Coup d’arrêt à l’écologie punitive : à quelle réaction s’attendre des écologistes et autres militants du climat et de la gauche radicale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La manifestation de Sainte-Soline avait été marquée par des tensions entre des militants écologistes et les forces de l'ordre.
La manifestation de Sainte-Soline avait été marquée par des tensions entre des militants écologistes et les forces de l'ordre.
©YOHAN BONNET / AFP

Guerres civiles

Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont entamé une contre-révolution écologique. Les perdants politiques de cette bataille, qu’ils soient militants ou au sein de l’appareil d’Etat vont-ils se laisser faire comme ça ?

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann est auteur de sciences sociales et sur de nombreux autres sujets (Antéconcept, Agribashing, Danger des agrégats, Cancer militant).

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Gaël Brustier

Gaël Brustier

Gaël Brustier est chercheur en sciences humaines (sociologie, science politique, histoire).

Avec son camarade Jean-Philippe Huelin, il s’emploie à saisir et à décrire les transformations politiques actuelles. Tous deux développent depuis plusieurs années des outils conceptuels (gramsciens) qui leur permettent d’analyser le phénomène de droitisation, aujourd’hui majeur en Europe et en France.

Ils sont les auteurs de Recherche le peuple désespérément (Bourrin, 2010) et ont publié Voyage au bout de la droite (Mille et une nuits, 2011).

Gaël Brustier vient de publier Le désordre idéologique, aux Editions du Cerf (2017).

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Jean-Paul Oury

Docteur en histoire des sciences et technologies, Jean-Paul Oury est consultant et éditeur en chef du site Europeanscientist. com. Il est l'auteur de Greta a ressuscité Einstein (VA Editions, 2022), La querelle des OGM (PUF, 2006), Manifester des Alter-Libéraux (Michalon, 2007), OGM Moi non plus, (Business Editions, 2009) et Greta a tué Einstein: La science sacrifiée sur l’autel de l'écologisme (VA Editions, 2020).

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Atlantico : Nous devons sortir de l’écologie punitive pour être dans une écologie des solutions”, affirmait récemment la porte-parole du gouvernement, au sujet de la suspension du plan Ecophyto, qui vise à réduire l’usage des pesticides. Une décision très critiquée par les écologistes français comme les ONG environnementales. A quelle réaction faut-il selon vous s’attendre ? D’autres Sainte-Soline s’annoncent-elles ?  

Jean-Paul Oury : Tout d’abord précisons que cette suspension d’Ecophyto est provisoire, le temps de trouver les bons indicateurs et que la période est très courte puisqu’elle ne dure que jusqu’au Salon de l’agriculture (environ 3 semaines). Au passage, rendons hommage à Gil Rivière-Wekstein sur ce sujet car c’est l’une des trois propositions qu’il martèle dans les médias depuis une semaine, je vous renvoie à l’opinion qu’il a publiée chez votre confrère de La Tribune dans laquelle il propose de faire un moratoire sur toutes les lois environnementales ainsi que sur son site Agriculture et Environnement.

Rappelons également que ce plan qui privilégie l’interdit mérite bien son qualificatif « d’écologie punitive », car son application fait que les agriculteurs se retrouvent dans l’incapacité de produire certaines cultures, ce d’autant plus que la France a tendance à sur-transposer les directives de l’UE, comme on l’a beaucoup entendu et dans le cadre des « phytos » à déclarer des interdictions d’usages. Et rien ne prouve que ces mesures vont dans le sens de l’environnement. Ainsi, comme en témoignait il y a quelques mois, l’agriculteur Benoit Joffre, dans un billet qui a fait le tour du web : « Avec la transition écologique, on nous dit que nos revenus vont baisser car nos rendements vont diminuer mais que ce sera mieux pour la biodiversité. Je n’en suis pas certain. Moins on a de produits de protection des plantes, moins les cultures sont diversifiées. Ainsi, ayant la possibilité d’irriguer il y a 10 ans j’avais près de onze cultures différentes j’en suis rendu à six, à cause d’impasses techniques. »  Dans larticle il égrène les semences quil a dû abandonner au fur et à mesure, faute de solutions techniques : le trèfle violet (abandonné faute dinsecticides - les néonicotinoides ayant été interdits et le substitut bio n’étant pas efficace), les lentilles, les pois, le blé dur (à cause des problèmes de désherbage) etc…

