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Coronavirus : mais que sait-on vraiment des séquelles chez ceux qui s’en sont remis ?
©Joseph Eid 000_1VW66S

COVID-19

La mortalité ou les entrées en réanimation sont des indicateurs pour l’instant sous contrôle mais quid de l’état des malades en convalescence . À supposer qu’on soit dans une phase moins grave

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Que sait-on des séquelles qu'a pu laisser l'infection à coronavirus chez ceux qui ont réussi à surmonter la maladie ?

Stéphane Gayet : Non seulement cette infection virale - peut-être accompagnée d’une ou de plusieurs co-infections bactériennes ? - a déstabilisé et bousculé le corps médical en raison de ses aspects inhabituels, mais sa « guérison » n’en est pas toujours une. Il me paraît nécessaire de reprendre le schéma général de l’infection : on ne peut pas parler de « l’histoire naturelle » de la maladie et de ses suites, sans clarifier les différentes notions mobilisées.

Tout commence par une contamination : elle consiste en la réception de particules virales par une muqueuse de la face (yeux, nez, lèvres, bouche, arrière-gorge). C’est précisément dans l’évitement de la contamination que se situe le rôle du masque bidirectionnel (il évite de projeter des microgouttelettes et d’en recevoir) ; faut-il rappeler qu’il doit impérativement couvrir le nez et la bouche et qu’il n’est pas une « simple bavette » ?

Après la contamination, soit le processus avorte et il ne se passe rien (élimination des particules virales) ; soit plusieurs particules virales atteignent leur récepteur cellulaire (« ACE2 ») et le cycle de réplication virale peut commencer : c’est la phase d’incubation qui dure en moyenne de 5 à 6 jours pour la CoVid-19, avec des valeurs extrêmes de 2 et 12 jours ; cette phase d’incubation est en règle générale « silencieuse » (ni symptômes : ce que le malade éprouve, ressent ; ni signes : ce que tout le monde peut constater). La phase virologique correspond à la période de positivité du test virologique PCR (frottis de l’arrière-gorge) : ce test est très fréquemment positif 2 à 3 jours avant le début de l’invasion, donc avant que le sujet ne soit symptomatique (or, un test PCR positif signifie en principe que le sujet est contagieux).

La phase dite « clinique » de la maladie comprend l’invasion, la phase d’état et la guérison.

L’invasion correspond au début apparent de la maladie : il peut être brutal ou progressif d’une façon générale ; mais avec la CoVid-19, le début est progressif, contrairement à la grippe où il est brutal.

La phase d’état de la maladie correspond à une période de relative stabilité des symptômes et des signes ; le corps commence à s’habituer plus ou moins à la maladie. Après 6 à 8 jours d’évolution, soit la maladie continue de la même façon jusqu’à la guérison, soit surviennent des complications qui peuvent être sévères et conduire à une hospitalisation. Quand la maladie n’est pas émaillée de complications, la phase d’état de la CoVid-19 dure fréquemment trois semaines et même souvent plus : c’est une infection qui a tendance à se prolonger.

La guérison est la phase d’amélioration : la fièvre diminue puis disparaît et le malade se sent mieux (amélioration de l’état général, reprise de l’appétit, diminution de la fatigue…).

La convalescence ou analepsie est une phase de restauration, de récupération de l’ensemble de l’organisme. Un malade convalescent est encore faible et ne peut en général pas travailler ; ce n’est qu’à la fin de la convalescence que le malade se retrouve en principe dans son état antérieur (du moins dans le cas d’une récupération totale sans séquelles). Mais cette convalescence peut être longue et même très longue avec la CoVid-19. C’est bien souvent seulement lors de la convalescence qu’apparaissent les anticorps dans le sang (phase sérologique) ; ils pourront persister des mois, voire des années (c’est la notion de cicatrice sérologique).

Les séquelles sont des symptômes ou des signes qui persistent alors que le malade est « médicalement guéri » et qu’il a déjà eu une convalescence plus ou moins longue ; il peut s’agir d’une fatigue, de douleurs, de déficits, de handicaps…

Pour répondre à la question posée

Il est fréquent qu’après la « guérison médicale », la convalescence soit longue, voire très longue. La notion de guérison est avant tout une notion médicale : le malade est « médicalement guéri ». Aujourd’hui, l’exercice de la médecine s’appuie très largement sur les examens dits « complémentaires » (terme médical signifiant qu’ils complètent l’analyse de l’anamnèse et celle des symptômes et des signes) ; c’est une déviance fortement préjudiciable ; la tendance est même, pour les plus jeunes médecins, à survoler l’anamnèse et le recueil des symptômes (interrogatoire) et des signes (examen clinique dit « physique »), pour se précipiter sur une kyrielle d’examens biologiques et d’imagerie (échographie, radiographies, scanner…) : cette médecine est coûteuse et son efficacité est pour le moins moyenne (le corps humain ne se résume pas à une « machine » que l’on surveille et pilote avec un tableau de bord et des commandes).

