Covid-19 : Le gouvernement s’inquiète du variant Delta mais ne fait rien de ce qui pourrait en protéger les Français <!-- --> | Atlantico.fr
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Un membre du personnel soignant effectue un prélèvement nasal sur un homme pour effectuer un test Covid-19 dans un centre de test du palais des congrès de Dunkerque, le 23 février 2021.
Un membre du personnel soignant effectue un prélèvement nasal sur un homme pour effectuer un test Covid-19 dans un centre de test du palais des congrès de Dunkerque, le 23 février 2021.
©DENIS CHARLET / AFP

Mesures inefficaces ?

Alors que l'épidémie de coronavirus recule en France, le variant Delta représente 9 à 10% des cas. Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a alerté sur la menace liée au variant Delta. Les mesures déployées par l'exécutif pour faire face à ce risque sanitaire et éviter un rebond durant l'été sont-elles adaptées et efficaces ?

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : Quelle est aujourd'hui la réalité de la menace du variant Delta ? Et que sait-on de sa nouvelle mutation en Inde ?

Antoine Flahault : Le variant Delta (autrefois dénommé « indien ») est en train de remporter toutes les compétitions internationales du SARS-CoV-2, notamment contre le variant Alpha (autrefois dénommé « britannique »). Le variant Alpha s’était imposé sur le podium depuis le mois de décembre, en commençant par les premiers tournois qui s’étaient déroulés alors au Royaume-Uni, puis rapidement ceux d’Europe continentale, d’Amérique du Nord, puis d’Inde et du Pacifique. Le variant Delta écrase désormais Alpha à tous les matches qu’il joue dans ces mêmes pays. Si il ne s’impose pas aussi rapidement en Afrique ou en Amérique latine, c’est probablement parce qu’il ne s’est pas encore invité aux compétitions qui s’y déroulent. Car un variant ne peut s’imposer que s’il mène la lutte contre ses concurrent, et donc si on l’y invite, à la faveur d’une brèche dans le contrôle sanitaire aux frontières. Ce fut le cas au Royaume-Uni qui a laissé ouvertes ses frontières avec l’Inde pendant deux semaines en avril alors que la pandémie faisait rage dans le sous-continent et que la plupart des autres pays européens prenaient des mesures d’urgence, l’Australie fermant même ses frontières à ses propres ressortissants venant d’Inde, tellement la menace leur paraissait sérieuse et urgente. Le Portugal à son tour a convié le variant Delta sur son sol. C’était le 29 mai dernier, à Porto, lors de la finale de la ligue des Champions, opposant les deux clubs anglais de Chelsea et Manchester City. Initialement la manifestation sportive devait se dérouler à Istanbul et l’UEFA l’a reprogrammer au Portugal. Elle a entraîné un afflux de plus de 12.000 supporters britanniques venus sans contrôle sanitaire. Et cet événement est possiblement à l’origine du rebond préoccupant que ce seul pays de l’Union Européenne enregistre en ce moment.

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Un nouveau variant a été rapporté avoir été identifié dans le Maharasshtra, le Kerala et le Madhya Pradesh, trois Etats de l’Inde. Il est dénommé « Delta Plus », classé par les autorités indiennes « Variant of Concern ou VOC ». Seuls quatre variants sont classés VOC (qui signifie en français « variant préoccupant ») par l’OMS (ceux que l’on appelait sud-africain, brésilien, britannique et indien). Les Indiens proposent donc qu’il y en ait un cinquième désormais, et proposent de le dénommer Delta Plus, car il serait encore plus transmissible que le variant Delta, et parce que sa capacité à mieux s’accrocher aux récepteurs ACE des cellules pulmonaires pourrait le rendre plus virulent, et sa potentielle réduction in vitro de la réponse aux anticorps monoclonaux pourrait faire redouter un échappement immunitaire. Les médias indiens nous ont habitués à une certaine emphase agitant la peur dans la dénomination de leurs variants. Ils avaient caractérisé le variant Delta comme étant un « double mutant » sans que ce soit motivée sur le plan virologique. Il faut donc rester prudent à propos du Delta Plus que l’on ne connaît pas encore suffisamment et s’il ne fait aucun doute que de nouveaux variants émergeront dans le monde, d’Inde ou d’ailleurs, ceux qui seront plus transmissibles viendront à s’imposer dans la compétition internationale. Seront-ils parfois plus virulents (= plus mortels) ? Echapperont-ils à l’efficacité vaccinale ? C’est une possibilité que l’on ne peut pas négliger mais il est encore trop tôt pour le dire concernant ce variant Delta Plus. Il est probablement même un peu prématuré de le classer VOC, attendons les délibérations des experts internationaux de l’OMS.

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« Il y a une menace liée au variant Delta», a déclaré le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal. Si le gouvernement semble conscient du risque, que met-il concrètement en place pour le contrer ? Est-ce suffisant ?