Visiblement tout cela n’a pas été pensé rationnellement mais selon l’idéologie. A moins que le but recherché ne soit pas la sauvegarde de la biodiversité, mais la décroissance. J’avais montré dans "Greta a tué Einstein" la perversité des solutions « made in Nature » ( bio, EV, Enr …), ce label qui fait croire que les technologies proposées sont plus proches de la nature et par conséquent meilleures en tous points de vue. On découvre qu’elles ne sont pas dénuées d’externalités négatives et qu’elles sont en fait un cheval de Troie de la décroissance : car on se rend compte au final qu’elles nous condamnent à moins d’efficience et de productivité.

Tout ceci me ramène à votre question : « passer d’une écologie punitive à une écologie des solutions va-t-il provoquer des réactions chez les ONG environnementales ? » Ce n’est pas vraiment en ces termes que je comprends les choses.

Je pense que tant qu’on conserve le mot « écologie », on s’éloigne de la science et on se rapproche de l’idéologie. Même si on distingue écologisme et écologie scientifique, les pistes sont brouillées et chargées émotionnellement. Dans le troisième tome à paraître de la série des Greta, je distingue cinq nuances de Vert… On va du vert de gris (les nazis étaient de grands écolo), au vert dollar, en passant par le vert pastèque, le vert soutane et le vert kaki. Chacune est différente, mais le point commun de toutes ces mouvances de l’écologisme est qu’elles veulent toutes mener une OPA sur le concept de nature et reprendre celui-ci des mains de la science prométhéenne. Ce que vous appelez « L’écologie des solutions » ce n’est autre que la science au service de l’humanité pour mieux s’adapter… Appelons un chat un chat : On n’a pas besoin d’avoir un discours différent du discours scientifique qui prétendrait parler au nom de la nature. Or, il ne fait aucun doute que plus on laisse croire à certains qu’en employant certains mots clés, ils se rapprochent de la valeur intrinsèque de la nature, plus ils se sentiront investis d’une mission pour la protéger et seront prêts à tout, y compris des actes de violence et de terrorisme, pour arriver à leurs fins. Faisons comprendre que l’écologie des solutions, c’est tout simplement la science au service de notre adaptation dans un environnement anthropisé (tout autre sujet sort du cadre de la politique scientifique), ce sera un état d’esprit plus favorable pour examiner les indicateurs pertinents d’écophyto en toute objectivité et on sera plus réceptifs à chercher ceux qui permettent la diminution des risques, tel que, par exemple, le propose Wekstein, plutôt que vouloir systématiquement la diminution des quantités. 

Alexandre Baumann : C'est une question assez complexe. Tout d'abord il faut voir dans quel état d'esprit sont les pseudo-écologistes actuellement. Beaucoup de monde a le sentiment que les pseudo-écologistes sont acculés, qu'il y a eu une grande prise de conscience. Je ne suis pas sûr que ce soit vrai. 

L'impact de la mobilisation agricole sur la pseudo-écologie n'est pas encore clair. Pour rappel, la désinformation pseudo-écologiste propose un narratif présentant les agriculteurs comme les victimes d'un système les obligeant indûment à utiliser des pesticides. C'est une mécanique destinée à neutraliser la parole agricole: "ils sont manipulés, les pauvres, ils disent donc des bêtises". Je l'avais mis en évidence dans les articles de Stéphane Foucart, une figure importante de la pseudo-écologie, sur les NNI., mais c'est vraiment un élément central du  narratif. 

