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Délit de consultation de sites terroristes : encore un texte au potentiel limité, voire contre-productif, en réponse aux attentats !
©Reuters

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La consultation de sites à caractère terroriste constitue dorénavant un délit : dans la nuit du 30 mars, le Sénat a voté la création de cette nouvelle infraction. Si elle part d'une bonne intention, cette mesure pourrait s'avérer plus dangereuse que véritablement efficace... en plus de nous détourner du problème de fond du manque de moyens des forces déjà en place.

Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

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Atlantico : Le Sénat a voté dans la nuit du 30 mars la création d'un "délit de consultation de sites terroristes". Quelle efficacité peut-on imaginer qu'aura cette mesure ? Ne risque-t-elle pas de pousser les éditeurs de ces sites à se retrancher vers le "web profond" (cette partie "invisible" d'Internet où pullulent les contenus illicites) par exemple, ou à communiquer sur des supports privés, ce qui compliquerait la tâche des services de renseignement ?

Eric Denécé : Cette mesure ne changera pas grand-chose pour la lutte contre les vrais « professionnels », mais elle permettra sûrement d'empêcher ceux qui souhaitaient se radicaliser sur ces sites publics. Ceux qui voudront vraiment consulter des sites qui vantent le djihad en revanche trouveront bien sûr le moyen de le faire, en obtenant l’adresse de ces sites « cachés » via des réseaux islamistes ou dans des mosquées radicales.

Qu'est-ce qui anime donc le législateur ? Ces mesures n'ont-elles pas plutôt pour objectif de rassurer l'opinion publique ?

Effectivement, la réaction de nos politiques équivaut à mettre une rustine sur une jambe de bois. ils sont démunis face à la situation et sans inspiration pour y remédier. ll n'y a eu aucune réforme de fond depuis les attentats du 11 septembre 2001. Pire, depuis les attentats du mois de janvier 2015, on ne compte que des déclarations incantatoires, sans refonte du système de renseignement, sans augmentation des effectifs. Les annonces sont en réalité d’une portée mineure, et évidemment faites à des fins politiques : c’est-à-dire aussi bien pour rassurer l'opinion que pour montrer que le gouvernement fait quelque chose, ce qui est pourtant loin d'être le cas.

Depuis les attentats de janvier 2015, de multiples mesures ont été prises pour lutter contre le terrorisme. Opération Sentinelle, loi renseignement, déchéance de la nationalité... Parmi celles-ci, certaines sont-elles contre-productives, ou ont-elles des effets secondaires qui nuisent à la lutte contre le terrorisme ?

La déchéance de la nationalité ne servait à rien en matière de lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, ce que l'on appelle "loi renseignement" est en réalité une loi sur la sécurité intérieure, elle concerne donc seulement les services de sécurité intérieure, de police, de gendarmerie et l’administration pénitentiaire et les douanes… Et l'opération Sentinelle a essentiellement pour but de rassurer l'opinion. Nous sommes tous conscients qu'un certain nombre de militaires ont été utiles, parfois même agressés, mais elle ne va pas pouvoir durer indéfiniment. Nos forces, qui ont été considérablement réduites depuis deux décennies n’ont plus le temps de récupérer de leurs opérations extérieurs (Mali, Centrafrique, etc.) à peine de retour, les militaires se retrouvent en faction dans le métro. Ce n’est pas là leur rôle ! Il faudra se poser la question du renforcement des effectifs de police et de gendarmerie, car les moyens adéquats ne sont pas alloués à cette tâche.

Parmi les effets d'annonces, il y a également celui de la création de postes dans la police et le renseignement. Mais il faudra attendre au moins deux à trois ans avant que ces nouveaux effectifs (au demeurant insuffisants) n’arrivent sur le terrain : ils doivent être d’abord recrutés puis formés. De plus, l’état d'urgence est une arme à double tranchant. Si cela permet plus de latitude aux forces de l’ordre, cela limite aussi l'efficacité des services de lutte contre le terrorisme. En effet, cela génère beaucoup de bureaucratie car il faut faire plus de rapports, de garde à vues, de procédures judiciaires… Ainsi donner plus de possibilités d’action à la police en n'augmentant pas les effectifs, fait que l'action n'est améliorée que marginalement. 

On a aussi pu entendre le gouvernement annoncer des moyens informatiques supplémentaires après les attentats de janvier. Aujourd’hui, police et gendarmerie manquent cruellement de moyens, tant au niveau des personnels (la loi sur les 35 heures a eu un effet dévastateur, des locaux, des équipements, des véhicules, de la formation. Mis à part la DGSI, l'ensemble des services de police et la gendarmerie sont en situation d'appauvrissement avancé. Les quelques mesures annoncées par le gouvernement ne sont malheureusement que cosmétiques.

Si on ne prend pas le problème à bras le corps, ce qui s'est passé à paris et à Bruxelles se produira malheureusement de nouveau..

De même, suite à cette mesure, peut-on craindre des dérives liberticides ?

Je ne crains pas de dérive. Les femmes et les hommes de nos forces de sécurité sont des citoyens responsables. La seule critique à adresser aux mesures récentes est l’absence de limitation dans le temps de la loi dite du renseignement. Le parlement aurait du demander à ce que son maintien soit réexaminé par exemple tous les deux ou trois ans. Si la menace venait à se réduire, certaines mesures ne seront plus nécessaires. Cette loi ne doit pas avoir de durée indéterminée.

Il est légitime qu’une partie de l’opinion s’inquiète des atteintes aux libertés fondamentales au nom de la lutte antiterroriste. Mais, il faut quand même être pleinement conscient que nous sommes dans une situation où le risque est réel. Il faut donc agir pour le réduire. Or il faut que le public sache qu’en l’absence de mesures sérieuses, notre système se renforce moins vite que la menace ne progresse. En l’état actuel des choses, notre vulnérabilité va rester forte dans les deux à trois années qui viennent. Il faut accroître notre effort.

Malgré l'atmosphère totalement anxiogène dans laquelle nous vivons actuellement, principalement a cause de la couverture excessive que les médias accordent au terrorisme, nous vivons encore dans un système libéral et démocratique. Le danger ne vient pas de la police ou des services de renseignement, mais bien du salafisme et du djihadisme.

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