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Covid- 19 : le lourd impact de la quarantaine sur la santé mentale des confinés
©Thomas COEX / AFP

Impact psychologique

La quarantaine, mise en place afin de stopper la propagation du virus à travers la France, pourrait avoir des effets psychologiques et sur la santé mentale.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico.fr : La mise en quarantaine de la population française décidée lundi soir par Emmanuel Macron peut-elle avoir des effets psychologiques ? Les Français peuvent-ils développer des troubles mentaux ?

Jean-Paul Mialet : Répondons par le cri d’une patiente vue ce matin même : « Non, le corona virus ne me fait pas peur, mais le confinement va me rendre folle ! » Comme l’angoisse est différente de la peur ! L’angoisse puise sa source dans un imaginaire confus. Mes patients anxieux ne sont pas craintifs et le COVID 19 ne les fait pas trembler. Mais le confinement, oui. Donnons un exemple éclairant de ce paradoxe : j’ai connu un patient grand reporter de guerre, sujet à de  terrifiantes attaques de panique quand il traversait le pont de la Concorde ; eh bien, il était parfaitement à l’aise quand il prenait le micro pour commenter sous les bombes les dernières péripéties de la guerre du Golfe! Rien n’est plus terrifiant que l’imaginaire… Or, dans le confinement, il n’est plus possible d’éviter ses angoisses en leur substituant des peurs, c’est-à-dire certes des émotions de nature anxieuse, mais reliées à des objets, donc à des explications et des possibilités d’agir. Coupé de tout, on se trouve confronté à ses émotions crues (« je vais devenir folle ! »), qui ne sont pas des craintes, mais des angoisses aussi irrationnelles que le malaise éprouvé par les claustrophobes quand ils se croient enfermés dans des toilettes. Cette fragilité émotionnelle, chacun  peut l’avoir plus ou moins au fond de soi sans présenter un trouble anxieux caractérisé. Le confinement aura donc certainement des répercussions psychologiques pour une partie de la population.

Outre les décompensations émotionnelles chez des sujets vulnérables, le contexte du confinement et ses conséquences pèsent également pour déclencher un malaise psychologique. La décision de confinement signe la gravité d’une situation  qui reste nébuleuse : le virus est insaisissable, il peut être partout, sur moi, sur mes proches. De plus, Il n’est pas bien connu. La méfiance règne… Un autre aspect du confinement ne peut être négligé : les méfaits de la vie commune sans échappatoire. Dans la vie ordinaire, l’activité permet d’éviter bien des conflits avec ceux qui vous entourent. Les problèmes que rencontrent les couples en retraite montrent combien la vie professionnelle est précieuse pour l’harmonie conjugale. Le confinement replace l’individu face à ses choix de vie. Ou bien il est seul, et l’isolement est vécu douloureusement ; ou bien il est entouré de proches, et les désaccords se creusent faute de pouvoir être oubliés, les cris des enfants deviennent obsédants – bref, rien ne vient distraire son mode vie pour le rendre plus confortable.

Pour toutes ces raisons, le confinement n’est souvent pas dénué de conséquences sur le plan de l’équilibre mental. Une enquête effectuée à Toronto sur 129 individus mis en quarantaine pour le SARS révèle près de 30% d’états de stress post traumatique et 32% de dépressions. Il a été également montré que la quarantaine aggravait l’état de ceux qui présentaient des troubles mentaux. 

Face à la gravité de la situation qui impose le confinement, les conséquences mentales et psychologiques peuvent paraître secondaires. Elles ne doivent cependant pas être négligées car elles risquent d’entraver l’efficacité de la mesure. Les individus qui réagissent mal peuvent en effet s’échapper ou multiplier les contacts sans respecter les règles, ou encore ils peuvent se montrer agressifs envers les soignants. De plus, certaines séquelles psychologiques comme le stress post traumatique se montrent durables et persistent au-delà de plusieurs années

Quels moyens le gouvernement peut-il mettre en place pour en limiter les effets ?

