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Une photo prise le 6 décembre 2019 montre le panneau de la ville de Fessenheim près de la centrale nucléaire de Fessenheim, exploitée par EDF.
Une photo prise le 6 décembre 2019 montre le panneau de la ville de Fessenheim près de la centrale nucléaire de Fessenheim, exploitée par EDF.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Tensions sur l'approvisionnement

Le gouvernement a demandé vendredi à EDF de prendre des mesures afin d'améliorer la sécurité d'approvisionnement en électricité, après l'arrêt de plusieurs réacteurs nucléaires, faisant craindre des tensions cet hiver. Cette situation risque d'entraîner une nouvelle hausse des prix.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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François-Marie Bréon

François-Marie Bréon

François-Marie Bréon est chercheur physicien au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement. Il a participé à la rédaction du 5ème rapport du GIEC. Il est spécialiste de l'utilisation des données satellitaires pour comprendre le climat de la Terre. Membre du conseil scientifique de l'Association française pour l'information scientifique (Afis).

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Atlantico : La période hivernale est toujours un moment d’inquiétude sur le plan énergétique, avec la crainte de black out notamment.   Y-a-t-il actuellement des tensions conjoncturelles sur l’approvisionnement en électricité ? Quelles en sont les causes conjoncturelles ?

François-Marie Bréon : La France est particulièrement « thermosensible » du fait de l’importance du chauffage électrique sur son territoire. La consommation électrique en hiver est typiquement deux fois plus élevée qu’en été. Il est donc plus difficile d’avoir un équilibre offre-demande en hiver qu’en été, en particulier pendant les périodes les plus froides. Le record de consommation date de février 2012, date de la dernière grande vague de froid en France.

Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il y a une crainte de « blackout ». Ce terme indique que le système s’effondre, et que toute la France se retrouve privée d’électricité.  En pratique, si la consommation devient supérieure à la production, RTE va d’abord couper des sites industriels très consommateurs (cela a déjà été fait à de nombreuses reprises, avec des contrats pour cela) et ensuite procéder à des coupures tournantes (jamais fait en France jusqu’à présent).  Sauf accident, il n’y aura donc pas de black-out.

A cela s’ajoute que nous sommes dans la période du solstice d’hiver donc la production solaire est particulièrement faible et on est ces jours-ci au milieu d’un anticyclone ce qui fait que la production éolienne est extrêmement faible.

Typiquement, les facteurs de charge de l’éolien, y compris l’éolien en mer des pays voisins, est nettement inférieur à 10% alors que on attend généralement de l’ordre de 30% en hiver, et même 60 à 70% lorsque le vent est optimal.

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En plus, plusieurs centrales nucléaires sont en maintenance, ce qu’on évite de faire habituellement en hiver. Cela s’explique par plusieurs raisons ; des maintenances longues de type « grand carénage » et/ou « visite décennale » qui débordent sur l’hiver et une désorganisation des maintenances du fait du Covid.  Cette situation était attendue depuis plusieurs mois. En plus, on a « perdu » plusieurs centrales nucléaires du fait de problèmes techniques non anticipé. Donc oui, le système est en tension forte pour plusieurs semaines et notre consommation dépend en partie de ce que nous pouvons importer des pays voisins.

Philippe Charlez : Les mois de janvier et février (période de froid et d’obscurité) aux heures de pointes (début de matinée et début de soirée) correspondent chaque année à des demandes récurrentes en puissance comprises entre 80 GW et 90 GW avec un pic historique de 100,5 GW début février 2012. Si la France peut en théorie compter sur une puissance maximale de 136 GW dans les faits toutes les unités ne peuvent être disponibles en même temps : en oubliant le solaire (10 GW) inopérant aux heures de pointes en hiver et en comptant avec optimisme sur 25% d’éolien (quasiment pas de vent en période de grands froids anticycloniques) le parc se réduit à 112 GW. Pour satisfaire un pic de 100 GW, il faut donc que la disponibilité du parc électrique pilotable (nucléaire + hydro + thermique) atteigne 90%. Cela démontre au passage que la multiplication des éoliennes et des panneaux solaires n’a aucun intérêt dans ce cas de figure puisqu’ils ne garantissent aucune sécurité d’approvisionnement à un instant donné. Même l’hydroélectricité peut être défaillante en cas de manque d’eau ou de gel. Seules les sources pilotables (charbon, gaz, nucléaire peuvent satisfaire de tels pics de demande.

