Dépolitisation et anti parlementarisme : ces deux mamelles du macronisme mises en lumière par la motion de rejet sur la loi immigration<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une prise de parole à l'Elysée.
Emmanuel Macron lors d'une prise de parole à l'Elysée.
©PASCAL ROSSIGNOL / POOL / AFP

Démocratie fragilisée

La négation du clivage droite-gauche, la technicisation des discours et le mépris du Parlement ont été accentués depuis le second mandat d'Emmanuel Macron. Quel est l'impact de cette tendance sur le fonctionnement de la démocratie française ?

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico :  Comment la dépolitisation (négation du clivage droite-gauche, technicisation des discours, supériorité supposée des jeunes technos) est-elle au coeur de l'ADN politique macronien ? et pourquoi ?

Jean Petaux : Il faut s’entendre sur le sens du mot « dépolitisation ». Personnellement j’aurais tendance à préférer un terme moins usité, assez compliqué aussi à mobiliser, celui de « départisanisation » au sens de rejet des partis politiques au sens politologique de la définition des « partis politiques » qu’ont donné par exemple les Américains Joseph La Palombara et Myron Weiner à la fin des années 60 ‘s (« Political Parties and Political Development », Princeton Universiity Press, 1969).

Pour autant, quelque soit le nom qu’on lui donne, la pensée politique de Macron (c’est pour cela qu’il n’y a pas « dépolitisation », il s’agit bien d’un projet politique…) se caractérise dès sa première formulation globale, dans son livre-programme qui n’est pas intitulé par hasard « Révolution », publié le 24 novembre 2016 alors qu’il lance officiellement sa campagne présidentielle (sept jours avant que celui qui fut son « patron direct », François Hollande, renonce à se présenter pour un second mandat). Il affiche dans ce livre son intention d’opérer une véritable « révolution idéologique » : diriger la France par des experts, des hauts-fonctionnaires, des dirigeants de l’entreprise privée, en « dégageant » tous les représentants du « monde ancien », celui des élites partisanes au pouvoir depuis, au moins, le début de la Cinquième république. On l’a oublié mais cette ambition idéologique qui est devenue un projet politique et programmatique, était destinée à « renverser la table », à engendrer un « choc symbolique » conçu et espéré comme aussi radical et effectif que ce qui s’est passé à la Libération de la France entre septembre 1944 et janvier 1946 ; au retour du Général de Gaulle au pouvoir entre le 2 juin 1958 et la fin de la guerre d’Algérie, le 19 mars 1962 ou, dans une moindre mesure, avec la « grande alternance politique » suite à l’élection à l’Elysée de François Mitterrand le 10 mai 1981. A titre de comparaison avec l’étranger, la « Révolution macronienne » était à rapprocher des « Reaganomics » qui ont présidé à l’élection de Ronald Reagan aux USA en 1980 ou du «  thatchérisme » anglais à la même époque.

Le substrat de la pensée macroniste est, en résumé, fondé sur ce prolégomène : « Les partis politiques de gouvernement ont échoué à transformer la France et à la faire rentrer dans la mondialisation. Les « techniciens experts » doivent prendre le pouvoir (étymologiquement il faut qu’ils deviennent vraiment au sens premier du mot des « technocrates » : des tenants du gouvernement de et par la technique.). Ceci permettra d’échapper au clivage classique entre la droite et la gauche, car la « technique » n’est ni de droite, ni de gauche »… Ou, pour être précis et « fidèle » à la pensée macroniste : « la technique est, en même temps, de droite et de gauche ».

On sait ce que cela a donné, au final : une « hydroponie » (pour reprendre le terme très imagé qu’emploie mon ami Jérôme Fourquet dans son remarquable dernier ouvrage « La France d’après » (Seuil, octobre 2023) chronique des dirigeants, de l’exécutif en place après mai 2017 à une très large partie des députés élus dans le « raz-de-marée » LREM de juin 2017 en passant par une absence quasi-totale de « grands élus » territoriaux se réclamant ou se faisant élire avec l’étiquette LREM aux élections locales qui ont suivi 2017 : municipales 2020, régionales et départementales 2021.

Conséquence de tout cela : à force d’ignorer les « corps intermédiaires », les partis et groupements politiques (dont la Constitution du 4 octobre 1958 rappelle fort opportunément dans son article 4, al. 1,  « qu’ils concourent à l’expression du suffrage» ; à force de « court-circuiter » ce que David Easton, le fondateur de l’analyse systémique de la vie politique des démocraties avancées, appelle les « gate-keepers » qui sont les « portiers » du système politique, autrement les « corps intermédiaires » qui ont pour fonction de trier, d’agréger, de traduire les demandes (inputs) qui « pèsent » sur la « boite noire » du système politique, le pouvoir en place depuis mai 2017, s’est littéralement « coupé les mains » en étant en « frontal » avec les revendications populaires. Comme la plupart du temps d’ailleurs celles-ci étaient plus stupides, émotionnelles, infondées, irrationnelles les unes que les autres, le choc ne pouvait qu’être brutal et surtout non-amorti…

Le mépris du parlement était déjà présent pendant le premier quinquennat mais à petite dose puisqu'Emmanuel Macron avait la majorité absolue. Pourquoi l'avoir accentué? Quel impact sur le fonctionnement de notre démocratie ? 