Jean-Paul Mialet : L’inconnu est une grande source d’anxiété. A cet égard, les hésitations, les messages brouillés et contradictoires qui ont précédé la décision ont certainement aggravé l’angoisse des plus fragiles. Expliquer en détail les raisons de la mesure représente le moyen le plus sûr d’en atténuer l’impact émotionnel. Les épidémiologistes doivent faire comprendre à chacun comment progresse une épidémie, en utilisant les moyens les plus pédagogiques et en démystifiant la menace d’un virus inconnu qui peut saisir chacun à la gorge. Ce n’est pas pour éviter un monstre tapi au coin de la rue que l’on doit rester chez soi, mais pour ne pas le propager à son insu le virus, contribuant ainsi à une progression qui peut atteindre très vite des proportions dramatiques. La question de la croissance exponentielle et de sa relation avec les contacts de chacun mériterait des illustrations concrètes et imagées. Nous sommes en effet en guerre contre un ennemi invisible, mais, paradoxe, cette guerre ne peut être gagnée qu’en battant en retraite : la mise en quarantaine est le moyen le plus ancien et le plus sûr de contenir, voire de décapiter une épidémie, lorsque la décision en est prise très tôt. Le confinement doit donc être considéré comme une mesure de traitement de l’épidémie : elle restreint l’ampleur du mal et augmente donc les chances de chacun d’y échapper. L’épidémie n’est pas une maladie comme les autres car elle touche une foule et pas un simple individu : c’est donc la foule qui doit être soignée pour que l’individu ait toutes les chances de l’éviter. Les réflexes individualistes n’ont pas leur place dans un tel contexte.

En répondant étape par étape à la crise du coronavirus, le gouvernement ne risque-t-il pas de décupler les angoisses des Français ? Ne commet-il pas là une erreur stratégique ? 

Pascal Neveu : Une majorité de Français savent que les politiques mentent… tout cela remontant à Machiavel qui défendait l’idée politique du règne par cette fameuse phrase « La fin justifie les moyens ! ».

Les études et écrits sur la psychanalyse de la politique montrent la difficulté de l’exercice de communication, du côté de l’émetteur, du récepteur et des enjeux politiques ou sociétaux.

D’ailleurs les communicants connaissent parfaitement les différentes théories qui doivent permettre de choisir le meilleur canal de diffusion d’un message qui ne doit pas être perdu ou mal interprété.

Face à la pandémie actuelle, et les angoisses profondes rattachées à la maladie et la mort, l’exercice ne me semble pas aisé.

Il nécessite du temps de parole, d’écoute et d’échange, en fait une pédagogie reposant sur la répétition et l’enseignement.

Car face à des angoisses profondes provoquées par une annonce inattendue, abrupte, le risque de développer, outre une méfiance, un mécanisme de défense psychique tel le déni est très fort.

La conscientisation d’une menace, l’adaptation à une situation exceptionnelle, à un danger n’est pas la même chez tout un chacun. Certains pourront immédiatement le gérer psychiquement et émotionnellement et penser leur vie en fonction. D’autres auront besoin d’un temps d’assimilation et de digestion d’une sorte de choc de l’annonce, afin de reprendre pied dans la réalité.

Nous ne sommes pas égaux dans cet acte mental pour des raisons émotives, éducatives, sociales... En effet, avoir évolué dans un environnement, tout comme avoir vécu par le passé des moments de précarité, avoir été malade, accompagner des aînés souffrants, être personnel médical… sont énormément de paramètres singuliers que le corps politique et la communication politique ne peuvent gérer au cas par cas.

D’autre part, il ne faut pas oublier des prises de décisions qui relèvent du politique français mais également mondial.

Mais également la bonne connaissance de l’évolution d’une situation de crise, et une sincère volonté de ne pas angoisser la population afin d’éviter des phénomènes de groupes. Sur ce plan nous avons tous pu voir certains comportements que certains trouvent excessifs.

Tout comme le gouvernement peut se comporter tels des parents face aux enfants de la patrie, les enfants peuvent face à la gravité des événements douter de la sincère parole délivrée et fantasmer, sombrer dans des angoisses terrifiantes.

Quel parent n’aborderait pas les choses graves et sérieuses progressivement en voyant la réaction de son enfant, même si les citoyens ne doivent pas être considérés comme des enfants mais des personnes responsables ?

L’exercice qui relève de la communication de masse me semble en ce sens très compliqué.

