Dans le Moscou post mutinerie de Wagner, l’autorité de Vladimir Poutine a pris un sérieux coup <!-- --> | Atlantico.fr
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La rébellion d'Evguéni Prigojine contre Vladimir Poutine a fragilisé le pouvoir et l'autorité de Vladimir Poutine.
La rébellion d'Evguéni Prigojine contre Vladimir Poutine a fragilisé le pouvoir et l'autorité de Vladimir Poutine.
©GAVRIIL GRIGOROV / SERGEI ILNITSKY / SPUTNIK / AFP

Tensions au Kremlin

La rébellion avortée du groupe Wagner, menée par Evguéni Prigojine, a révélé les divisions et les luttes de clans au sein du pouvoir russe.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Après la mutinerie de Wagner, l'autorité de Vladimir Poutine a été fragilisée. Moscou semble sombrer dans l'obscurité des factions ? Quelles sont les factions qui sont au coeur du pouvoir russe ? S’agit-il de divisions internes ? De dérives mafieuses ? De guerres des services de renseignement ?

Viatcheslav Avioutskii : En réalité, les factions sont présentes depuis de nombreuses années en Russie dans la structure de régime de Poutine. Cela constitue même sa marque de fabrique. Il a joué sur les contradictions de certains groupes d’intérêts. La multiplication des factions et les contradictions entre ces différents groupes contribuent à l’affaiblissement de Vladimir Poutine en tant qu’arbitre. Il n’est plus vu comme un arbitre mais comme un manager de crise qui essaye de sauver son propre régime.

Le socle de son régime est composé d’une dizaine de clans. Ils devraient préserver leur loyauté envers Vladimir Poutine. Or, les divisions et les tensions sont nombreuses. Tout ce système est en train de s’écrouler. Il s’agit de contradictions internes qui ne devraient pas fuiter hors du Kremlin et dans les médias.

La mutinerie de Prigojine a été un électrochoc. Trois jours après, Vladimir Poutine a organisé une réunion avec 35 commandants de Wagner et Prigojine. Le leader du groupe de mercenaires avait pourtant été qualifié de « traitre ». Poutine n’a pas réussi à faire face Prigojine, qui a joué le rôle du mauvais génie sorti d’une bouteille. Son influence a dépassé la marge de manœuvre de Poutine lui-même. Le leader du Kremlin a donc dû composer avec celui qu’il avait qualifié de traître.

Il y a en réalité une fracture à l’intérieur de l’establishment militaire. Un groupe d’une dizaine de généraux ont soutenu Prigojine et ne sont pas satisfaits de la manière dont la guerre se déroule. Et ils commencent à douter de l’issue du conflit.

Le sort du général Sourovikine reste un mystère également. Il a littéralement disparu. Il pourrait avoir été arrêté et pourrait être actuellement en détention. Il avait une relation amicale avec Prigojine. 

Quel peut être le rôle et l’avenir de Prigojine et de Wagner ? La réunion de trois heures après la mutinerie a-t-elle apaisé les choses avec le pouvoir russe et Vladimir Poutine ?

Les résultats de cette réunion sont étonnants. Poutine a qualifié Wagner et Prigojine de « menaces » quasi existentielles envers la Russie, et donc envers son régime personnel. Les mercenaires de Wagner ne pouvaient pas renverser la Russie mais ils auraient pu ébranler son régime.

Mais en réalité, Poutine a fait volte-face et a changé d’attitude. Prigojine n’a finalement pas été arrêté. Le chef de Wagner a bénéficié d’une porte de sortie à travers cette réunion qui a duré trois heures.

Selon certains observateurs russes, cette réunion avec Prigojine révèle et acte un changement de régime. Vladimir Poutine ne veut pas l’avouer. La Russie est passée d’un régime autoritaire, mais civil, vers un régime militaire. Poutine a cédé face à un groupe de généraux qui représentent une force réelle.

La Russie est un régime militaire qui ne veut pas dire son nom dorénavant. Ce régime est en train de remplacer Poutine, qui est affaibli, qui a perdu l’initiative.

Poutine était jusqu’à présent qualifié de « maître de l’inaction ». Grand adepte du judo, il a su profiter des fautes de ses partenaires. Vladimir Poutine avait l’habitude de réagir aux faiblesses des autres. Il est apparu comme complètement dépassé.

La Russie est donc entrée dans l’ère d’un régime militaire. Ce qui est plus grave, c’est que l’identité de ces généraux influents reste incertaine. La liste des généraux a aussi évolué avec les pertes sur le champ de bataille.