Les pseudo-écologistes ont maintenu ce cap, avec notamment Noel Mamère prétendant que  "Les écologistes ne sont pas ennemis des agriculteurs, ils en sont même les alliés", François Ruffin proposant des salaires minimum et prix planchers, une tribune de Libération rejetant la faute sur "les multinationales", Manon Aubry  plaignant les agriculteurs, encore Libération publiant même une tribune proposant de collectiviser l'agriculture, etc (1)(2)(3)(4).  Ils déplacent la responsabilité: "le problème ce ne sont pas nos normes qui empêchent de produire, mais le libre échange qui permet d'échapper à notre emprise au détriment de nos agriculteurs". 

Le travail de redéfinition du narratif, de l'histoire, a été intense, et marche bien: 93% de Français pensent que les agriculteurs sont victimes des lobbies de l'agrobusiness.

En même temps, le narratif est rudement mis à l'épreuve par les prises de paroles agricoles, comme celles d'Etienne Fourmont ( @agrikol), qui est passé plusieurs fois à la télé, ou encore les interviews sur les barrages. En même temps, la Confédération Paysanne appartient à l'écosystème pseudo-écologiste et a sans doute brouillé le message... 

Vous l'aurez compris: le résultat n'est pas clair. Il s'est déroulé une bataille, dont je ne peux pas dire aujourd'hui quelles seront les retombées. Si les agriculteurs ont réussi à atteindre le grand public et peut-être même les militants pseudo-écologistes, il est possible que ce souvenir reste une épine dans le pied des narratifs pseudo-écologistes. Ayant fait une brèche dans le tissu de mensonge et laissé entrevoir l'imposture, l'épisode pourrait l'avoir fragilisée sur le long terme. Sinon, les mensonges pseudo-écologistes vont en sortir renforcés. 

Maintenant, venons en à la décision du gouvernement. Celle-ci va inévitablement nourrir les narratifs et le radicalisme pseudo-écologistes. Néanmoins, d'habitude, ils accusent le lobby des industries agrochimiques. Là, on a un mouvement d'agriculteurs en colère. Cela pourrait parasiter l'habituelle ritournelle des ONG et politiciens pseudo-écologistes. D'ailleurs, M. TondelierM. Toussaint et S. Rousseau n'ont même pas parlé d'une victoire de l'agrochimie. Idem pour l'Humanité et même l'article de Stéphane Foucart ne parle que d' "indicateurs, promus par les agrochimistes". Pour trouver des imputations de la décision à "l'agrochimie", il faut aller voir du côté de militants pouvant se le permettre, parce qu'ils appartiennent au monde agricole: des agriculteurs bio accusant une "série de reculades ultra favorables à l’agrochimie" et la Confédération Paysanne accusant d'avoir détourné ce qui était demandé sur le terrain pour (implicite) engraisser les multinationales.

S'agissant des militants radicaux, je doute qu'ils soient sensibles à cette contradiction et ont-ils besoin de quoi que ce soit pour tirer à boulets rouges sur le gouvernement ? 

Donc faut-il s'attendre à court terme à des actions militantes radicales ? Ce n'est pas impossible, mais j'en doute. D'abord, contre qui la diriger ? Le gouvernement ? Une bassine ? Surtout, ils seraient confrontés médiatiquement aux discours agricoles. La Confédération Paysanne, disposant d'une légitimité agricole, peut agir. Cela pourrait être très efficace pour brouiller les cartes. Néanmoins, elle risquerait sa crédibilité, laissant potentiellement voir qu'elle est isolée dans le monde agricole et qu'il s'agit d'un cheval de troie de la pseudo-écologie. 

Prédire l'avenir est un exercice périlleux, mais je ne vois pas le militantisme violent reculer, peu importe la décision du gouvernement. La décision prise me semble incontournable, l'erreur a été de la prendre en premier lieu. Toutes les concessions faites n'ont, au final, abouti qu'à calmer temporairement les ardeurs du mouvement en le renforçant sur le long terme. Ce n'est pas un bon calcul. 

