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Défense anti-missile : vous reprendrez bien un peu de guerre froide ?
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Partie d'échecs

Cinq ans après le début de la crise diplomatique opposant Washington et Moscou, Dimitri Medvedev revient à l'assaut contre la défense antimissile américaine. Le président russe voit dans les complications budgétaires européennes un moment clef de tuer le projet atlantiste. Le tout sur fond de campagne électorale...

Olivier Kempf

Olivier Kempf

Olivier Kempf est chercheur associé à l'IRIS et directeur de la lettre stratégique La Vigie (www.lettrevigie.com). Il a publié "L'OTAN au XXIe siècle" (Le Rocher, 2014, 2ème édition).

 

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Le 23 novembre, le président russe Dimitri Medvedev a annoncé des mesures contre le système antimissile en cours de mise en place par les Etats-Unis. Une question se pose : pourquoi maintenant ? Car l’hostilité russe envers les dispositifs antimissiles est ancienne. 

En effet, tout remonte à février 2007. Au tout début du mois, les Etats-Unis font connaître les accords bilatéraux qu’ils ont signés avec la Pologne et la Tchéquie pour installer, dans ces deux pays, les éléments d’un dispositif avancé du bouclier antimissile américain : on parle alors de "troisième site" pour bien signifier qu’il est d’abord américain. Il comprend des radars en Tchéquie et des missiles d’interception en Pologne. Cinq jours plus tard, Vladimir Poutine fait une déclaration tonitruante et très hostile à ce déploiement à l’occasion de la conférence de sécurité de Munich. Il s’ensuit plus d’un an de débats jusqu’à l’arrivée de B. Obama.

Celui-ci propose un nouveau départ (un "reset") : il abandonne le projet précédent, propose une défense à partir de missiles mobiles embarqués qui couvriraient le territoire européen face aux dangers du Moyen Orient. Un traité START 3 est signé avec la Russie pour réduire encore un peu le nombre de bombes nucléaires. Vladimir Poutine est même invité en novembre 2010 au sommet de l’Alliance Atlantique, à Lisbonne. Ce sommet est d’ailleurs choisi par l’Alliance pour décider d’une "défense antimissile balistique" (DAMB) commune aux Alliés de l’OTAN, et ouverte aux Russes. Tout semble aller parfaitement.

Sauf que c’est un faux-semblant : les Russes se méfient des missiles embarqués, dénoncent une implantation américaine en Roumanie et critiquent l’évolution du système otanien, jusqu’à l’éclat de jeudi. Au fond, ils soupçonnent depuis l’origine cette DAMB de n’être qu’un paravent : il ne s’agirait pas de couvrir l’Europe contre d’éventuels missiles iraniens mais bien d’en profiter pour contrer la dissuasion nucléaire russe, et donc de dynamiter potentiellement le dernier symbole de la parité stratégique russo-américaine. En allant plus dans le détail, on comprend que les Russes craignent surtout les radars de veille qui, s’ils sont officiellement dirigés vers le Moyen-Orient, risquent tout aussi bien d’espionner le territoire russe et d’affaiblir ainsi le système de dissuasion de Moscou. L’hostilité est donc pérenne et durable, et le rapprochement avec Barack Obama peut très bien être vu comme une finasserie tactique pour contrôler l’adversaire, sans réelle volonté de collaborer. Dès lors, la question qui se pose n’est pas pourquoi les Russes sont hostiles, puisqu’ils le sont depuis toujours et qu’on ne voit pas d’évolution de leur posture : c’est plutôt de savoir pourquoi ils se déclarent maintenant ?

Exacerber la peur de l'étranger

La plupart des commentateurs font appel à une explication de politique intérieure. La Russie est en effet en campagne électorale en vue d’une présidentielle qui doit se dérouler en mars. Personne ne doute un seul instant que Vladimir Poutine sera élu. Il semble pourtant que le triomphe sera moins assuré que prévu. Ainsi a-t-on appris qu’à l’occasion d’un tournoi de boxe, alors que le premier ministre montait sur le ring pour féliciter le vainqueur, il fut conspué par le public : la retransmission fut certes censurée, mais le morceau intégral était déjà passé sur YouTube et visionné 2,5 millions de fois. Pour relancer les sondages favorables, il est de tradition politique russe de faire appel aux sentiments obsidionaux du peuple russe, qui a toujours le sentiment d’être assiégé et potentiellement attaqué. Dénoncer les Américains et l’OTAN (l’immense majorité des Russes ne comprends pas pourquoi l’OTAN existe toujours alors que le Pace de Varsovie a été dissous il y a vingt ans) est un bon moyen de relancer sa popularité.

Pour autant, cette explication ne saurait suffire. Les Russes sont d’habiles joueurs d’échec et ont démontré depuis longtemps leur capacité à avoir des coups à plusieurs effets. Tout d’abord, il y a le moyen classique de faire monter la pression dans des négociations compliquées avec les Américains. Les Russes défendent en fait l’option du "bouclier intégré" : si la menace est extérieure à la zone européenne, alors la Russie qui est dans l’espace de sécurité européen a un intérêt à en faire partie, égaux parmi les égaux, avec donc accès non seulement aux informations (aussi bien de renseignement tactique que ceux ayant trait à la nature technologique du système), mais aussi au processus de décision : celui-ci est déjà compliqué à définir entre alliés, mais accorder un pouvoir équivalent aux Russes reviendrait à faire de ceux-ci des membres de fait de l’Alliance : impensable.

Les crises budgétaires, meilleur moment pour tuer la défense antimissile

Mais il s’agit là d’une position tactique qui couvre l’année de négociation depuis le sommet de Lisbonne. On revient toujours à la même question : pourquoi maintenant ? On peut ici formuler une hypothèse : lors du sommet de Lisbonne, le secrétaire général de l’Alliance, Anders Fogh Rasmussen, annonçait à qui voulait l’entendre que le bouclier coûterait 200 millions d’euros sur vingt ans. Il ne s’agissait pourtant que de la cellule haute du système de commandement : l’ensemble du système est estimé entre quinze et vingt milliards d’euros. Certes, la majeure partie sera payée par les Américains, mais le coût est un problème : à Washington, la commission mixte entre Républicains et Démocrates a échoué à trouver un compromis budgétaire et on se dirige vers des coupes drastiques dans le domaine de la défense. Les différents lobbies américains vont lutter férocement pour que le couperet ne tombe pas sur leur programme. Il y aurait de la part des Russes une façon de saper le programme DAMB sous l’aspect de ses coûts budgétaires.

Moscou voit également la crise économique et budgétaire qui frappe l’Europe : l’esprit de division règne. La plupart des pays font des coupes drastiques dans leurs budgets de défense : Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Grèce…. Ceci vient renforcer le sentiment de découplage transatlantique, surtout après les propos des secrétaires à la défense américains (Robert Gates en juin, Leon Panetta à l’automne) dénonçant l’abaissement des budgets européens. Pour les Russes, alors que la crise empire, montrer indirectement le poids budgétaire de la DAMB à des Européens déjà rétifs à l’effort de défense, surtout en ces temps de disette budgétaire, cela permet en outre de favoriser une différence entre les deux rives de l’Atlantique. L’enjeu est alors de plus long terme : constituer une communauté de sécurité européenne élargie (comprendre : avec les Russes) conformément à l’objectif géopolitique foncier de Moscou depuis quelques années. C’est d’ailleurs celle-là qu’avait énoncée le même Medvedev il y a quatre ans, et qui constitue l’ambition constante de sa politique étrangère. Ainsi, la déclaration du président russe révèle bien des facettes, comme souvent.

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