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Défense : le retard technologique de la France s’accumule
©Michele CATTANI / AFP

Graal du XXIeme siècle ?

La France accumule un retard technologique face à la Chine ou à la Russie sur certaines armes comme celles liées à l'électromagnétisme, à l'intelligence artificielle ou bien encore sur le dossier des drones (pointé du doigt dans le dernier rapport de la Cour des comptes notamment). Quelles sont les raisons de ce retard ?

Fabrice Wolf

Fabrice Wolf

Fabrice Wolf est ancien pilote de l’aéronautique navale, et rédacteur en chef du site d’information Meta-defense.fr.

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Atlantico.fr : L’Occident n’est plus le seul pôle de développement technologique majeur. En lui ravissant son statut Chine, Russie et leur clientèle ne font pas que supprimer un monopole, ils s’attaquent au fondement même de la stratégie et de la puissance occidentale. Plus inquiétant, c’est l’initiative technologique elle-même que nous pourrions perdre. En témoigne tout une série d’armements higth tech qui défrayent la chronique dont les fameux canons électromagnétiques.

Quelles sont les spécificités techniques et opérationnelles des canons électromagnétiques ? Peut-on parler de technologie de rupture ? 

Fabrice Wolf : Effectivement c'est une technologie de rupture. Aujourd'hui les systèmes d'artillerie sont en infériorité sensible vis-à-vis des missiles, notamment sur les navires de combat, sur lesquels les missiles prédominent. Or les rail gun permettent d'atteindre des cibles à 200, et plus tard à 400 km, grâce à une vitesse initiale de l’obus entre mach 7 et mach 10. Or, aujourd’hui, pour frapper une cible distante de plusieurs centaines de kilomètres, il est nécessaire d’employer un missile de croisière, ou un missile antinavire, dont le prix dépasse souvent le million d’Euro.Le Rail Gun, tout aussi précis, permet de diviser ce prix par 100...A cela s’ajoutent d’autres atouts, comme le stockage des munitions. Là où sur un bâtiment de combat, il est difficile de dépasser le nombre de 60 missiles embarqués, un Rail Gun permettra de disposer d’une réserve de plusieurs centaines de projectiles.

Ceci dit il y a également des contraintes, comme la production électrique. Pour faire fonctionner ces systèmes d'armes, il faut être capable d'avoir une production électrique extrêmement élevée. Et la conception navale aujourd'hui, en tous cas en Europe et aux Etats-Unis, n'intègre pas de telles capacités. Il n'y a guère que les croiseurs type 055 chinois qui soient, aujourd’hui, conçus pour pouvoir, à terme, intégrer et mettre en œuvre ce système d’arme. D'ailleurs la Marine De l’Armée Populaire de Libération prévoit de mettre en service les premiers croiseurs équipés de Rail Gun en 2025, ce qui est demain en termes de planning de défense. 

Sont-ils une partie de la réponse aux stratégies de déni d’accès déployées par les Russes, les Chinois et leurs clients ? 

Totalement. Le Rail Gun est une arme précise à longue portée, permettant de saturer sa cible d’obus alors même que ce dernier n’a pas encore détecté la présence de l’attaquant. En outre, du fait de la grande vélocité des projectiles, la cible n’a qu’un délai très court pour réagir, trop court pour tenter d’éliminer la menace. D’autre part, cette grande vitesse initiale le rends également très adapté en tant que système anti-aérien et anti-missile. Donc effectivement c’est l’arme anti-déni d’accès par excellence.

Pour avoir une idée, il faut imaginer qu’à terme, ce système permettra à un bateau ancré au large de Bastia de tirer des obus au niveau de Lyon, avec une précision de quelques mètres. 

Pourquoi un tel retard de la France dans ce champ ? C’est particulièrement flagrant avec les éclaircissements du nouveau rapport de la Cour des Comptes.  On a l’impression que le pays commence à prendre un retard important dans des segments qui seront pour tant vitaux à l’avenir : (armes électromagnétiques, armes à énergie dirigée, guerrelec, armes hypersoniques, drones, IA…) : quelle en est la raison ?

