Atlantico : Jeudi soir avait lieu le dernier dîner franco-allemand entre Emmanuel Macron et Angela Merkel. Quelle a été la relation entre les deux chefs d'État durant ces cinq ans ? Qu’a incarné ce couple franco-allemand ?
Edouard Husson : En apparence, elle a été bonne. Le volontarisme affiché d'Emmanuel Macron a suscité un intérêt en Allemagne. En réalité, Madame Merkel a très peu donné à Emmanuel Macron avant la crise du COVID. Il voulait un budget de la zone euro à 400 milliards; elle a acquiescé du bout des lèvres à 40 milliards. Ensuite est venu le plan de relance mais il a été négocié au niveau de toute l'UE, pas seulement la zone euro. Et il accompagne un endettement français à 120% du PIB, qui signifie que l'influence réelle de la France sur l'UE va aller diminuant. Le plan de relance est surtout une garantie par l'Allemagne d'une modération des taux d'intérêts pour la France. Difficile dans ces conditions d'imaginer un partenariat égalitaire. Et ceci d'autant plus que la France d'Emmanuel Macron a relancé l'idée d'un siège permanent au Conseil de sécurité pour l'Allemagne, qui sera bien évidemment refusé à l'ONU mais débouchera, si la France insiste, sur un transfert du siège permanent français à l'UE. Si vous ajoutez la très absurde imitation (timide) de la sortie allemande du nucléaire civil, le bilan franco-allemand depuis quatre ans et demi est mauvais.
De nombreux sujets étaient encore sur la table pour ce dernier dîner (Afghanistan, climat, défense, etc.) Que laisse ce couple franco-allemand en héritage au prochain chancelier allemand ?
Il laisse une Union Européenne diminuée. Angela Merkel a été incapable de comprendre ce qui se jouait avec le Brexit. Elle a d'abord refusé de croire David Cameron quand il lui disait qu'il était possible. Puis une fois le non du peuple britannique effectif, elle a joué la montre, en espérant circonvenir Theresa May. cette dernière allait capituler lorsqu'elle a été mise en minorité et Madame Merkel s'est retrouvée face à Boris Johnson. Entretemps Emmanuel Macron était arrivé au pouvoir. Jouant contre les intérêts français, il a adopté la ligne la plus dure possible vis-à-vis de la Grande-Bretagne, encourageant Angela Merkel dans son incapacité à soutenir la ligne raisonnable de la négociation de compromis avec Londres. Le Brexit a bien eu lieu et la Grande-Bretagne est aujourd'hui redevenue un acteur indépendant des relations internationales qui, au passage, a renvoyé l'ascenseur à Emmanuel Macron en contribuant largement à évincer la France du contrat des sous-marins avec l'Australie. France et Allemagne n'ont pas cessé, entre 2016 et 2020, de maudire Donald Trump. Pour autant, les deux pays n'ont pas saisi l'occasion historique qu'il y avait de créer une "Europe de la défense" dans un contexte de liens transatlantiques distendus. De même, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont laissé la Russie s'éloigner un peu plus de l'Europe. Sans Gerhard Schröder, le dossier Nord Stream 2 aurait été sabordé. Les deux pays ont été incapables, également, de trouver une via media avec l'Europe centrale qui reste fidèle aux valeurs chrétiennes des pères fondateurs. Appuyant à fond la poussée fédérale et le renforcement de la Commission, ils ont fait en sorte que l'UE devienne officiellement une plateforme défendant de façon feutrée toutes les causes gauchistes: de l'abolition des frontières pour les personnes à l'idéologie du genre en passant par le planisme vert. Si l'on ajoute la politique enfermiste tout au long de la crise du COVID et les tensions qui vont naître de l'inflation, le successeur de Madame Merkel aura du mal à tenir le gouvernail et il est bien probable qu'il se préoccupera peu des humeurs d'Emmanuel Macron ou de son successeur.
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Quelle direction pourrait prendre le couple franco-allemand post-Merkel, dans les derniers mois de la présidence Macron et dans le futur quinquennat français ?
Il faut bien voir que la coalition qui sortira des urnes en Allemagne devrait mener à un gouvernement à trois partis. Le nouveau chancelier aura fort à faire et le rythme des décisions allemandes sera plus lent qu'auparavant. Et ceci d'autant plus que les Allemands de Bruxelles sont devenus une vraie puissance, le 17è Land, pourrait-on dire et pousse à une fédéralisation de l'UE qu'une majorité de la population allemande refuse. On aura une forme de blocage allemand. A côté de cela, il y aura une France elle aussi affaiblie. Si Emmanuel Macron est réélu, la fracturation du pays continuera, avec ses conséquences néfastes pour notre crédibilité dans l'UE. Si un autre l'emporte, il aura fort à faire pour redresser le pays. Dans tous les cas, l'ère des relations franco-allemandes motrices à elles seules de l'Europe est bien finie.
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