Derrière l’addiction aux écrans, l’addiction à la dopamine (et voilà ce que les parents peuvent en retenir pour canaliser les usages de leurs enfants)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Comment donner aux enfants des activités qui apportent la bonne dose de dopamine et leur permettent d'éviter de chercher à tout prix leur dose devant les écrans ?
Comment donner aux enfants des activités qui apportent la bonne dose de dopamine et leur permettent d'éviter de chercher à tout prix leur dose devant les écrans ?
©BERTRAND GUAY / AFP

Tentations

L'addiction aux écrans chez les jeunes cache en réalité une dépendance à la dopamine.

Aurore Malet-Karas

Aurore Malet-Karas

Aurore Malet-Karas est docteure en neurosciences et sexologue. Passionnée par l'étude des mécanismes reliant à la fois le corps et l'esprit, elle a poursuivi un double cursus en biologie et en psychologie, qui ont abouti à des recherches en Neurosciences Cognitives sur les mécanismes de la mémoire, des émotions (et en particulier sexuelles), du plaisir et de la récompense (et par extension des addictions).

Voir la bio »

Atlantico : Depuis quelque temps maintenant, les parents cherchent à comprendre et à résoudre les addictions aux écrans de leurs enfants, dans quelle mesure sont-ils, en fait, addicts à la dopamine que cela leur procure ?

Aurore Malet : Il est essentiel de comprendre ce qu'est la dopamine. C’est un neuromodulateur qui joue un rôle clé dans la modulation de l'activité neuronale. En général, la dopamine renforce, diminue ou ajuste la transmission neuronale . Du point de vue évolutif, cela est crucial pour mémoriser des éléments importants de l'environnement qui procurent du plaisir, comme la nourriture sucrée, nécessaire à la survie. Ainsi, la dopamine envoie un signal renforçant la mémorisation de ces associations plaisantes. De plus, la dopamine joue un rôle majeur dans le renforcement des séquences motrices non déclaratives, telles que faire du vélo, jouer d'un instrument ou se repérer dans un environnement familier. Lorsqu'il s'agit des écrans, il est crucial de comprendre qu'il s'agit d'une habitude comportementale. Les addictions sont également liées au circuit dopaminergique, connu sous le nom de circuit des ganglions de la base. Ainsi, lors de la prise de substances addictives, il y a une réponse dopaminergique car cela procure une sensation de bien-être. Les substances agissent directement sur ces réseaux. De même, dans le contexte des addictions comportementales liées aux écrans, c'est le même réseau qui est impliqué. En réalité, nous ne sommes pas nécessairement addicts à l'écran lui-même, mais plutôt à l'habitude comportementale. Nous sommes addicts aux gestes, aux mouvements, tels que le fait de faire défiler l'écran. L'arrivée des nouvelles technologies a créé de nouveaux gestes et comportements, ce qui est un aspect complexe de notre société contemporaine.

La dopamine n’est en soi pas néfaste pour le corps humain, bien au contraire. Comment donner aux enfants des activités qui leur procure la bonne dose de dopamine ? Et éviter qu'ils cherchent à tout prix leur dose de manière déraisonnable devant les écrans ?

Le problème ne réside pas tant l’activité en elle-même. L'on ne va pas s'inquiéter lorsqu'un enfant fait ses devoirs de manière frénétique, ou lit, ou fait des mathématiques, parce que c'est socialement valorisé. Il est aussi légitime de se demander dans quelle mesure un enfant peut être obsédé par l'école. Certains enfants sont poussés dans cette direction par leurs parents, souvent motivés par des récompenses matérielles, et étant donné que cela est socialement valorisé, aucune question n'est posée. Il est donc essentiel d'examiner attentivement ce dont nous parlons lorsque nous évoquons l'addiction, et de se demander si cela relève d'un problème éducatif. Parfois, le problème ne réside pas réellement chez l'enfant lui-même, car il n'est pas forcément pris dans des dynamiques addictives. Cependant, il peut y avoir des conflits avec les parents ou des lacunes éducatives de la part de certains d'entre eux. En conséquence, l'enfant peut chercher une échappatoire, que ce soit à travers les écrans, les jeux vidéo ou d'autres moyens, tels que la musique. Cependant, dans le cas de la musique, cela est socialement accepté, donc on se pose moins de questions lorsque l'enfant passe des heures et des heures à jouer du piano, alors même que cela peut potentiellement indiquer des problèmes tout aussi graves au sein de la famille.

