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Jean Castex et Olivier Véran se sont exprimés sur l'évolution de la situation sanitaire lors d'une nouvelle conférence de presse le 25 février. 20 départements sont placés en "surveillance renforcée".
Jean Castex et Olivier Véran se sont exprimés sur l'évolution de la situation sanitaire lors d'une nouvelle conférence de presse le 25 février. 20 départements sont placés en "surveillance renforcée".
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP / POOL

Politique de l'autruche ?

Jean Castex a annoncé que 20 départements sont désormais en "surveillance renforcée" à cause de la situation sanitaire. En cas de dégradation, des mesures de restrictions pourraient être instaurées à partir du 6 mars. Alors que le virus progresse, le gouvernement semble attendre avant d'agir, ce qui n’est jamais bon dans une épidémie. Alors que Jean Castex a balayé l’idée d’une stratégie Zéro Covid, la communication de crise du gouvernement doit rapidement retrouver du sens et de la simplicité auprès des Français.

Florian  Silnicki

Florian Silnicki

Florian Silnicki est Expert en communication et Président Fondateur de l'agence de communication de crise LaFrenchCom (https://www.lafrenchcom.fr)

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Jérôme Marty

Jérôme Marty

Président de l'Union française pour une médecine libre, Jérôme Marty, est médecin généraliste et gériatre à Fronton, près de Toulouse.

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Atlantico : Jean Castex s'est exprimé ce jeudi pour faire un point sur l'évolution de la pandémie de coronavirus, qu'avez-vous pensé de son intervention ? 

Jérôme Marty : Jean Castex a joué à « capitaine constant ». Il a expliqué qu’il avait fait une réunion pour voir quand on ferait la prochaine réunion. Dire « on a 20 départements en tension à surveiller de près mais on ne va pas faire grand-chose » c’est un peu dire « on espère que le virus nous oublie ». Mais le virus, il accélère et il va continuer de le faire. Il est urgent d’attendre c’est leur politique mais je ne sais pas si on a vraiment le temps pour ça. Ils seront bien obligés d’agir dans une semaine ou deux. Ils attendent quoi ? A mon sens, le miracle des vacances. Ils savent que les écoles sont fermées et que cela va permettre aux courbes d’un petit peu s’aplanir. Et cela va à l’encontre de tout le discours qu’ils tiennent depuis des mois. Ils ont le culot de dire qu’il faut attendre et dans le même temps d’affirmer qu’il n’y a pas de contaminations dans les écoles.

Il faut agir avec réactivité oui. Il faut agir vite, fort et court. Il faut être proactif et ne pas attendre d’avoir les taux d’incidence qui explosent, ou d’avoir 25.000 cas et 400 décès. On a une course contre la montre en permanence. Il faut agir, en particulier là où la situation se dégrade et laisser plus tranquille les autres départements. La situation n’est plus sur un plateau comme elle l’a été pendant ces dernières semaines. Les variants augmentent et il se passe ce qu’on craignait depuis des semaines.

Florian Silnicki : Depuis le début de la pandémie, la communication de crise maladroite du gouvernement le conduit en permanence à devoir s'expliquer sur le prochain "acte". C'est d'abord parce que les interventions du Premier ministre portent souvent sur des constats d'échecs ou de moyens limités pour lutter contre la crise. C'est cette mauvaise communication de crise qui suscite une attente de mobilisation supplémentaire de la part des Français.

Le péché originel c'est que ce n'est ni au Premier ministre ni au ministre de la Santé de faire ce genre de "point presse" notamment en ce qui concerne la comparaison des vaccins ou le fait de mentionner des études médicales, etc... Les Français n'attendent pas de leurs dirigeants politiques qu'ils soient des commentateurs médicaux mais des acteurs de la lutte contre la crise sanitaire. Il ne s'agit pas de commenter ou de relayer les études médicales mais d'en tirer politiquement des conséquences et d'annoncer des mesures concrètes qui en découlent et qui se justifient sur la base de ces études.

Quelles erreurs a commis le gouvernement dans cette prise de parole ? 

Florian Silnicki : Les maladresses de communication de crise sont multiples : sur le fond, le Premier ministre parle pour faire partager aux Français des informations qu'ils connaissent déjà. Sur la forme, le propos du ministre de la Santé est tellement technique et jargonneux qu'il est inaccessible à la plupart des Français. 
Le gouvernement semble oublier que la communication politique c'est d'abord de la politique et non d'abord de la communication. En ne faisant aucune annonce, comme ce fut déjà le cas lors de certaines des précédentes conférences de presse, le Premier ministre apparaît comme un soldat au front non armé.
Pire, sur le fond, il enchaîne les erreurs de communication, par exemple en donnant le sentiment d'excuser les retards de livraison des vaccins alors que son rôle politique est de mettre la pression constructive qui permettra de les accélérer.
Quand le ministre de la Santé dit par exemple "Je vous passe les détails c'est très complexe", il commet une erreur de communication politique importante. D'abord, il apparaît comme méprisant à l'égard des Français mais ensuite il oublie que son rôle primaire de dirigeant politique c'est justement de faire la pédagogie d'une situation en rendant accessible son action politique au plus grand nombre. En considérant que les Français ne peuvent pas comprendre, le ministre de la Santé s'éloigne de ce qui faisait sa qualité au début de la gestion de la crise, la pédagogie. Olivier Véran donne souvent le sentiment d'être le médecin que l'on presse de savoir si un proche va s'en sortir, qui vous répond avec un langage reposant sur une technique médicale que vous ne comprenez pas. C'est frustrant... et cette frustration alimente la défiance. Il faut un véritable sursaut de communication de crise gouvernementale et entamer un tournant dans la communication politique des ministres sur cette crise.