Par chance, et pour la deuxième fois en dix-huit mois, l’Europe se place en situation très favorable pour faire face à la pandémie. Avec un niveau très faible de circulation du virus, et une tendance à la baisse encore accrue dans les prochains jours, les autorités de santé peuvent en effet espérer reprendre la main sur cette pandémie. Israël a été dans cette situation, devançant l’Europe de plusieurs semaines. Mais elle fait face aujourd’hui à une recrudescence de l’épidémie, et notamment du variant Delta. Elle déploie des interventions précoces pour éviter un tel rebond. Si elle réussit à gagner le combat contre le virus, à empêcher que le rebond soit significatif, alors ce pays de 8,5 millions d’habitants vaccinés à 65% de sa population nous fournira une feuille de route sur la conduite à tenir en cas de rebond dans les semaines et les mois à venir. Le Royaume-Uni, dont la population est égale à celle de la France, comme nous l’avons décrit ci-dessus, a laissé s’engouffrer le virus l’espace de deux semaines, durant lesquels 5000 à 8000 voyageurs venaient quotidiennement d’une Inde en proie à une vague épidémique d’une rare violence. Les Britanniques se débattent désormais avec un rebond qui déjà dépasse les 11.000 cas par jour. Ils réagissent bien avant que leur système de santé soit saturé, preuve que les Européens sont en train d’apprendre qu’il n’y a pas moyen de vivre avec ce virus. Ils ne le formulent pas encore aussi explicitement que la première ministre de Nouvelle Zélande qui dès avril 2020 avait déclaré que l’on n’avait pas affaire à un virus de la grippe, qu’on ne pourrait donc pas vivre avec comme on le faisait avec les pandémies de grippe, mais qu’il fallait tout mettre en œuvre pour empêcher le virus d’entrer et circuler sur le territoire. Il n’y avait pas de vaccin à l’époque et la Nouvelle-Zélande, une île, comme le Royaume-Uni, a remarquablement bien réussi sa politique de Zéro Covid. La Première Ministre n’était pas dogmatique dans son approche. Face aux critiques lui expliquant qu’elle n’arriverait pas, sans vaccin, à empêcher le virus d’entrer sur le territoire néozélandais, elle répondit qu’en effet, ce serait difficile et peut-être même impossible d’y arriver complètement, mais qu’au moins, ils mettraient tout en œuvre pour ne pas vivre avec ce virus. Il faut absolument retenir les leçons de ces champions, car sinon, le vainqueur restera toujours le virus. Le seul choix que nous ayons, à l’échelle de la planète, est de terrasser ce virus, de l’éradiquer totalement. Cela prendra du temps, peut-être vingt-ans (comme pour la variole, entre 1958 et 1980) ou même plus de trente ans (comme pour la polio dont l’éradication a été décidée en 1988 et ne l’est pas encore tout à fait aujourd’hui), peut-être irons-nous plus rapidement, mais il n’y a sans doute pas d’autre solution.

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Concrètement, ce qu’il convient de faire cet été, alors que l’on enregistre moins de 1500 cas par jour en France, c’est de séquencer tous les virus des cas détectés comme positifs. On a la capacité pour le faire dans le pays, il faut donc l’organiser très systématiquement dès à présent. Il faut ensuite remonter toutes les chaînes de transmission, sans exception, par le rétro-tracing, cette technique permet de rechercher l’origine de la contamination de chacun des cas rapportés par la veille sanitaire. Pour démanteler les chaînes de transmission, il faut isoler efficacement toutes les personnes positives, qu’elles n’entrent pas en contact pendant au moins 7 jours avec les personnes bien portantes. Il faut bien sûr poursuivre parallèlement les gestes barrières et le port du masque dans les lieux clos, bondés et mal ventilés, notamment les transports publics, le lieu de travail et les écoles. Et puis il faut contrôler les frontières très efficacement et accélérer encore la campagne de vaccination.

Quelle politique en matière de contrôles des frontières doit être menée ? Faut-il mieux contrôler les passagers en provenance de Russie ou du Portugal où l’on observe un rebond épidémique ?

La fermeture des frontières aux voyageurs a été l’approche commune des pays champions que je mentionnais plus haut, ceux d’Asie ou du Pacifique, qu’ils aient des régimes autoritaires (comme en Chine ou au Vietnam) ou des régimes démocratiques (Japon, Corée, Taïwan, Australie, Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie). Les biens et marchandises pouvaient continuer à aller et venir, afin de préserver l’économie et parce que cela n’entraînait pas de sur-risque sur le plan épidémiologique, mais les passagers étrangers eux étaient interdits de séjour, sauf bien sûr les ressortissants de retour dans leur propre pays.

Cette approche s’avère être une trappe dont ces pays semblent avoir des difficultés à sortir, d’autant plus que ces pays pour la plupart ont tardé à mettre en œuvre une couverture vaccinale suffisante.