Gaël Brustier : Il faut que l’écologie en revienne à la base de ce qu’elle est supposée être. Il existe des formes d’organisation de la ruralité, de la campagne, des champs… Il est essentiel de respecter les formes de la chose agraire : on ne peut pas, du jour au lendemain, faire muter les choses contre des milliers d’années de domestication de la nature ; laquelle a d’ailleurs pu faire ses preuves d’efficacité au demeurant, comme c’est le cas des haies. Avant de parler, dès lors, il faut prendre le temps d’apprendre à connaître l’agriculture, la campagne et d’une façon générale la nature, ses réalités et comment les capter pour en faire des richesses économiques quand c’est possible.

Revenons à l’exemple de Sainte-Soline, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il s’agit fondamentalement de la projection spatiale d’une dérive de gens qui ne connaissent pas les impératifs de l’agriculture telle qu’elle est et qui ne proposent rien. Il est tout à fait légitime, en soi, de questionner le bien-fondé des méga-bassines. Ceci étant dit, le problème de ces opposants n’est pas tant de questionner que d’établir un système de contestation institutionnalisé… qui mène à des contestations en boucles dans la pratique. On sait aussi qu’un mouvement de sabotage généralisé qui, au niveau européen, est en train d’émerger.

Les figures de proue de l’écologie politique ont moins de mal qu’avant à défendre certaines actions relevant de la désobéissance civile notamment. Dans une certaine gauche, la question du sabotage semble faire son retour. Faut-il s’en inquiéter ? 

Alexandre Baumann : On voit depuis des années l'extrême gauche (qui a complètement phagocyté la "gauche") excuser les violences servant ses intérêts, qu'il s'agisse des violences urbaines ou bien des violences militantes.Le 7 octobre a montré que cela n'avait aucune limite. Il suffit qu'elle puisse construire un narratif excusant les violences, pour excuser ou défendre les pires atrocités. C'est plus qu'une source d'inquiétude, c'est le germe d'un monstre totalitaire.

Gaël Brustier : Oui, il faut évidemment s’inquiéter de cette situation. Il y a une réelle complaisance de la part d’une part de la gauche à l’égard de ces actions, qu’il s’agisse de la désobéissance civile ou du sabotage auquel s’adonnent certains. D’autant qu’il ne faut pas perdre de vue que ce genre de mouvements n’ont aucunement besoin d’être majoritaires pour mener des opérations potentiellement très handicapantes.

Nous faisons aujourd’hui face à une petite élite militante qui ne connaît pas la nature et qui, par voie de conséquence, s’arroge le droit de définir ce que devrait être l’agriculture. Elle fait désormais le choix de la contester et ce sont les moyens d’opération qu’elle a identifiés. Ses capacités de nuisance sont réelles.

Jean-Paul Oury : Ces mouvements sont allés crescendo avec des mobilisations toujours plus violentes et les revendications pacifistes sont passées au second plan, voire, ont totalement disparu… Dans les années 2000 et encore maintenant il y a eu les faucheurs volontaires que l’on retrouve encore épisodiquement, même s’ils ne constituent plus le feuilleton de l’été comme jadis. On trouve aujourd’hui des groupes tels que Extinction Rebellion, dont le mentor Roger Hallam appelle les jeunes à la désobéissance civile du fond de sa cellule ; Just Stop Oil est devenu célèbre pour ses actes d’éco-terrorisme dans les musées ; en France des Soulèvements de la terre se sont illustrés par leurs actes de violence menés pour empêcher l’utilisation de réserves d’eau à Sainte Soline. L’écologisme dispose ainsi de véritables armadas disséminées un peu partout, des individus prêts à se mobiliser pour une cause ou une autre.