S’il porte une grande responsabilité dans la manière avec laquelle se sont noués les rapports de force politiques en France depuis plus de six années désormais, Emmanuel Macron n’est pas le seul en cause. Les institutions en premier lieu y ont leur part. La Cinquième république est un régime politique qui a choisi, délibérément après l’instabilité chronique de la Quatrième république (21 gouvernements en 12 ans, entre 1946 et octobre 1958), ce que les constitutionnalistes des années 60 ont appelé « le parlementarisme rationnalisé ». En français dans le texte cela veut dire : « un Parlement qui ferme sa gueule et qui ne passe pas son temps à débattre au lieu d’agir ». J’emploie, volontairement bien évidemment, le vocabulaire de celui qui assurerait l’intérim présidentiel en cas de décès, d’empêchement ou de démission du chef de l’Etat : Gérard Larcher, actuel président du Sénat. Ce « parlementarisme rationnalisé », autrement dit à la « botte » de l’exécutif s’est, de plus en plus, amendé pour donner beaucoup plus de droits aux parlementaires, ne serait-ce par exemple que dans leur manière de travailler. Il reste que, globalement et dans les grandes lignes, ce que vous appelez « le mépris du parlement » (je ne partage pas cette expression) et que je préfère nommer, pour ma part, la « supériorité institutionnelle de l’exécutif sur le législatif » n’est pas du fait du président Macron. Il n’était pas né que le phénomène existait évidemment.

Emmanuel Macron l’a-t-il accentué entre 2017 et 2022 ? Pas plus que ses prédécesseurs quand ils ont eu, à l’Assemblée, une majorité absolue de parlementaires, comme, par exemple, en 1962 après la dissolution d’octobre. C’est à partir de là que « Le Canard Enchainé » a commencé à appeler ces députés du nom de « godillots », ces solides brodequins que les militaires portaient aux pieds. Il s’agissait alors de députés gaullistes, souvent combattants français en 1944-1945, obéissant « au doigt – sur la couture du treillis – et à l’œil » à « Mon Général » (comprendre Charles de Gaulle à la tête de l’exécutif depuis 1958). Finalement, en dehors des trois cohabitations que la France a connu (1986-1988 : Mitterrand à l’Elysée, Chirac à Matignon ; 1993-1995 : Mitterrand à l’Elysée, Balladur à Matignon ; 1997-2002 : Chirac à l’Elysée, Jospin à Matignon) ; l’Assemblée nationale n’a été en mesure d’exister (un peu) qu’entre 1988 et 1993, lorsque l’exécutif a dû composer avec une majorité relative qui le soutenait à l’Assemblée. Finalement cela était plutôt une situation rêvée pour François Mitterrand qui jouissait de voir son premier ministre détesté et socialiste, Michel Rocard, obligé de négocier en permanence (par l’intermédiaire de son conseiller parlementaire, l’excellent et regretté constitutionnaliste Guy Carcassonne) avec d’obscurs députés élus en Ardèche, en Mayenne ou dans le Haut-Rhin, pour faire passer le moindre texte…

Emmanuel Macron se retrouve, depuis juin 2022, avec la maigre majorité relative dont il dispose, dans une situation très compliquée. Elle l’est d’autant plus que ni lui ni son entourage n’ont la culture du Parlement. Image-t-on Alexis Kohler, le « double » du président Macron, discuter avec un député de l’Ariège ou des Landes… ?... La scène, pour purement imaginaire qu’elle puisse être, relève du comique de situation… Le ministre des Relations avec le Parlement (Franck Riester) est aussi transparent qu’une feuille de papier calque… La première ministre n’a aucune culture politique, elle non plus. En quelques mois, un « techno » comme elle, encore moins élue qu’elle, Georges Pompidou, qui connut le choc d’une motion de censure qui renversa son gouvernement (la seule fois où cela s’est produit sous la Cinquième république : 65 ans…), est vite devenu, dès 1963, un excellent « politique », madré, subtil, solide, intégrant les codes des « poids lourds » du Palais-Bourbon, s’imposant même aux « gaullistes historiques », aux « Barons », qui ne l’aimaient pas et à qu’il le rendait bien. Elisabeth Borne est « l’anti-Pompidou ». Elle n’apprend rien des jeux politiques et semble incapable de passer des accords. Certes, la politique a ceci en commun avec le tango que pour être réussi la danse doit être partagée par les deux danseurs sur la petite scène d’un cabaret de Buenos-Aires. Si la Première ministre est « mauvaise », ses partenaires potentiels de tango argentin (LR, certaines composantes de la NUPES) sont encore plus nuls… Là encore le résultat de tout cela est assez catastrophique. Ne serait-ce qu’à regarder… Et à commenter !

