Derrière la mort en prison de Navalny, Poutine qui encaisse déjà les bénéfices d’un potentiel recul occidental sur l’Ukraine ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des gens brandissent des photographies du chef de l'opposition russe Alexei Navalny lors d'un rassemblement devant l'ambassade de Russie à Londres, le 16 février 2024, après l'annonce de sa mort.
Des gens brandissent des photographies du chef de l'opposition russe Alexei Navalny lors d'un rassemblement devant l'ambassade de Russie à Londres, le 16 février 2024, après l'annonce de sa mort.
©DANIEL LÉAL / AFP

Dérive du Kremlin

La faiblesse de la réponse occidentale face à la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine permet-elle à Vladimir Poutine de franchir certaines limites ?

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Au regard de la récente interview très complaisante du chef du Kremlin par le journaliste Tucker Carlson, l’état d’esprit et la faiblesse des Occidentaux poussent-ils Vladimir Poutine à ne plus faire semblant, non seulement dans sa guerre contre l'Ukraine, mais dans sa politique diplomatique ? Poutine est-il définitivement convaincu d’avoir des gens faibles en face de lui sur la scène internationale ? Cette situation lui permet-elle d’agir sans limite, notamment vis-à-vis de la détention et de la mort d’Alexeï Navalny ?

Viatcheslav Avioutskii : La puissance d'un acteur géopolitique est limitée par la puissance d'autres acteurs géopolitiques. S’il n'y a pas de réaction à une agression, à un acte criminel, à une propagande déchaînée, cela est très mauvais signe. C'est ce qui est en train de se passer en Russie. Certains estiment que ces problèmes, qui viennent du flanc Est de l'Europe, vont se résoudre tout seuls sans beaucoup d'interventions, en trouvant des intérêts communs. Cette perception est une erreur généralisée de l’Occident. Tous les leaders occidentaux ne peuvent pas être mis dans le même panier. Les dirigeants britanniques réagissent à tous les événements en lien avec la Russie, depuis la mort de l'ex-agent russe Alexandre Litvinenko, en 2006. Leur réaction est tout à fait adéquate. Ils ont maintenu une position de force face à la Russie. Mais il est vrai qu'au sein de l'Europe continentale, chez les Français et chez les Allemands, cette réaction manque d'une manière assez flagrante. La Pologne et les pays Baltes réagissent aussi de manière digne. Ils sont directement concernés par la menace de la Russie. Il y a une certaine mollesse de la part des Allemands mais aussi des Français. Il y a même un certain désintérêt de la part de quelques pays européens qui pensent que la guerre en Ukraine n’est pas leur problème.

Vladimir Poutine sent-il qu’il a les mains libres aujourd'hui face à l’Occident et qu’il repousse les limites ?

Même s’il y a très peu d’informations sur l'état réel de Vladimir Poutine, il est possible d’analyser son attitude lors de ses apparitions en public. Poutine, depuis quelques mois (notamment avec le début des problèmes au niveau de l'aide américaine à l'Ukraine), a une attitude plutôt euphorique. Il est convaincu que la guerre est gagnée, qu’il ne s’agit plus que d’une question de temps, que le front ukrainien va s'effondrer. Une fois que l'Ukraine sera occupée et envahie, Vladimir Poutine souhaitera continuer à faire avancer ses pions, probablement contre l'Europe. Cet état d'euphorie se lit dans ses gestes, dans ses attitudes, dans sa dernière interview accordée au journaliste Tucker Carlson ou bien encore dans ses apparitions au public. Il est très sûr de lui-même et a un état d’esprit très positif sur toutes les actions qu’il entend mener. Les médias russes le soutiennent. Vladimir Poutine est convaincu qu'il est en train de gagner la guerre. Il s'agit d'une attitude irrationnelle, d’une mauvaise estimation du rapport de force avec l'Occident. Il y a une sorte mauvaise lecture de la configuration géopolitique dans laquelle la Russie se trouve actuellement.