Invoquer la désobéissance civile n’a rien de nouveau et à côté des ONG on trouve des têtes pensantes. A ma connaissance en France l’un des premier à l’avoir promue est François Roux, l’avocat de José Bové. C’était d’ailleurs la cause qu’il voulait plaider en défendant les faucheurs d’OGM. Ceux-ci avaient le droit de désobéir car ils faisaient cela au nom de l’environnement. L’anthropologue Philippe Descola, qui s’était rendu auprès des Zadistes de Notre-Dame-des-Landes et a soutenu les Soulèvement de la Terre est un ardent défenseur de la désobéissance civile également.

Quelles sont les réponses institutionnelles auxquelles s’attendre ?

Alexandre Baumann : D'un côté, j'ai l'impression que Macron est devenu un peu plus ferme, moins illusionné par rapport à l'écologie et sa propension à pouvoir aller chercher cet électorat. 

D'un autre côté on parle de la personne qui a fermé Fessenheim, donné du crédit aux antiglyphosates et, dans un autre registre, aux délires du Docteur Raoult. Qui peut anticiper les calculs politiques auxquels il se livrera ? 

Gaël Brustier : Il existe des réseaux, activistes, qui montrent le chemin vers les modes d’actions que nous avons évoqués et qui comprennent notamment le sabotage. Derrière, certains partis politiques de la gauche, de même que certaines ONG, embraient par crainte d’être laissés à la remorque. Parfois même, ils vont plus loin pour ne pas prendre de risque. Dans ce cas de figure, il semble possible, sinon probable, que certaines de nos formations politiques en finissent par prôner des mesures de sabotage. Les écologistes, notamment, n’iront pas jusque-là par gaieté de cœur, mais il ne leur est tout simplement pas possible de se couper de leur base.

Jean-Paul Oury :  Il y a peu Gérald Darmanin avait présenté un décret de dissolution visant les Soulèvement de la Terre et souvenez-vous, il a été rejeté par le Conseil d’Etat. Comme l’explique Carole Hernandez Zakine, consultante experte en droit de lenvironnement appliqué à lagriculture, le Conseil d’Etat a exigé la suspension du décret et a mis en cause la pertinence même de la dissolution. » Selon les sages « les SDT ne cautionnent pas les violences causées aux personnes. Et quant aux violences revendiquées à lencontre des biens, les actions promues seraient « symboliques » et « inscrites dans les prises de position de ce collectif en faveur dinitiatives de désobéissance civile et de "désarmement" de dispositifs portant atteinte à lenvironnement ». Il n’y aurait donc pas de trouble à l’ordre public, car ils agissent au nom de l’environnement. Comme l’explique Zakine, le code de la ruralité n’est plus de taille pour lutter contre celui de l’environnement, et ce processus est le résultat d’ONG qui agissent depuis des années en invoquant la désobéissance civile pour sauver la Nature. Dans ces conditions les réponses institutionnelles contre ces mouvements paraissent de plus en plus compliquées et on en est même à se demander jusqu’à quel point certains vont pouvoir agir au nom de l’environnement en empiétant sur les droits de l’homme et du citoyen. 

Faut-il penser qu’Emmanuel Macron ira au bout de son action ? S’il en reste au discours d’intention, comment pourrait évoluer ce conflit ?

Alexandre Baumann : S'il essaye d'entuber les agriculteurs, il risque de se retrouver avec d'autres mouvements comme celui-ci régulièrement. On peut aussi s'inquiéter de la montée du radicalisme dans le monde agricole.

Jean-Paul Oury : Le problème d’Emmanuel Macron c’est qu’il n’a pas de politique scientifique… il agit en fonction du marketing politique et il est sous l’influence de l’écologisme. N’oublions pas que c’est le même homme qui a fait fermer Fessenheim et vient de lancer un programme nucléaire. Je me faisais la réflexion l’autre jour que l’âne de Buridan avait quelque chose de macronien… vous savez, cette allégorie qui servait aux logiciens médiévaux pour illustrer un paradoxe : le pauvre animal ayant à choisir entre un seau d’avoine et un seau d’eau n’a pas réussi à se décider… il est donc mort et de soif et de faim.