Sans majorité absolue, la 5e République est-elle encore un régime présidentiel? 

La Cinquième République n’a jamais été un régime présidentiel. Avec ou sans majorité absolue. Un régime présidentiel c’est ce que l’on trouve aux Etats-Unis d’Amérique ou au Brésil. La comparaison avec la France est d’ailleurs très difficile compte tenu de l’organisation différenciée des Etats. D’un côté (USA, Brésil) un système fédéral, de l’autre (France) un Etat non seulement centralisé mais issu d’une tradition multi-séculaire et régalienne qui remonte à Philippe-Auguste, celle d’un Etat tout puissant. Les grands constitutionnalistes des premiers temps de la Cinquième (Duverger, Vedel) ou encore les grands historiens politiques contemporains (Rémond, Chapsal, Goguel) au début des années 60 n’ont pas trouvé mieux que de qualifier notre système politique de « semi-présidentiel ». Il est manifeste que l’absence de majorité absolue à l’Assemblée complique la pratique de l’exécutif visant à imposer son agenda politique et à orienter les travaux parlementaires en les mettant « à sa main ». Mais les institutions ont prévu une telle situation : par l’utilisation possible de l’article 49.3 qui est parfaitement démocratique et légitime, n’en déplaise à ses détracteurs (même si des réformes constitutionnelles stupides et démagogues en ont restreint le potentiel usage) ; par la possibilité de gouverner par ordonnances également.

Simplement ces outils qui permettent à l’exécutif, sous la Cinquième république, de continuer à fonctionner sans être paralysé par une Assemblée nationale fragmentée et fracturée, nécessitent, dans leur usage, un vrai courage politique. Il faut à l’exécutif une bonne dose de « liberté d’action » pour prendre ses responsabilités. Pas certain que l’actuel hôte de l’Elysée dont la date de la fin du CDD est connue, ait la volonté de s’offrir une crise institutionnelle de plus…

Est-ce la raison pour laquelle Emmanuel Macron est impopulaire ?

Ce n’est pas la seule raison. Emmanuel Macron n’est ni plus ni moins impopulaire que ses prédécesseurs après presque 7 années d’exercice du pouvoir, sans période de cohabitation pour « se refaire une santé » auprès des Français qui n’aiment rien tant que brûler en place publique ce qu’ils ont aimé quelques mois plus tôt. Ou, inversement, qui peuvent accorder leur confiance ou leur suffrage à une personnalité clivante qui s’est auto-marginalisée quelques semaines avant une élection… (cf l’exemple du comportement des électeurs à l’égard de Jean-Luc Mélenchon lors des premiers tours de l’élection présidentielle en 2017 et 2022).

Impopulaire Emmanuel Macron l’a été pendant son premier quinquennat, cela ne l’a pas empêché (situation unique) d’être reconduit à l’Elysée en 2022, sans avoir vécu, comme ses prédécesseurs Mitterrand et Chirac une période de cohabitation avant la réélection.

Les raisons de l’impopularité d’Emmanuel Macron sont très nombreuses. Elles sont à la fois de l’ordre de la forme, j’allais presque dire du « physique » et, tout autant, du fait de ses capacités intellectuelles largement supérieures à nombre de ses adversaires politiques, accentuant ainsi la posture du « mépris » qu’on lui prête aisément. Ce sont aussi des raisons de fond qui tiennent aux mesures politiques qu’il a fait adopter depuis 2017 (ou qu’il n’a pas fait adopter…).  Elles  tiennent aussi au décalage entre ses intentions politiques initiales (faire tomber « l’ancien monde », faire une « révolution néo-technocratique », etc.) et la réalité de ses actes. Au-delà de sa personne, il faut préciser que la vraie difficulté pour un homme politique qui joue la carte de la modernité à tout crin, qui se présente comme « nouveau » ou comme partisan de « renverser la table (l’ancienne) et les idoles (d’hier) », c’est qu’il forge lui-même les armes de sa future défaite et de sa potentielle disgrâce.  

Rapidement, au fur et à mesure qu’il exerce le pouvoir, au fil du temps qui passe (parfois très vite) il incarne à son tour « l’ancien monde »… Le « révolutionnaire » devient un « institutionnel »… Un Etat dans le monde a connu un « Parti Révolutionnaire Institutionnel » (le PRI) fondé en 1929 , sur les restes de la grande révolution zapatiste de 1910, refondé en 1946. Il est resté plus de 70 ans à la tête du pays… Le ridicule de la « révolution institutionnalisée » faisait rire le monde entier, sauf les Mexicains…

Ce qui est amusant c’est que le PRI se disait tout à la fois tenant du « social-libéralisme », du « néolibéralisme » et revendiquait le pouvoir à la « technocratie ». Cela ne vous rappelle rien ? Emmanuel Macron, lointain cousin des héritiers d’Emiliano Zapata. Fallait y penser !

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