Car il est question d’âges, de générations, de référentiels tellement différents… et de conséquences qui ne peuvent qu’angoisser la population est des catégories socio-professionnelles à la fois fragiles émotionnellement, financièrement, médicalement.

On le voit dès le début face au champ lexical utilisé dans la communication mais également sur les réseaux sociaux, les parodies…

Mais également dans le « Nous sommes en guerre ! »… qui ne peut en revanche qu’angoisser certains, ou au contraire nous pousser à nous rassembler dans une démarche de soutien et de fraternité.

Les mots ont un sens.

La communication est complexe et doit répondre de plus en plus à l’immédiateté.

Les faits sont là et désormais la communication, que tout un chacun peut critiquer positivement ou négativement, doit laisser place à l’information claire et précise, scientifique et médicale, directe, franche avec des projections à moyen et long termes.

En effet, en groupes les individus ne réagissent-ils pas mieux à une information, même très inquiétante, lorsqu'ils la connaissent en sa totalité ? En d'autres termes, l'incertitude n'est-elle pas plus néfaste que la plus inquiétante des certitudes ? 

Pascal Neveu : Depuis l’enfance nous avons « biberonné » à l’école du mensonge. En effet, afin de nous protéger, mais aussi parce que nous ne possédions pas la maturité psychique suffisante pour comprendre certains faits de vérités, nos parents, et de manière globale le monde adulte ne nous disait pas tout, travestissait la réalité, dans notre intérêt.

Cela pouvait aller de la réalité violente du monde, de la conception des enfants, de problèmes de couple, d’angoisses professionnels mais aussi de la mort de grands parents…

Puis en nous développant, entre 3 et 7 ans, enfants nous avons vécu une période d’affabulation, nous inventant un monde parallèle, des faux amis, réalisant que la nuit est peuplée de rêves qui ne sont pas la réalité…

Aussi, un ancrage au mensonge (mens-songe… le songe de l’esprit) existe au fond de nous de manière consciente et inconsciente.

Cela explique notre propension à être en quête permanente de vérité, dynamique positive de réflexion, mais également à être capables de doutes profonds, jusque penser le complot permanent, quand ce n’est pas développer des attitudes mythomanes, lorsque nous ne sommes en lien avec la réalité.

Aussi il reste en nous cette sensibilité au mensonge qui nous fait douter de la vérité.

Or face à ce virus, tout scientifique n’a aucune certitude et s’inscrit depuis le début dans une démarche d’expérimentations, de soins, de guérisons et d’éradication de la pandémie.

Tout comme le politique ne peut s’autoriser des vérités et s’entourer d’un collège d’experts, et prendre des mesures et des décisions les meilleures.

Or, la dernière déclaration de l’ancienne ministre de la santé risque de fragiliser l’édifice de la croyance.

Le gouvernement va devoir faire montre de pédagogie de la connaissance médicale envers la population qui se sent cloîtrée et emprisonnée chez elle, non libre de mouvements, non libre de pensée, non libre de son avenir.

Au travers de l'histoire, n'avons-nous pas des exemples démontrant qu'un peuple réagit mieux lorsque l'information, aussi tragique soit-elle, et la stratégie qui est envisagée pour y faire face lui sont annoncées d'un bloc et non étape par étape ? 
Pascal Neveu : De mon côté, je pense aux Chefs d’Etat qui ont du annoncer une déclaration de guerre, notamment les deux guerres mondiales et l’impact qui n’est dès lors pas maîtrisé.

Les signaux d’alarme étaient pourtant présents… puis le pire est arrivé. Mais le Monde s’était préparé, puis d’autres étapes inattendues se sont greffées.

Qui peut prédire un plan parfait de la vie humaine et des réactions, ainsi que les effets boule de neige ?

La communication a changé. Dominique Wolton spécialiste des medias et de la communication l’explique depuis plus de 20 ans, annonçant un tournant et un tourment de l’information… et une réception de celle-ci qui entrera en concurrence avec nos croyances et défiances ainsi que notre capacité à la recevoir et l’analyser.

Au regard de ces exemples historiques, ne pensons-nous pas que les Français réagiraient mieux, en groupe, seraient moins pris de panique, si la stratégie de lutte contre le virus leur était annoncée d'un coup et non sous forme de chapitres réguliers ?
Pascal Neveu : Comme toute annonce qui peut être vécue brutale, il faut l’accompagner par un débrief afin de s’assurer que le message complet est passé, qu’il n’a pas été mésinterprété.

Combien de personnes, comme vous et moi, sont susceptibles de ne retenir qu’une partie d’un discours et non la totalité ?

Répéter à tout va pourrait revenir à « Trop de communication tue la communication » voire s’entendre dire qu’il s’agit d’orientation de l’esprit et par certains de « propagande », et donc être contre-productif.

Gérer la communication auprès de 67 millions de Français, qui ont accès aux informations mondiales et réseaux sociaux, face à une crise sanitaire sans précédent, et le souvenir pour certains du H1N1, n’est pas le même exercice qu’une campagne électorale.

C’est une épreuve très complexe.

Il s’agit de santé, de nombre de morts, d’engorgements des hôpitaux, de vie citoyenne, d’économie, de comportements civiques…

En ce sens, oui l s’agit bien d’un état de guerre que nous vivons symboliquement, même si incomparables aux guerres militaires.

Pour autant qui serait capable de gérer au mieux la communication face à tous ces paramètres sur lesquels tos les experts, tous les fonctionnaires, les personnels de santé… travaillent, j’en suis sûr, sans relâche depuis le début.

A nous citoyens également d’expliquer le message vrai, d’entourer nos proches, d’échanger avec celles et ceux angoissés.

Une nation ne doit pas oublier que le Monde est impacté, vit la même chose, et se doit d’un devoir et d’une démonstration de soutien, d’humanité et de fraternité afin d’en sortir au plus vite sans trop de dommages de santé physique et psychologique.

Quel conseil donneriez-vous aux citoyens français pour ne pas céder à la panique ?

Jean-Paul Mialet : Les faits et la raison son toujours d’une grande aide pour ne pas se laisser emporter par des excès d’émotion. On l’a dit : l’épidémie de COVID 19 se répand à grande vitesse mais elle ne tue qu’en assez faible proportion. Certes 3% de mort, c’est déjà beaucoup, surtout lorsqu’il y a parmi eux un proche et que le chiffre n’est pas celui d’une statistique abstraite. Mais le nombre de décès dus au virus ne dépassera sans doute pas, et sera même vraisemblablement beaucoup plus faible que ceux des cancers de l’année : or on a appris à vivre avec ce fléau sans en trembler du matin au soir. Mais le confinement se justifie car si le virus infecte les 2/3 de la population française, on peut imaginer les ravages. 

Reste que le confinement est une épreuve difficile où l’on se retrouve face à soi-même sans, comme on l’a dit, avoir de prise pour freiner l’emballement de ses pensées. Trouver le moyen de se distraire quand on sent que l’on va se laisser happer par ses peurs, avoir une activité physique, faire son sport à domicile, bricoler, se lancer dans la cuisine, lire, écouter de la musique ou regarde des dvd… chacun est libre d’inventer ses occupations – en évitant de les imposer aux autres sur un mode dictatorial. Si l’on en a l’habitude ou le goût, la distance que procure la méditation ou la contemplation de beautés qui émeuvent sera d’un grand secours. Enfin, si l’on a la chance d’être entouré, c’est le moment de prendre le temps de se parler, de se confier et d’accueillir autrui comme on ne l’a peut-être jamais fait lorsqu’on courait après le temps : sentir sa solitude partagée avec d’autres individus confrontés aux mêmes peurs que soi, leur exposer ses tourments, recueillir les leurs en se sentant honoré de leur confiance, échanger humblement sur les fragilités humaines qui vous relient, n’est-ce pas la meilleure manière de trouver un apaisement ?

Mais ne nous leurrons pas : en dépit de ces bons conseils, je ne suis pas convaincu que nos concitoyens soient tous capables d’éviter la panique et peut être serait-il opportun de réfléchir à des moyens d’aider les plus fragiles. Pourquoi pas des cellules psychologiques comme celles que l’on crée pour aider les victimes des catastrophes, ou un numéro d’appel type SOS, avec des écoutants spécialisés pour les rassurer ?

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