Je crains que ce triste destin soit celui que subissent les Français avec le Macronisme : incapable de choisir entre l’installation d’ENR et un plan de relance nucléaire, entre une agriculture raisonnée et une agroécologie… bref, à force de subir cette incapacité de choisir entre une politique scientifique motivée par la quête d’une souveraineté et de prospérité du pays (cette fameuse réindustrialisation que l’on attend tant) et un marketing politique sous influence de l’écologisme, le peuple français risque bien de dépérir.

Et rappelez-vous, il y a quelques mois de cela vous m’aviez interviewé déjà, Emmanuel Macron en a appelé à faire une pause sur l’application des normes écologiques… Il avait dit : «Moi je préfère des usines qui respectent nos normes européennes qui sont les meilleures, plutôt que ceux qui veulent ajouter des normes». J’avais commenté en disant « On peut d’ailleurs tout à fait imaginer que comme par le passé il cédera aux critiques et finira par donner des gages aux plus extrêmes pour se faire pardonner. Ce fut le cas quand il a adoubé une mesure telle que le permis carbone proposée par la convention citoyenne pour le climat pour tempérer les concessions qu’il avait accordées aux Gilets jaunes, dont l’origine résidait justement dans une révolte contre une taxe carbone trop brutale. Si le président Macron avait eu une politique scientifique alternative à l’écologisme, ce n’est pas une pause qu’il aurait proposée, c’est une remise en cause de la législation ubuesque de l’UE. Et posément, il aurait pu expliquer que la science des ingénieurs avait encore de beaux jours devant elle et était la mieux équipée pour répondre aux défis environnementaux et sociétaux qui se profilent. »

Quelles sont les limites de la science du législateur, en matière d’écologie ?

Jean-Paul Oury : Dans "Greta a ressuscité Einstein", j’aborde le sujet de la récupération de la Science par des apprentis dictateurs, un vrai changement de paradigme : la science, si elle sert encore le progrès technologique, se concentre désormais surtout sur la réalisation de modèles sur lesquels on s’appuie pour édicter des nouvelles lois. J’ai donc identifié cinq régimes qui sont la Climatocratie, la Biodiversitocratie, la Collapsocratie, l’Algorithmocratie et la Covidocratie. L’écologisme s’est rué sur cette opportunité et empiète de plus en plus sur nos libertés individuelles en s’appuyant sur la science des législateurs. C’est ce que ressentent les agriculteurs, par exemple, quand ils se plaignent des lois kafkaïennes… ils sont victimes de biodiversitocrates qui veulent leur expliquer comment ils doivent gérer la nature et bien évidement subissent des campagnes de dénigrement, autrement appelées agri-bashing. Il y a cette volonté de reprogrammer l’environnement d’après des modèles. C’est une forme de néo-scientisme qui débouche sur une exubérance législatrice et planificatrice. Par exemple, l’UE a déroulé le plan « nature restoration Law » qui veut rétablir les campagnes comme elles étaient en 1950. En conséquence, on créé des postes de fonctionnaires qui pilotent ce plan en surveillant les agriculteurs avec cette ambition illusoire de retrouver un ordre établi que l’homme (forcément mauvais) aurait détruit et qu’il faudrait reconstruire (je vous invite à lire les ouvrages de Christian Lévêque à ce sujet).

Pour répondre à votre question, j’en suis venu à penser que les limites de la science des législateurs ce sont les limites du scientisme, et cet écueil qui est que l’humanité n’est pas une espèce qui se laisse dresser facilement, comme l’ont montré les manifestations d’agriculteurs. Cest le sujet du troisième opus de ma série à paraître prochainement : quelles sont les limites de la science des ingénieurs et quelles sont les limites de la science des législateurs ? La réponse à ces deux questions passe par la mise en place d’une vraie politique scientifique indépendante de toutes les formes d’idéologies (écologisme, transhumanisme) et qui cherche à optimiser la libre responsabilité des individus. 

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