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En dépit des propos de Barbara Pompili assurant « qu’il n'y aura pas de black-out général d'ici à la fin de l'hiver », l’indisponibilité de 16 réacteurs nucléaire[1] (soit environ 15 GW) pour des raisons de maintenance volontaire mais aussi de défaillances inattendues induit une incontestable situation à risque dans le cas d’un pic de demande excédant les 90 GW. Malgré ces incontestables tensions sur l’approvisionnement en électricité, grâce à la mutualisation Européenne le risque de blackout reste heureusement très peu probable. Mais rappelons que « cette assurance tous risques » coûte très cher dans la mesure où elle conduit à payer le MWh électrique en fonction de la dernière source mise en œuvre aui est aussi la plus chère. Refuser cette règle du « merit order » ce serait implicitement accepter des périodes de blackout électrique.

Le fonctionnement du réseau électrique français est-il en cause ? Le marché électrique français fonctionne-t-il de manière optimale ? Plus largement quelles sont les causes structurelles de ces problèmes réguliers ?

François-Marie Bréon : Il y a une situation plus structurelle. Ces dernières années, on a fermé plusieurs centrales pilotables (charbon en particulier, mais pas seulement) pour diminuer nos émissions de CO2 et développer des énergies renouvelables. Eolien et solaire photovoltaïque, qui devaient remplacer ces centrales fermées, ne sont pas pilotables c’est-à-dire qu’on ne peut pas choisir les périodes de production. On a fermé des réacteurs, des centrales aux gaz, Fessenheim, etc. Ce sont des choix politiques qui ont été fait et qui ont diminué nos marges.

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Il y a eu un aveuglement du monde politique qui a répété longtemps que le renouvelable allait compenser la fermeture des centrales pilotables. C’est peut-être vrai en moyenne, mais pas au jour le jour.

Si l’on parle du marché, aujourd’hui, les prix sont un peu indépendants des coûts. Le prix du marché de l’électricité, c’est le coût du dernier moyen qui est appelé, et donc indépendant des autres moyens, même s’ils sont largement majoritaires. Quand on doit faire face à une demande on prend d’abord toutes les énergies renouvelables disponibles, puis le nucléaire, puis le gaz ou le charbon. Le prix de ces énergies augmente et on se fixe sur le dernier consommé. Ces dernières semaines, le prix du gaz a beaucoup augmenté pour diverses raisons.  Par ailleurs, le cout de la taxe carbone a progressé.  En conséquence, le coût de l’électricité au gaz et au charbon s’est envolé, et c’est cela qui fixe les prix de marché, même en France alors que le nucléaire -dont le cout n’a pas varié ou très peu, reste largement dominant.

Depuis 3 semaines, la France importe de l’électricité en quasi permanence, là où elle est habituellement exportatrice. Les imports varient en fonction de la température et de la production éolien et solaire, et sont de l’ordre de 10% des besoins. La production nucléaire a connu un frein à partir de 2016, lorsque a débuté le programme du « grand carénage » des centrales nucléaires, ce qui amène à des manques en hiver.

La ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a demandé vendredi à EDF de prendre des mesures pour renforcer à court terme la sécurité d'approvisionnement électrique et de réaliser un audit sur la disponibilité du parc nucléaire français. Quelle est la responsabilité du gouvernement dans la situation actuelle ? Quel regard porter sur les discours énergétiques tenus notamment par la gauche ?