La réaction des Occidentaux manque-t-elle de fermeté face à la Russie ? Les Européens tardent notamment à livrer le matériel militaire nécessaire pour l'Ukraine. Les États-Unis ont menacé l'OTAN et l’interview de Vladimir Poutine par le journaliste Tucker Carlson a été très complaisante envers Poutine. La réaction de l’Occident n’est-elle pas trop molle ?

Il y a deux motivations différentes dans les réactions européennes et américaines. Dès le début du conflit, les Ukrainiens considéraient que l'aide militaire européenne et américaine n'arrivait pas à temps et n'était pas suffisante pour remporter la guerre face à la Russie. Cette lenteur s'explique par la grande bureaucratie qui existe dans tous les pays de l'Union européenne et par le processus politique qui est très complexe. Dans certains cas, par exemple pour le Bundestag allemand, une approbation générale de tous les partis politiques était requise. Cela nécessitait beaucoup de consultations.

Une fois que cette machine se met en marche, si les décisions sont prises, si les ressources financières sont allouées correctement, normalement les livraisons d’armes vont finir par s'accélérer.

Aux Etats-Unis, le problème est vraiment politique. Les démocrates américains s’interrogent sur l'impact du soutien à l’Ukraine dans la campagne électorale. Les interventions de Donald Trump, dans le cadre de sa campagne électorale, ont aussi des conséquences sur la politique étrangère américaine. Il est en train de se prononcer sur l'OTAN, sur ses relations avec la Chine et sur la manière dont il va arrêter la guerre en Ukraine. Les Européens et les Américains sont très prudents car la Russie est une puissance nucléaire. Les Occidentaux veulent absolument que la guerre reste dans un cadre conventionnel. Ils pensent que l'augmentation rapide et accélérée des livraisons d'armes peut conduire à une escalade qui va conduire ensuite à une catastrophe nucléaire.

La mort de l’opposant Alexeï Navalny en détention a suscité une vive émotion en Occident et de nombreuses questions. Le pouvoir russe est accusé d’avoir assassiné de nombreux opposants, comme Anna Politkovskaïa, ou certaines figures majeures comme Prigojine. N’y a-t-il pas une suspicion sur la mort d’Alexeï Navalny qui semblait en bonne santé il y a encore quelques jours sur certaines chaînes Telegram ? La faiblesse de l’Occident n’a-t-elle pas contribué à ce que Vladimir Poutine dépasse certaines limites ?

Alexeï Navalny n'était plus en bonne santé depuis la tentative d'empoisonnement qu'il a subie en Russie. Il a réussi à se rétablir mais il nécessitait encore des soins. Lorsqu'il est entré en Russie, il n'était pas en bonne santé. Le fait qu'il ait été emprisonné n'a pas arrangé les choses car au lieu d'être à l'hôpital, il était isolé et n’avait pas accès aux moyens modernes de la médecine. 

Navalny, depuis son emprisonnement, quand il est rentré en Russie, a été placé une vingtaine de fois à l’isolement. Il a été sanctionné, sans aucune raison valable. Cette punition consistait à être placé dans une cellule d'isolement, avec des conditions drastiques en Russie. Les conditions pénitentiaires étaient extrêmes. Cela n'a pas arrangé son état de santé qui continuait à se dégrader tout au long de sa détention. Le fait qu'il ait été transféré dans une prison située au-delà du cercle polaire peut aussi expliquer la dégradation de son état de santé. Le pouvoir russe l'a isolé et voulait se débarrasser de lui. Navalny a été placé dans des conditions dans lesquelles il a été coupé de la société, de ses camarades, d'autres forces politiques de l’opposition. Progressivement, il a été étouffé médiatiquement. L'objectif était que Navalny soit oublié. Mais les conditions tout à fait inhumaines, imposées par le pouvoir russe, ont aggravé la situation et devaient conduire, tôt ou tard, à sa mort. Il ne pouvait pas survivre dans de telles conditions pendant plusieurs années. Les mois passés en prison ont eu un effet très néfaste sur sa santé.

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