Obono : et le piège identitaire se referma sur la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Danièle Obono Valeurs actuelles polémique racisme médias justice La France Insoumise
Danièle Obono Valeurs actuelles polémique racisme médias justice La France Insoumise
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Enquête préliminaire

S’il est heureux que le racisme, même non intentionnel soit unanimement condamné, l’ouverture d’une enquête préliminaire pour "injures à caractère raciste" par le parquet de Paris fait basculer l’affaire de l’article publié par Valeurs Actuelles dans une toute autre dimension politique.

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul est un ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il a remis au gouvernement, en février 2018, un rapport sur la laïcité. Il a cofondé en 2015 le Printemps Républicain (avec le politologue Laurent Bouvet), et lance actuellement un think tank, "L'Aurore".

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : Le Parquet de Paris vient d'ouvrir une enquête pour « injures à caractère raciste » après l’article sur Danièle Obono par Valeurs Actuelles. Que pensez-vous de cette polémique ? L'ampleur qui lui est vouée est-elle mesurée ? 

Edouard Husson : Ce n’est pas une polémique. C’est une opération politique. Les militants indigénistes sont des professionnels de la provocation? Et ils n’ont pas l’habitude, visiblement, qu’on les combatte de manière intelligente. Au plus tard depuis la parution de l’histoire globale des la traite des Noirs  par Olivier  Pétré-Grenouilleau, on sait qu’elle n’a pas été le fait des seuls Occidentaux: les peuples d’Afrique eux-mêmes ont contribué à la réduction en esclavage de leurs frères humains. Evidemment, les faits historiques sont refusés par les militants politiques gauchistes qui veulent entretenir la haine de l’Occident et en particulier la haine de soi d’un certain nombre d’Occidentaux. La fiction de « Valeurs Actuelles » est une autre manière de rappeler ce que les militants racialistes ne veulent pas entendre. On peut aimer ou pas le style de ce texte. Mais cela ne justifie en aucun cas le déchaînement d’injures et de calomnies qui s’est déversé sur la rédaction de « Valeurs Actuelles ». Je pense d’ailleurs que le journal n’est pas assez combattif dans la polémique. Ils font comme s’ils avaient en face d’eux des gens prêts à argumenter rationnellement. Mais non: ils sont face à des militants politiques très rodés, habitués à polémiquer. Et qui ont pour habitude d’insulter la France qui les a accueillis généreusement et qui leur passe tous leurs caprices. La seule excuse que l’on peut trouver aux déchaînements réguliers contre l’universalisme français d’une Danièle Obono ou d’un Sylvain Afoua, c’est que cette haine de la france leur a été inculquée par la haine de soi de beaucoup d’enseignants, de journalistes, d’hommes politiques. Je cite régulièrement dans ces colonnes le cri du coeur quelque peu pervers de mon ancien professeur d’histoire d’hypokhâgne devenu inspecteur général de l’Education nationale: il expliquait, en 1994, lors d’un colloque sur l’enseignement de l’histoire, que les programmes du secondaire étaient « trop gallocentrés ». Moins de trois décennies plus tard, nous récoltons ce que ces belles âmes ont semé. N’est-il pas frappant que, face à Geoffroy Lejeune, Sylvain Afoua se lance dans une diatribe contre Louis XIV? Ou que l’on entende dans la bouche de ces militants: « De Gaulle, tout ça, il va falloir oublier ». Dignes enfants du « Dix ans ça suffit «  des soixante-huitards ! Enfants légitimes de la destruction de l’histoire et l’instruction civique dans l’Ecole de la République. 

Gilles Clavreul : Qu’il y ait une réaction quasi unanime pour condamner le fait qu’un magazine publie la représentation d’une élue de la Nation en esclave enchaînée, je trouve cela plutôt rassurant. Cette image, comme le récit qui l’accompagne, qui se veut ironique et édifiant et qui est surtout médiocre et glauque, tout cela ne sont pas dignes d’un organe de presse qui se veut « civilisé ». Peu m’importe de savoir s’il s’agissait, de la part du titre, d’un loupé ou d’une provocation calculée : le résultat est là et il n’est pas acceptable. Il me paraissait donc normal qu’un soutien large soit apporté à Madame Obono, ce qui est d’ailleurs le démenti le plus cinglant qui pouvait être apporté à Madame Obono elle-même, elle qui ne cesse, avec ses amis décoloniaux, de dénoncer le racisme profond de la société française et la grande tolérance dont il bénéficierait. Elle qui parle de « racisme d’Etat » a reçu un appel de soutien du chef de cet Etat raciste ! Dénoncer ce texte et ces dessins odieux, soutenir Madame Obono parce que dans cette affaire, elle est la victime, c’était la moindre des choses. Et c’est aussi ce qui fait toute la différence entre les démocrates, les républicains, les antiracistes, qui n’épluchent pas le dossier de la victime avant de la défendre, et Madame Obono qui, on se le rappelle, avait cru bon d’expliquer qu’elle ne pleurerait pas les victimes de Charlie. On n’oublie pas ceux qui, depuis huit ans, ont plaint les Kouachi, aimé Merah, loué Amadinejad, et qui ont consciencieusement plongé la tête dans le sac à l’évocation de leurs victimes. Ne leur faisons pas le cadeau de commencer à leur ressembler.

Pourquoi cet article a-t-il été davantage exposé en comparaison à d'autres faits racistes qui se produisent en France ?  

Edouard Husson : La vie politique est devenue un théâtre d’ombres, une gesticulation permanente, une série de diatribes alternées. On ne cesse de se demander comment communiquer et non comment agir. Le candidat Macron expliquait que « la colonisation française est un crime contre l’humanité ». Né en 1977, il est lui aussi un rejeton de l’Ecole post-1968. Plus manipulateur que d’autres, Emmanuel  Macron n’est pas dupe de ce qu’il raconte. Il voit tout le profit qu’il peut tirer d’une domination de la « haine de soi » dans le débat politique. Quand cela devient trop chaud - lors des déboulonnages de statue - il fait semblant de s’indigner. Mais sur le fond, le président a besoin de ces débats qui enfoncent la droite à chaque fois qu’elle relève la tête. N’est-ce pas merveilleux, pour le président, de voir le Rassemblement National se désolidariser, au moins en partie, de « Valeurs Actuelles »? Cela permet de taire la réalité des choses, la multiplication des violences, quotidiennement, l’augmentation de la délinquance. Vous parlez de « faits racistes »: je pense pour ma part que, malgré la tentative réitérée de plaquer sur la société française des clivages qui caractérisent les sociétés de culture anglo-saxonne, la société française est largement indemne de racisme. Notre tissu social est rongé par des inégalités sociales et par un scandale politique permanent, à savoir le fait que la part d’argent public qui est dirigé vers les métropoles ,où vivent les enfants de l’immigration, est disproportionnée par rapport à ce qui va vers la France périphérique. Les politiques publiques de la Ville déséquilibrent scandaleusement, depuis des décennies, la redistribution de la part de PIB prélevé par l’Etat. Si l’on veut faire un tableau de la france d’aujourd’hui, on a une classe dirigeante petite bourgeoise de la mondialisation, incapable d’assurer l’emploi pour tous et qui a laissé prospérer un mélange de culture de la subvention, de délinquance et de radicalisation musulmane dans les « quartiers ». C’est de cette parti assistée, vivant hors de l’état de droit, des métropoles, que sont issus les militants indigénistes. Par comparaison, il y a une autre France, elle vraiment exclue, qui a crié sa douleur lors du moiuvement des Gilets Jaunes. 

Gilles Clavreul : Cette question est empoisonnée, mais elle est incontournable. Elle est empoisonnée car une partie des polémiques identitaires se jouent précisément sur des procès en sous ou sur-représentation supposée de telle catégorie d’actes par rapport à telle autre. On sait ce qu’il y a derrière : le soupçon du fameux « deux poids, deux mesures », qui est justement la rengaine des identitaires de tout poil, cherchant à faire admettre « qu’on » (qui ?) s’occupe mieux des « autres ». Il y a une lutte pour la reconnaissance en qualité de « seule et vraie victime » qui passe par la mise en place de ce procès en occultation médiatique. Une autre version de cette course à la victimisation consiste à dénoncer la fabrique des faux coupables. Plusieurs ouvrages ont ainsi été écrits par des sociologues militants pour dénoncer la « fabrication du problème musulman », suivant l’exemple de collègues tout aussi militants qui expliquaient un peu plus tôt que l’insécurité était tout aussi fabriquée, pour des besoins politiques.  

Et pour autant on ne peut pas complètement éluder cette question, pour la raison que je viens d’invoquer : l’identité est l’occasion de batailles de représentations où certains acteurs sont plus forts que d’autres et parviennent à mieux occuper symboliquement le terrain. Par « plus forts », j’entends : plus stratèges, meilleurs communicants, plus efficaces sur le plan symbolique. Les mobilisations pour dénoncer « l’islamophobie », les « violences policières » et le « racisme d’Etat » ont acquis une incontestable maturité militante. Ce sont d’excellents propagandistes. La droite identitaire n’est pas en reste elle non plus, en empruntant des canaux un peu différents car elle n’a pas le même potentiel de mobilisation de rue. En revanche, elle est très active sur les réseaux sociaux et sait désormais se faire inviter sur les plateaux de télévision, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années. En marge de ces deux gros blocs, l’antiracisme traditionnel est à la peine, d’autant plus qu’il est de plus en plus divisé. Cela a pour effet collatéral que certains racismes sont aujourd’hui très timidement dénoncés : celui qui vise les Roms, les Asiatiques, mais aussi, il ne faut pas hésiter à le dire, l’antisémitisme, sauf lorsqu’il est le fait de l’extrême-droite. Le front républicain et universaliste a beau être majoritaire dans le pays, il ne se mobilise que dans de trop rares occasions. Charlie en restera l’exemple indépassable, et malheureusement éphémère.

Gouvernement, politiques, justice et médias se sont rapidement emparés du sujet. Pourtant, de nombreux actes racistes ont eu lieu cette année en France, comme ce policier réunionnais à Cognac insulté de "sale nègre". Dans cette affaire, le Parquet n'a jusqu'à présent donné qu'un simple "rappel à l'ordre" à l'auteur de ces propos.  La justice est-elle (vraiment) égalitaire ? 

Edouard Husson : Elisabeth Lévy a dit l’essentiel en peu de mots sur Cnews: faut-il que nous ayons perdu le sens de la liberté pour accepter le lynchage d’un média par d’autres médias; et pour accepter que des ministres du gouvernement de la République participent à la curée ! Par ailleurs, que nous ayons une justice politisée et partiale, au moins pour un certain nombre de magistrats, c’est un fait. L’extrême gauche peut commettre les dégâts qu’elle veut, elle ne sera pas inquiétée. En revanche, dès que vous dépassez le centre et commencez à vous affirmer un peu, beaucoup ou passionnément de droite, alors attendez-vous à trouver sur votre route, au moindre faux-pas, des juges impitoyables. Surtout, il faut bien se rappeler, à chaque fois, que la France n’est pas caractérisée d’abord par le racisme mais par une vision politique, universaliste, de l’individu. La justice ne fait qu’un rappel à la loi à un individu qui traite un policier réunionnais  de « sale nègre » à Cognac en août dernier? Comme nous n’en savons pas plus sur les faits (imaginons, en ayant l’esprit mal tourné, que le délinquant interpelé Ne soit pas un « Français de souche »...), on remarquera que la justice française a souvent un biais contre les policiers. 

Gilles Clavreul : Cette affaire est rendue un peu complexe par le fait que l’auteur présumé des faits était un détenu bénéficiant d’une sortie médicale et qui n’avait pas regagné la maison d’arrêt comme il le devait. Si j’ai bien compris, le parquet a préféré donner la priorité à sa réincarcération du fait de cette non-présentation et non poursuivre l’injure raciste en premier. Il me semble toutefois que la procédure n’est pas close et que le policier victime a porté plainte. Toujours est-il qu’il ne faut pas en effet donner le sentiment que certains comportements sont moins sanctionnés que d’autres. Cela devient de plus en plus difficile parce que les fabricants de polémique guettent le moindre signe, même le plus insignifiant, pour hurler à l’injustice. Ce n’est pas vrai qu’en matière de racisme, d’ailleurs, on l’a vu sur plusieurs procédures impliquant des politiques. Chacun, en la matière, doit faire preuve de responsabilité et de discernement : les magistrats bien sûr, qui doivent à la fois s’abstraire du bruit médiatique et des pressions, tout en tenant compte de la façon dont leurs décisions sont comprises, en premier lieu par les victimes ; mais aussi les médias. La présentation qui est faite par certains médias spécialisés dans ce qui est présenté comme de « l’investigation », mais qui n’est en fait le plus souvent que l’exploitation des règlements de compte entre les parties ou le recueil de dossiers d’instruction, en principe couverts par le secret, mais généreusement « oubliés » par on ne sait qui, donne trop systématiquement l’impression au lecteur qu’il y a « quelque chose qui cloche » et « qu’on », toujours lui, intervient dans le cours de la justice pour la manipuler. Ces nouveaux procureurs médiatiques s’emparent d’une drôle de responsabilité, en court-circuitant ainsi une institution judiciaire il est vrai bien trop lente.

Comment médias et politiques peuvent-ils parvenir à sortir de cette polémique ? 

Edouard Husson : Ce sera très difficile car il faudrait une clarification, un effort d’honnêteté intellectuelle. Il faudrait aussi que le courage revienne à la partie de la classe politique - la droite, dans toutes ses nuances, la gauche qui reste universaliste - qui aurait dû défendre « Valeurs Actuelles ». C’est le moment de se rappeler la belle formule de Péguy: « Il faut dire ce que l’on voit. Surtout, il faut voir ce que l’on voit ». Ce que je vois, c’est l’indignation théâtrale d’une personne qui a insulté la France plus qu’à son tour et ne supporte pas qu’on la mette en cause, qu’on discute l’idéologie dont elle est porteuse. C’est l’intrusion illégale dans les locaux de « Valeurs Actuelles » de la LDNA, qui restera sans aucun doute impunie. Ce qui est non moins évidemment, c’est la lâcheté d’une classe politique, intellectuelle, journalistique qui aurait dû remettre à leur place depuis longtemps les militants de la gauche indigéniste. 

Gilles Clavreul : Est-ce seulement possible ? Pour en sortir, comme vous dites, il faudrait ne jamais répondre ! Mais lorsque vous vous taisez, non seulement on vous le reproche, mais par définition vous laissez les identitaires et les fabricants de buzz occuper le terrain. Rappelons-nous ce que l’on disait à propos de Dieudonné, début 2014 : mais pourquoi l’interdire, vous allez lui faire de la publicité, il n’attend que cela ! C’était évacuer la seule question pertinente : Dieudonné a-t-il oui ou non incité à la haine ? Si la réponse était positive, alors il fallait agir en conséquence, c’est-à-dire le poursuivre et interdire ses spectacles pour trouble à l’ordre public. Peu nombreux étaient ceux qui, à l’époque, soutenaient le ministre de l’Intérieur Manuel Valls dans sa démarche. Six ans plus tard, il est pourtant clair désormais qu’il avait raison. J’aurais tendance à appliquer le même raisonnement, en précisant bien qu’on ne peut pas s’engager à moitié, être de certains combats et pas d’autres au motif que « le vrai danger, c’est… ». Non : le vrai danger c’est la haine sous toutes ses formes, c’est la violence, c’est le rejet des principes républicains, c’est la contestation des institutions démocratiques, ce sont les théories conspirationnistes, ce sont les sectes. Il n’y a pas de hiérarchie à établir, même si bien sûr tous les mouvements, tous les courants extrémistes ne représentent pas le même niveau de menace à un instant t. Il faut donc ne pas hésiter à mettre les mains dans le cambouis, pour ne pas dire autre chose. Il est des jours où l’on se passerait volontiers des surnoms charmants que l’on gagne à fréquenter l’asile à ciel ouvert que sont parfois les réseaux sociaux, ou à croiser le fer sur les plateaux de télévision ou par tribune interposée avec des interlocuteurs dont on sait qu’ils sont de parfaite mauvaise foi, mais on ne peut pas se plaindre que les identitaires fassent chaque jour davantage de parts de marché si on leur laisse la voie libre.

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