La France, et l’Europe, sont clairement en retard. Le développement technologique militaire est une question de tempo. Nous sortons de 30 années durant lesquelles le tempo était particulièrement lent.Avec la fin de la guerre froide, et l’illusion de la doctrine des « Bénéfices de la Paix », les occidentaux étaient convaincus d’avoir un ascendant technologique global, et notamment sur la Chine qui affichait alors 20 ans de retard du point de vue technologique, ou sur la Russie dont l’économie était dévastée. Ces certitudes ont perduré jusqu’en 2015, après que la Russie ait annexé la Crimée, et la Chine la majorité de la mer de Chine.

En France, mais également aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, l’attention fut concentrée autour des conflits de type asymétrique et anti-insurrectionnels, comme en Afghanistan, en Irak ou au Mali, et le nombre de nouveaux programmes, comme les budgets de recherche en matière de nouvelles technologies, furent très sensiblement réduits. Ce ne fut pas le cas en Chine et en Russie.

Pour Pékin, l’objectif, tracé par le président Xi Jinping, est de devenir la première puissance militaire mondiale en 2049, pour les 100 ans de la République Populaire de Chine. Le pays s’est pleinement investi pour rattraper son retard technologique, et y est parvenu en 20 ans, alors que dans le même temps, les occidentaux stagnaient. Aujourd’hui, dans de nombreux domaines, comme les drones, les avions de combat, les navires et sous-marins, et les missiles, les productions chinoises sont d’une qualité proche de celle des meilleurs systèmes occidentaux, tout en étant souvent bien moins chers, et plus nombreux.

Pour Moscou, la stratégie établie par Vladimir Poutine depuis son accession au pouvoir en 2000 est différente. Sachant que le pays n’aura pas les moyens financiers pour s’engager dans une course aux armements, les stratèges et industriels russes privilégièrent des approches dissymétriques, en neutralisant les forces de l’adversaire, et en exploitant ses faiblesses. C’est ainsi que grace à ses systèmes anti-aériens multicouches, ses missiles hypersoniques, ou ses nouveaux blindés, la Russie parvient à avoir l’avantage militaire sur l’Europe, pourtant 4 fois plus peuplée, et 12 fois plus riche.

De fait, ni la Chine, ni la Russie n’ont fait de pause technologique comme le fit l’occident, et notamment la France. Non seulement ont-ils continué à avancer dans leurs recherches, mais ils ont conservé la dynamique de recherche, là où nous avons sévèrement handicapé notre base industrielle et technologique défense. A titre d’exemple, il existe un programme de recherche franco-allemand concernant le Rail Gun, mais il est à peine financé, et ce depuis des années. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que l’écart technologique se soit creusé.

Certaines personnes mettent en doute la fiabilité des annonces chinoises dans le domaine de l’armement high tech. Ce ne serait pas la première fois que Pékin élabore un jeu de dupe sur son avance réelle ou supposée ? 

C’est très peu probable. Pékin ne cherche pas à construire une défense en miroir, mais vise un objectif à long terme. Ils ne sur-communiquent pas, ou très peu. Bien évidemment, dans la presse d’état, les militaires et industriels sont excessifs dans leurs déclarations, mais il s’agit d’une communication à visée intérieure, et non extérieure.

Peut-on soupçonner une spéculation de la Chine destinée à embarquer les occidentaux dans une course à l’armement qui pourrait s’avérer destructrice pour leurs outils de défense ?

Là encore, c’est très peu probable, et pour les mêmes raisons. La Chine suit son plan de développement, et le suit remarquablement bien. Aucune nation avant elle avait réussi à développer de façon presque autonome une aéronavale embarquée opérationnelle en si peu de temps.  Il est d’ailleurs remarquable de constater à quel point industriels, militaires et politiques travaillent de façon conjointe pour faire simultanément monter en compétence les personnels et en capacité les équipements. Dans certains domaines, comme celui des moteurs d’avions, ils restent en retrait. Mais d’en d’autres, ils ont déjà dépassé les européens, si pas les occidentaux dans leur ensemble. Les applications défense de l’électromagnétisme en est un exemple frappant.

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