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François-Marie Bréon : Le discours de Barbara Pompili est scandaleux.  Les agents d’EdF n’ont pas attendu sa demande pour travailler à la remise en route des centrales nucléaires. Par ailleurs, cette remise en route est conditionnée à l’autorisation de l’Autorité de Sureté Nucléaire.  Il est pour le moins surprenant que Mme Pompili, qui a toujours insisté sur les risques du nucléaire, demande que on accélère le processus de maintenance ; ce qui pourrait comporter des risques

Le discours des écologistes et de LFI est irresponsable et démontre une grande méconnaissance de la problématique. Même si le nucléaire Français est défaillant, on est bien content de l’avoir en cette période ou les énergies renouvelables ne produisent pratiquement rien. Lorsque Julien Bayou dit « c'est l'entêtement dans le nucléaire qui nous met dans cette difficulté », soit il ment, soit il ne comprend rien. La puissance potentielle de l’ensemble du parc nucléaire complet est de 61 GW ; en pratique, environ 43 d’accessibles. L’éolien en France a une capacité totale de 17 GW et produit moins de 2 GW.  Le solaire est aussi très faible puisque on est au solstice d’hiver et que les journées sont très courtes. En Allemagne, le nucléaire, dont le parc a été réduit, produit plus que le solaire et l’éolien réunis qui ont un parc installé 15 fois supérieur.

Quelle est la responsabilité des politiques de ces dernières décennies sur la situation du parc et du marché énergétique français ? Doit-on craindre une dégradation dans les années à venir ? 

François-Marie Bréon : Depuis Mitterrand, le monde politique dirigeant est nucléaire-sceptique. Il ne s’y oppose pas frontalement mais ne l’encourage pas. Mitterrand renonce au projet de centrale nucléaire à Plogoff en Bretagne. Superphénix a ensuite été fermé par Lionel Jospin sous la présidence de Jacques Chirac. L’année dernière Emmanuel Macron a fermé Fessenheim avant de renoncer au programme Astrid. Cela fait 20 ans que nous n’avons pas construit de centrales et ça entraine une perte de compétence qui s’est bien vu sur le chantier de l’EPR de Flamanville.

Il y a eu des alertes répétées sur la disparition des marges du système électrique (président de l’ASN André-Claude Lacoste).  Ensuite, le politique a nommé à la tête de RTE d’autres politiques qui ont eu un discours irresponsable (tout va bien, la consommation va diminuer, on aura des marges). Les politiques ont voulu un développement du renouvelable en oubliant que ces énergies n’apportent aucune puissance garantie comme on le constate ces jours-ci.

Et oui, la situation va durer car le parc nucléaire est vieillissant ; il peut encore fonctionner en sureté mais à condition de faire des travaux dessus, travaux qui rendent ces centrales indisponibles pendant plusieurs mois. La sureté du nucléaire est à ce prix.

Le rapport de RTE a montré que les renouvelables pouvaient se développer et être utiles à condition de développer des mécanismes de flexibilité comme du stockage.  Or, rien n’est fait dans ce sens. On peut vouloir développer du renouvelable, et le rapport RTE a indiqué que c’était nécessaire pour aller vers la neutralité carbone, mais il faut aussi développer le stockage en parallèle, sans quoi les énergies renouvelables sont inutiles pour des périodes comme aujourd’hui.

Philippe Charlez : Cette situation conjoncturelle doit alerter les responsables politiques quant à l’aberration de leur politique énergétique qui courre depuis 20 ans. Les 150 milliards d’euros investis dans les renouvelables n’est un « tonneau des Danaïdes » qui ne peut en rien répondre aux pics de demande. A quoi sert de produire abondamment des MWh solaires en plein été quand nous n’en avons pas besoin ?  Les intermittences du solaire et de l’éolien sont impuissants à satisfaire un pic de demande. Ils ne peuvent que plonger dans le noir et dans le froid l’ensemble de la population française quand elle a besoin de lumière et de chaleur. L’éolien et le solaire ce sont des « respirateurs en réanimation fonctionnant entre un jour sur cinq et un jour sur dix ». Si ces 150 milliards d’euros avaient été investis dans le nucléaire et non dans les renouvelables nous aurions aujourd’hui plusieurs dizaines de réacteurs neufs supplémentaires. Le blackout électrique français ne serait qu’un fantasme et nos voisins nous achèteraient davantage de MWh au prix fort. Au contraire, pour satisfaire un éventuel pic de demande en janvier, il faudra que l’Europe fasse fonctionner à plein régime…ses centrales au fuel et au charbon.

