gouvernement, une telle prise de parole pourrait viser à faire accroitre à l'étonnement du néophyte ministériel.

Quelle est la part de responsabilité du gouvernement de François Hollande dans ce phénomène de paupérisation des services publics ?

Un gouvernement dispose avant tout, avec sa majorité parlementaire, d'un outil impalpable mais absolument nécessaire qu'est celui de la confiance. 
La pauperisation des services publics s'accentue. La difficulté est le decalage flagrant entre la prodution legislative et ce que constate sur le terrain 
entrepreneurs et acteurs de toutes sortes.
Est-ce être populiste que de dire que les lois sont de plus en plus longues, de moins en moins comprehensibles et de plus en plus difficilement applicables ? Le rôle du Parlement doit s adapter. Sur le terrain, le quarteron - c'est-a-dire cet ensemble constitué de l'electeur, de l'usager, du contribuable et du citoyen - demande des mesures pragmatiques. Rénover l'action publique passe par une production législative plus rigoureuse et compréhensible sur le terrain. La révolte du monde agricole est en partie liée à ce désengagement massif de l'Etat dans les territoires alors que, dans le même temps, se multiplient les "comités " et les "annonces" suivies d'un inévitable "plan"...
Il est nécessaire enfin de réhabiliter l'impôt pour tous et d'arrêter de faire croire a la gratuité des services publics, de l'Etat, des collectivités et du service hospitalier.

Le gouvernement se vante depuis quelques jours du chiffre du déficit, estimé à 3,5% du PIB pour 2015. Or, cette baisse a été rendue possible par la réduction de l'investissement public, et notamment la réduction des dotations aux collectivités locales. Ces dernières ont alors fait le choix de réduire les dépenses d'investissement au profit des dépenses salariales. Pour quelles raisons ? Dans quelle mesure cette décision aggrave-t-elle la paupérisation des services publics  ? Quelle part de responsabilité pour les collectivités dans ce phénomène ? 

Premièrement, il convient d'indiquer qu'il est quelque peu surréaliste de se vanter de presenter un déficit plus faible que prévu ! La situation des finances publiques françaises est préoccupante. L'accumulation successive des déficits, année après année, provoque ce que les économistes appellent un effet "boule de neige". Deuxièmement, la France est le seul Etat de l'OCDE à n'avoir jamais présenté le moindre excédent budgétaire depuis... 1979. Le probleme est donc ancien. Mais il revêt une détérioration forte depuis 2008. Avec les consequences de la crise entamée en 2008, le quinquennat 2007-2012 a été marqué par une forte aggravation des déficits. Troisièmement, les collectivités locales nécessitent une explication particulière. Cumulés , leurs budgets représentent environ 240 milliards d'euros par an. L'État les alimente pour près de la moitié de leurs recettes. Et depuis plusieurs années, il leur est demandé de participer au redressement des comptes publics. Ce qui est une bonne chose. Dans ces conditions, les pouvoirs publics ont décidé de baisser leurs dotations, de plus de 11 milliards de 2014 à 2017. Les collectivités ont du s'adapter et baisser leurs interventions (subventions...) Mais elles ont dû également baisser leurs investissements afin de retrouver des marges de manoeuvre pour les prochaines années. Pourquoi ? A cause de la rigidité de certaines dépenses  telles que la rémunération des agents, les intérêts d'emprunts, les dépenses de prestations obligatoires...

L'exemple précité et le niveau des dépenses publiques pour 2015 (55,8%) montrent bien qu'en dépit d'une baisse de l'investissement public, l'argent public est toujours disponible (NB: 44,6% de prélèvements obligatoires en 2015) mais utilisé pour des dépenses improductives. Qui est responsable de cette redirection néfaste de l'argent public ? 

L'interrogation principale doit porter sur la notion même de prélèvements obligatoires. En effet, pour redistribuer - le rôle central des pouvoirs publics - il faut d'abord produire. Or, la richesse totale produite par la France par habitant est inférieure en 2016 à ce qu'elle était en 2008. Face à cela, l'objectif central des pouvoirs publics est de baisser la dépense totale. Ce à quoi la France est confrontée est donc très simple : il s agit de la nécessité d 'assainir les comptes publics, en baissant ses dépenses. Car les amortisseurs sociaux ont un coût et le risque - ultime -  est celui du défaut de paiement de l'État. Naturellement  dès que cette idée est soulevée, des ricanements l'accompagnent au prétexte que "ce n'est pas possible" en raison de la taille dudit  État. C'est ce que croyaient les investisseurs en 2008 avec le monde bancaire pour Lehmann Brothers. "Too big to fail" disaient-ils. Et pourtant....

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