Jean Castex a souligné que ne pas reconfiner appelait à agir avec réactivité, n’est-ce pas paradoxal étant donné sa quasi-absence d’annonces jeudi soir ? Comment expliquer que des décisions plus importantes n’aient pas été prises ?

Jérôme Marty : A la place d’écouter les scientifiques, on a écouté Epidémiologiste Ier. Il nous a dit qu’il ne se passait rien et n’écoutait plus les scientifiques. C’est une espèce de politique de l’autruche et c’est tout de même assez dangereux. Selon moi, ils sont en panique. Ils ne savent plus comment gérer avec équilibre. Il suffit de prendre les déclarations d’il y a quinze jours et les mettre en miroir avec ce qui se passe actuellement, c’est à l’opposé total. Roselyne Bachelot il y a quelques jours voyait « le bout du tunnel ». Ils s’étaient inventés une amélioration. Je ne sais pas qui leur donne des conseils ou qui ils écoutent mais incontestablement ces gens-là ne sont pas bons. Imaginer une sortie de crise à 20.000 cas par jour, c’est ne rien comprendre à l’évolution de la maladie. Peut être qu’ils se mentent. Ce fut le cas avant la deuxième vague. Il y avait des alertes dès l’été. C’est très compliqué, je ne leur jette pas la pierre, mais la dernière chose à faire c’est attendre. Ce n’est jamais bon dans une épidémie.

Florian Silnicki : Les annonces politiques sont au cœur de cette crise très importante, elles sont comme un rocher auquel s’accrocher. Cette conférence de presse a malheureusement oublié cet aspect essentiel. La communication de crise repose sur trois questions de base : qu’est-ce qu’on veut dire, à qui on veut le dire, et quand on va le dire. Cette conférence de presse a été de ce point de vue mal préparée. Comme d'ailleurs les supports de présentation qui révèlent une légèreté inacceptable dans les légendes ou le drapeau national inversé... qui ne sont pas à la hauteur de la communication gouvernementale en ces temps de crise sanitaire historique.
La communication de crise de ce gouvernement semble victime du syndrome du magicien d’Oz, faute de pouvoir agir politiquement, faute de vaccin, il se raconte. Or, c'est exactement ce qui conduit les Français à n'accorder qu'une oreille inattentive à la politique qui bavarde sans agir. 

En une phrase Jean Castex a balayé l’idée d’une stratégie Zéro Covid…

Jérôme Marty : Ce qui est paradoxal c’est qu’à la fois ils décident de territorialiser mais en même temps ils balaient l’option Zéro Covid. Mais la territorialisation c’est du Zéro Covid territorial. Si on veut avoir une vraie territorialisation, il faut frapper vite, fort et court. Ça veut dire faire des confinements locaux, pas forcément régionaux mais à l’échelle d’une ville ou d’un quartier. Cela permet d’écraser la courbe sur ces zones et de mettre en place des actions qui font qu’il n’y a plus besoin de reconfiner. Confiner pour confiner, c’est sans fin. Donc il y a le vaccin, très bien. Mais il y a le backward tracing, les tests répétitifs dans les écoles et les entreprises, etc. C’est ce que font les pays qui ont réussi. On ne peut pas tout faire, notamment sur le plan du traçage numérique mais on peut faire des choses. Fermer c’est une bonne chose pour écraser les courbes mais il faut que ça soit assorti des bonnes manœuvres. Et là ils attendent.

Le gouvernement a notamment salué le très haut niveau de vaccination des personnes âgées et a défendu le vaccin AstraZeneca, a-t-il raison de le faire ?

Jérôme Marty : Je pense qu’ils saluent des choses sur lesquelles ils n’ont pas la main. La population se vaccine et heureusement. Mais peut-être qu’elle le fait aussi parce qu’elle voit que le virus se développe et qu’on ne met pas ce qu’il faut en place. En attendant, on a un virus qui progresse et on nous dit d’attendre.

Sur les vaccins, ce qu’on sait c’est qu’il faut accélérer la campagne de vaccination car on voit une augmentation des cas. Pour cela tous les moyens sont bons. On sait que le vaccin AstraZeneca a montré de bons résultats en Ecosse et qu’il est peu efficace sur les variants sud-africain et brésilien. Donc il faut essayer de vacciner un maximum car pour l’instant c’est du variant anglais. Il faut essayer de casser les chaînes de contamination.

Que doit changer le Premier ministre à l'avenir ?

Florian Silnicki : La communication de crise du gouvernement doit rapidement retrouver du sens et de la simplicité auprès des Français faute de quoi le fossé sera de plus en plus compliqué à combler et les mesures de contraintes de plus en plus dures à faire accepter. Alors que la question de l'acceptation sociale des contraintes sur l'exercice des libertés publiques se pose, la communication de crise du gouvernement doit se montrer plus mobilisée que jamais afin que chaque Français comprenne ce que le gouvernement déploie concrètement pour en sortir. A cet égard, cette conférence de presse aurait pu s'avérer essentielle, elle s'est malheureusement avérée inutile, voire contre-productive si elle éloigne un peu plus les Français de la parole publique et politique.

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