La priorité est aujourd’hui de ne plus fermer aucun réacteur, de procéder sans tarder au grand carénage des réacteurs existants (il ne réenchérira le MWh que de 10 euros) et de lancer la construction d’au moins 10 EPRs pour remplacer une partie des réacteurs vieillissants. Après de nombreux atermoiements caractéristiques de son incorrigible « en même temps », le Président de la République semble s’être enfin rangé du côté de la raison. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le nucléaire est devenu un vrai marqueur politique entre une droite pragmatique et une gauche idéologique.

Une gauche sans aucune imagination qui reste fidèle à elle-même. Après avoir instrumentalisé le climat pour essayer sans succès d’imposer la décroissance, elle tente de récupérer la situation actuelle pour essayer de démontrer que le nucléaire…est une « énergie plus intermittente que le solaire et l’éolien » selon Julien Bayou. Grotesque ! A l’image de ses représentants, elle ne représente fort heureusement que 20% de l’électorat et n’a aucune chance d’accéder au pouvoir. Mais son idéologie reste malheureusement profondément nuisible au débat démocratique. Que les leaders proclamés de la droite s’en détachent sans état d’âme. C’est leur meilleure chance de succès !

La transition énergétique qui procédera au « grand remplacement » d’équipement thermiques par des équipements électriques provoquera un presque doublement de la demande électrique à l’horizon 2050. Plus de demande électrique c’est bien entendu davantage de pics de demande et donc mécaniquement davantage de risques de blackouts en plein hiver sauf à mettre en œuvre les sources décarbonées et pilotables requises. Seul le nucléaire voire le gaz compensé par la capture et la réinjection du carbone peuvent répondre à ces critères. Mais, le choix de l’option gaz peut nous conduire à la ruine.

Depuis l’été, les prix de l’énergie sont devenus fous : le pétrole s’est accru de 50%, le charbon de 75% et le gaz sur les marchés européen a été multiplié par 5. Fin décembre le prix de la tonne de CO2 a flirté avec les 100€ tandis que le prix du MWh sur le marché de gros, mérite oblige, se négociait autour de 350€. Certains considèrent que cette situation est purement conjoncturelle et se résoudra une fois les beaux jours revenus. Nous considérons au contraire que cette crise est structurelle[2] et résulte d’une profonde rupture entre une baisse de l’offre causée par un manque d’investissements dans l’amont pétrolier et gazier depuis 2015 et d’une croissance forte de la demande en gaz notamment induite par l’incapacité des renouvelables à satisfaire l’accroissement de la demande électrique. Satisfaire ce « grand  remplacement » en renonçant au nucléaire c’est accepter une explosion de la demande gazière conduisant à des prix stratosphériques du MWh.

Les renouvelables pouvant difficilement excéder 50% (35% de renouvelables intermittents+15% d’hydroélectricité) du mix électrique, une sortie hypothétique du nucléaire et son remplacement par le gaz en France conduirait mécaniquement en 2050 à une facture gazière annuelle de 80 milliards d’euros[3]. Rappelons que, si le prix du combustible (uranium) représente moins de 2% du MWh nucléaire, pour le MWh gazier il compte pour 95%. Les dépendances énergétiques du nucléaire et du gaz n’ont donc rien de comparable.

La neutralité carbone ne sera toutefois pas atteinte sans augmentation substantielle des prix de l’énergie. Une hausse qui ne doit pas être occultée à l’opinion publique. Renouvelables, gaz ou nucléaire, pour financer la transition énergétique le citoyen français devra mettre la main au portefeuille. Les politiques qui vous font croire le contraire mentent.


[2] Ph. Charlez (2022) “Pourquoi les prix de l’énergie sont-il devenus fous ? » A paraître. Revue Politique et parlementaire

[3] 100 € le MWh de gaz avec 60% de rendement et un prix du carbone à 100 € conduit à un MWh électrique à 200 €

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