Une alternative, sans doute moins satisfaisante sur le plan épidémiologique, mais plus acceptable sur le plan économique et social, est d’instaurer un contrôle sanitaire aux frontières, ciblé sur les pays à haut risque. Le séquençage systématique que j’évoquais plus haut, rendu possible par le faible nombre de nouveaux cas, informera quasiment en temps-réel des zones à risque. Ce seront les zones d’où proviendront des voyageurs détectés positifs à leur retour en France et hébergeant des VOC, ces fameux variants, sources de préoccupation. Il se peut très bien que ce soit des personnes dont l’histoire analysée avec précision (le faible nombre de nouveaux cas le permet aussi désormais), montrera qu’ils ont transité dans des pays qui n’étaient pas nécessairement connus comme étant à risque par les autorités. Elles pourront alors immédiatement classer ces destinations comme étant à haut risque et imposer des quarantaines strictes et contrôlées, voire transitoirement fermer leurs frontières avec ces zones si la situation l’exige. Il faut une très grande vigilance, une très grande rigueur en cas de positivité et une très grande agilité dans la prise de ces décisions tout au long de l’été qui vient.

 Et si tout cela ne fonctionne pas et qu’un rebond survient durant l’été ?

Mais on sait que tout cela ne fonctionnera pas… entièrement ! Je veux dire que l’on sait que des virus arriveront à traverser les mailles du filet. Même les Taïwanais, les Chinois, les Thaïlandais, les Vietnamiens, les Australiens, les Néozélandais, et les Néocalédoniens, tous ont laissé passer des virus par leurs frontières pourtant officiellement fermées aux voyageurs non résidents. A chaque fois, c’est un peu le même scénario qui s’est produit et qu’il nous faut retenir. Soit c’étaient des résidents de retour vers leur patrie après un voyage en zone à risque qui se retrouvaient en quarantaine, dans un hôtel, et s’y révèlaient positifs, porteurs de virus. Ils contaminaient alors le personnel sur place, à la suite d’erreurs dans les procédures de protection contre la transmission du virus, souvent liées à une formation insuffisante des professionnels qui n’étaient du secteur sanitaire. Il s’agissait dans d’autres situations assez fréquemment de professionnels du transport maritime ou aérien qui bénéficiaient d’exemptions de quarantaines (car ils faisaient partie des métiers essentiels pour faire fonctionner l’économie) et qui contaminaient à leur retour de zones à risque leurs familles ou leurs proches. Enfin, il y a pu avoir des tests faussement négatifs, faussement rassurants, conduisant à des chaînes de transmissions au retour. Bref, nous serons confrontés cet été en Europe également à ce genre de brèches dans les filets que nous aurons posé, car aucune mesure n’est jamais efficace à 100%. Il faut en être conscients, il faut être prêts à y faire face, et il faut savoir comment on y fera face. Il serait opportun d’établir une sorte de « contrat » entre les autorités et la population. Les autorités ont la responsabilité de reprendre la main à partir de maintenant, parce qu’il y a moins de 5000 nouvelles contaminations par jour en France et que c’est dans leur capacité de pouvoir tester, séquencer, retracer rétrospectivement, isoler, démanteler toutes les chaînes de transmission, assurer le contrôle sanitaire aux frontières, et poursuivre la vaccination de la population. La populationc, pendant ce temps, peut prendre ses vacances vis-à-vis de l’essentiel des mesures qu’elle avait accepter de mettre en œuvre afin de lutter contre l’épidémie alors que le virus circulait à un très haut niveau (plus de 5000 cas par jour). Elle n’a donc plus besoin de télétravailler, elle peut aller, sans aucun couvre-feu, dans les bars, restaurants, cinémas, festivals, concerts et théâtres, manifestations sportives et festives. Elle peut organiser des mariages et recevoir des amis. Elle n’a plus besoin de porter le masque à l’extérieur. Mais elle accepte des contreparties temporaires. Elle continuera à porter le masque dans les établissements fermés recevant du public et dans les transports en commun. Et, elle sait aussi, c’est plus nouveau, qu’elle pourrait être obligée de se confiner brièvement mais strictement, en cas de redémarrage d’un foyer d’incendie épidémique quelque part sur le territoire national, que ce soit au niveau d’un établissement (par exemple un EPHAD, une colonie de vacances), d’un quartier, d’une ville, d’un département ou même d’une région. Il faudrait que des indicateurs sanitaires déclenchant ces micro-confinements soient précisés et qu’ils soient suffisamment réalistes pour ne pas se déclencher intempestivement, mais suffisamment sensibles pour ne pas laisser se développer des chaînes de contaminations de manière incontrôlée et rapidement incontrôlable durant l’été. Ces véritables cordons sanitaires seront levés aussi rapidement que possible, après 3 ou 5 jours le plus souvent, dès que les autorités auront totalement repris la main, auront démantelé toutes les chaînes de transmission qui avaient démarré insidieusement parce que quelques cas seulement avaient réussi à traverser les mailles d’un filet qui dans l’immense majorité des cas aura très bien fonctionné puisqu’on s’en sera donné la peine et les moyens.

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