Il y aurait une faction de généraux qui serait derrière ce putsch. Ils auraient décidé un arrangement avec Poutine et auraient obtenu leur part du gâteau au niveau du pouvoir. Ils ont indiqué que Prigojine n’allait pas gagner mais ont conseillé à Poutine de céder.

Valeri Guerassimov, le Chef d'État-major général des forces armées, ou Sergueï Choïgou, le ministre de la Défense, se sont retrouvés de plus en plus marginalisés.

Ces guerres internes entre les différentes factions sont liées à des intérêts financiers également. Ces clans et les généraux ne sont pas motivés principalement par les intérêts nationaux de la Russie et l’art de la guerre. Ce qui les intéresse, c’est de s’emparer des actifs ou des multinationales occidentales dans les territoires occupés.  

Quelle peut être la conséquence de la fragilisation de l’autorité de Vladimir Poutine sur le conflit en Ukraine ?

Des processus d’accord auraient pu être signés dès les premiers mois du conflit à travers la négociation. Le régime de Poutine est en train d’évoluer mais des tractations se déroulent en secret. La plupart de ces clans sont dirigés par des personnes ayant plus de 70 ans comme Vladimir Poutine lui-même.

La logique dans ces clans est plutôt monarchique. Le clan de Nikolaï Patrouchev, Secrétaire du Conseil de sécurité de la fédération de Russie et bras-droit de Poutine, se prolonge avec son fils qui est ministre de l’Agriculture. Le père utilise la force publique de l’Etat pour contrôler les actifs agricoles du monde agro-industriel.

Une nouvelle génération d’hommes politiques est pressentie pour succéder à Vladimir Poutine.

Il y a donc des similitudes et des liens avec la période féodale. Des morceaux de pays ont été confiés par le souverain à ses proches. Cela constitue des principautés qui détournent les ressources économiques.

Il y a un clan tchétchène qui est en train d’émerger. Un parent proche de Kadyrov a été nommé à la tête des actifs russes de Danone qui ont été nationalisés récemment.

En réalité, il y a un clan Patrouchev, un clan Kadyrov… Une dizaine de ces clans sont au cœur de la politique russe.

Prigojine, les factions et Poutine vont-ils parvenir à se réconcilier ? Quelles pourraient être les tentatives de Vladimir Poutine pour regagner son autorité ? Des purges sont-elles à prévoir ?

Ce qui est frappant dans le contexte actuel, c’est le décalage qui existe entre la solennité des propos de Poutine après le putsch de Wagner. Le chef du Kremlin a confié que la patrie était en danger face à une menace existentielle. La dernière tentative de coup d’Etat en Russie remonte à 1991. Pendant trois décennies, il n’y a jamais eu ce type d’épreuve en Russie.

Le côté modeste des représailles après la rébellion de Wagner interroge également. En étant obligé de composer et d’échanger avec Prigojine, Poutine est apparu affaibli. Son socle est en train de se fragmenter. Les jeunes générations dans l’ombre du pouvoir ne sont pas prêtes à gouvernement

La personne la plus active et la plus passionnée est un repris de justice et criminel, Evguéni Prigojine, ce qui constitue un vrai paradoxe et en témoigne de la dégradation généralisée du système politique.

Il semble impossible que Poutine puisse consolider son socle de pouvoir. Nous assistons à l’aggravation de la lutte entre les clans.

Le clan de Prigojine s’est notamment opposé à celui de Kadyrov. Les relations étaient très difficiles entre eux.

Ces clans constituent un véritable panier de crabes. Dans les années 1990, les oligarques étaient comme des crabes dans un panier. Ils se blessaient les uns les autres. Depuis l'arrivée de Poutine au pouvoir, les oligarques russes sont assez marginalisés et remplacés par des clans issus de la force publique, le FSB, le ministère de l’Intérieur, l’armée et certaines factions. Ce changement qualitatif témoigne d'une fragmentation de l'Etat affaibli par les factions qui en font partie.

Ces clans sont en train de lutter pour le pouvoir. Poutine, affaibli, n’arrive pas à apporter la victoire en Ukraine.

La faiblesse de Poutine s’explique par les bévues de la guerre en Ukraine.

Sur le front, le rapport de force n’est pas en faveur de la Russie, qui risque de perdre. La Russie ne pourra tenir. Seul Poutine y croit encore.      

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