En quoi créer un environnement adapté peut permettre à l’enfant de mieux gérer ses « besoins » de dopamine ?

Les familles ont besoin de gérer les besoins de l'enfant de manière globale. Il est important que l'environnement de l'enfant soit suffisamment riche et intéressant. Si l'enfant trouve les jeux vidéo plus captivants que son environnement familial, il faut examiner ce qui se passe dans ce dernier. Est-ce que les parents s'occupent suffisamment de l'enfant, proposent des jeux de société, des activités communes ? Parfois, il est possible que les parents ne sachent tout simplement pas comment faire. Il s'agit donc davantage de se demander quelles autres activités pourraient intéresser l'enfant.  Prenons l'exemple de la musique avec deux enfants, mais qui ne partagent pas le même niveau d'attirance pour la musique. Dans ce cas, il faudrait envisager d'autres activités telles que la danse, la boxe ou le théâtre. En réalité, toute activité peut remplir ce rôle, à condition que l'enfant y trouve son intérêt, bien entendu. Idéalement, une activité physique serait bénéfique pour l'enfant, mais notre société française valorise excessivement les compétences intellectuelles de manière presque pathologique. Certains parents se plaignent du fait que leur petite fille de 8 ans ait fini de jouer avec des poupées Barbie. Maintenant, elle est "grande" et se concentre sur d'autres choses. Il convient donc de se poser des questions à ce niveau également, de laisser les enfants être des enfants et de leur permettre de s'engager dans des activités qui les intéressent davantage. Par exemple, certains enfants peuvent avoir besoin de pratiquer la boxe, une activité qu'ils apprécient beaucoup. Cependant, socialement, la boxe n'est pas appréciée dans toutes les classes sociales. Il est donc nécessaire de chercher des activités intéressantes et enrichissantes pour l'enfant en fonction de ses goûts et de ses intérêts.

Le changement d’habitudes peut-il aider à mieux gérer la dopamine ?

Il est important de comprendre que nous avons besoin d'habitudes et de rituels, et les enfants ont besoin d'une structure régulière. Au lieu d'avoir des activités sporadiques deux fois par semaine, par exemple, il est préférable de fournir un cadre régulier à l'enfant, ce qui l'aidera à se structurer davantage. En ce qui concerne les écrans, je ne suis pas certaine si les dernières statistiques le confirment, mais il n'y a pas si longtemps, ce sont les personnes plus âgées, les "boomers", qui étaient les plus accrocs aux réseaux sociaux, pas les adolescents. Il convient de vérifier ces informations, car mes échanges remontent à 2020, avant la pandémie de COVID-19. Cependant, nous parlons également des enfants et des adolescents. Comment se fait-il que des enfants de 2 ans possèdent leur propre tablette ? Oui, je parle d'une tablette qui leur appartient personnellement, pas d'une tablette partagée au sein de la famille. Encore une fois, il ne faut pas diaboliser cela. Il y a une grande différence entre permettre aux enfants de regarder un film ou des dessins animés une fois par semaine, de temps en temps, ce qui est plutôt bien. Il n'y a aucun problème à cela. En revanche, ce qui est problématique, ce sont les enfants, voire les bébés, qui mangent devant des écrans. Mes collègues rapportent de plus en plus de cas de ce genre de comportement. Par exemple, des parents qui sont présents avec l'enfant, mais qui sont absorbés par leur téléphone portable et utilisent Instagram.

Il est également crucial d'être prudent quant à l'état des connaissances scientifiques à ce sujet. Ces questions sont relativement récentes sur le plan scientifique, et nous disposons de peu de recul. Il est donc essentiel de le souligner. Je le répète à chaque fois, les neurosciences sont une discipline jeune. Nos outils sont récents et nous avons besoin de plus de temps pour les utiliser et les éprouver. Nous devons observer les évolutions à venir. Les parents ressentent beaucoup d'anxiété concernant les écrans et les neurosciences, mais il ne faut pas non plus attribuer n'importe quoi aux neurosciences. La dopamine est un neuromodulateur présent en chacun de nous, résultant de millions d'années d'évolution, et nous en avons besoin. Ce n'est pas un dysfonctionnement.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !