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D’auberge espagnole en casse-tête chinois… Mais pourquoi les programmes Erasmus ont-ils échoué à créer un sentiment européen chez les jeunes ?
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Erasme, où es-tu ?

Alors que sort "Casse-tête chinois", suite de la suite de "L'auberge espagnole" qui avait consacré les programmes Erasmus en France, l'Europe n'a jamais été à ce point rejetée par les Européens. Bilan d'un échec dans la création d'un sentiment communautaire européen.

Magali Ballatore

Magali Ballatore

Magali Ballatore est chercheur à l'Université catholique de Louvain, ses recherches concernent la mobilité intra-européenne des jeunes qualifiés.

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Atlantico : Le programme Erasmus ne voit pas son succès auprès des jeunes étudiants se démentir. Pourtant, depuis presque dix ans, l'Europe peine à se faire aimer et enchaîne les rejets populaires. Le programme Erasmus a-t-il échoué a enclencher une dynamique d'identification à un espace européen, notamment chez les jeunes ?

Magali Ballatore : Le programme Erasmus est loin de bénéficier à une majorité de citoyens européens. Au départ conçu pour les étudiants, il n'a jamais concerné plus de 5% des inscrits de l'enseignement supérieur. Aujourd'hui Erasmus+ regroupe différents programmes européens, à différents niveaux des systèmes éducatifs, mais aussi des programmes qui concernent les stagiaires, les jeunes travailleurs, les enseignants, etc. Il n'en reste pas moins qu'en Europe la norme c'est toujours l'immobilisme et non la mobilité dans les mondes professionnels et scolaires (Courty, 2013). Erasmus n'a pas non plus été créé pour "enclencher une dynamique d'identification à un espace européen". Les objectifs explicites sont d'abord de soutenir la création d’un Espace européen de l’enseignement supérieur et aujourd'hui, avec le nouveau programme, de renforcer la contribution de l’enseignement supérieur et de l'éducation professionnelle au processus d'innovation. Des objectifs opérationnels sont aussi souvent mis en avant : améliorer la qualité et accroître le volume de la mobilité des étudiants et du personnel enseignant dans toute l’Europe, accroître le volume de la coopération multilatérale entre les établissements d’enseignement supérieur. Le fait d'accroître le volume de la coopération entre les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises est aussi évoqué dans le nouveau programme. Dans ce contexte, on ne peut pas dire que le programme Erasmus ait échoué à enclencher une "dynamique", qu'il n'a jamais vraiment explicitement cherché à créer.

L'attrait des jeunes pour le programme Erasmus est il vraiment le bon indicateur d'un attachement à une certaine idée de l'Europe ? Où s'arrête le simple goût de la mobilité et où commence réellement le sentiment européen ?

Quelle est cette idée d'Europe à laquelle vous vous référez ? Peut-on parler de "goût pour la mobilité" ou doit-on plutôt considérer le choix de faire un séjour Erasmus, comme une stratégie, un intérêt bien compris dans un enseignement supérieur européen de plus en plus stratifié ? Des stratégies de distinction, de personnalisation des parcours, ne sont-ils pas à l’œuvre, dans un contexte également ou la mobilité, la flexibilité sont encensées ? Qu'est-qu'un sentiment européen ?

Que manque-t-il selon vous à la formation des jeunes européens pour leur forger le sentiment d'une identité commune ? Erasmus, malgré son succès, n'est-il pas qu'un grain de sable face à l'ampleur de la tâche ?

En ce qui concerne "l'identité", je pense qu'il serait intéressant d'écrire un article, à l'instar du fameux article de Pierre Bourdieu, "l'opinion publique n'existe pas", de 1972, pour démontrer que l'identité non plus ! Le propos ne serait pas de remettre en cause de façon mécanique toute analyse sur les "identités", mais de procéder à une analyse rigoureuse des fonctions et des évolutions de la question politique de l'identité. Parler d'identité au singulier, engage implicitement des postulats. Premièrement, que tout le monde a une "identité" définie, stable, ou, autrement dit, que la production d'une identité stable est à la portée de tous. Et il est possible de contester ce premier postulat. Un deuxième postulat serait qu'il y aurait des identités bien séparées et séparables (un sentiment régional, national, supranational, qui ne pourraient pas se recouper ou qui devraient être définis à l'intérieur de frontières existantes, créées historiquement, socialement). Je pense que l'on peut démontrer que beaucoup de personnes cumulent des identités, jonglent avec elles, selon les circonstances, leurs histoires. Un troisième postulat implicite réside dans le simple fait de poser sans arrêt la question aux personnes, comme s'il y avait un consensus sur le fait qu'on devrait obligatoirement n'avoir qu'une seule identité, bien identifiable. Or les identifications multiples sont diffuses, changeantes, chez un même individu. Une personne peut se sentir à la fois méditerranéenne, citoyenne du monde et européenne ou d'ailleurs ne pas se sentir européenne ou française et être très bien "intégrée" en Europe et en France, participer à la vie collective, etc. Si vous constatez que les citoyens européens aujourd'hui ne croient pas (plus ?) en cette Europe politique, économique, sociale (?), ne s'y identifie pas, il faudrait chercher des éléments d'explication du côté de certaines politiques d'austérité (néo-libérales), de la mise en compétition généralisée qui s'accompagne pour beaucoup d'étudiants, de travailleurs et de chômeurs, d'une dégradation des conditions de travail; de la qualité des services publics et plus généralement de la qualité de vie en Europe. 

Y a-t-il des États qui ont su mieux que d'autres s'appuyer sur des programmes type Erasmus pour faire croître un sentiment d'attachement à l'Europe chez les jeunes, ou a-t-on au contraire un sentiment mitigé généralisé dans tous les pays ? 

Je ne sais pas de quel sentiment d'attachement vous parlez. Le programme Erasmus, dont ne bénéficie, encore une fois, qu'une minorité de jeunes citoyens européens, peut-il, doit-il participer à construire un sentiment d'attachement à l'Europe ? Si oui, à quelle Europe ?


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