En pratique, si les résultats des examens biologiques se sont « normalisés » ou presque, le médecin est incité à dire au malade : « Vous êtes guéri, la maladie est vaincue » ; cela, quels que soient les symptômes et les signes du patient ; c’est pour cela que l’on parle de « guérison médicale » et non pas simplement de guérison.

Ce que l’on remarque avec la CoVid-19, c’est une phase d’état longue et une convalescence qui n’en finit pas. Bon nombre de patients sont considérés comme « médicalement guéris », alors qu’ils sont incapables de travailler : ils se plaignent d’une asthénie (fatigue) importante, d’une dyspnée (gêne respiratoire) au moindre effort, d’un sommeil difficile et perturbé, d’une irritabilité, d’épisodes de « brouillard cérébral », de difficultés de concentration, de troubles de la mémoire, d’une tendance dépressive avec perte de l’élan vital, d’une apathie avec défaut d’initiatives et difficultés à décider, d’un manque d’appétit, d’une altération persistante du goût et de l’odorat, de douleurs musculaires et articulaires changeantes, d’une réduction de la force musculaire, pour ne citer que les manifestations les plus souvent alléguées. Ce sont majoritairement des symptômes, cependant les proches et l’entourage de ces patients peuvent confirmer la dégradation de leur état. Étant donné que les symptômes sont largement majoritaires, cet état « post-CoVid-19 » est souvent appelé « syndrome subjectif post-CoVid ». L’emploi de l’adjectif subjectif est déjà péjoratif, car il laisse entendre que ce cortège de doléances serait gouverné par la pensée, ce qui est proprement monstrueux (il faut rappeler qu’un syndrome est un ensemble de symptômes et de signes dont la cause n’est pas vraiment connue ou qui peut correspondre à plusieurs maladies déjà connues).

Il est temps d’en finir avec ces concepts de « somatisation », de « troubles somatoformes », de « maladies psychosomatiques » ou encore d’hystérie qui – en dépit des théories neurophysiologiques subtiles, habiles et volontiers complexes sur lesquelles ces concepts s’appuient – relèvent d’une médecine digne du génie admirable de Jean-Baptiste Poquelin, c’est-à-dire du XVIIe siècle. La vérité est que ces concepts sont faits pour évacuer les malades chroniques complexes, difficiles et gênants, mais qu’ils ne reposent sur aucune preuve véritable alors que les leaders d’opinion en médecine ne jurent que par la médecine fondée sur des preuves (en anglais : evidence-based medicine ou EBM).

Beaucoup de médecins évoquent le « stress » comme étant la cause de tous ces troubles, alors que tout le monde est stressé, car le stress est tout simplement inhérent à la vie : ce n’est pas sérieux ni respectueux.

Sont-elles plus graves chez les populations jeunes ?

Ce syndrome post-CoVid paraît plus fréquent et plus handicapant chez les sujets jeunes ; c’est d’abord lié au fait que sa constatation est surprenante, inattendue chez une personne jeune ; c’est également dû au fait que beaucoup de personnes âgées ne se rétablissent pas d’une forme grave de CoVid-19…

Le syndrome post-CoVid peut résulter d’une forme grave de CoVid-19 ayant nécessité une prise en soins en réanimation. Dans ce cas, il résulte du cumul de la forme grave de la maladie et des dégâts causés par les méthodes de réanimation (médicaments et techniques médicales invasives, en particulier la ventilation mécanique par respirateur électrique).

Mais ce syndrome post-CoVid peut tout aussi bien survenir chez une personne qui n’a pas présenté une forme grave de CoVid-19, c’est-à-dire qui n’a pas été traitée en réanimation ou même qui n’a pas du tout été hospitalisée.

On a l’impression que ce syndrome post-CoVid est plus fréquent et plus grave chez les personnes jeunes parce que ce sont elles qui s’en plaignent et viennent consulter pour cela ; alors que les personnes plus âgées sont souvent sans activité professionnelle et acceptent plus facilement une diminution physique, des handicaps et des souffrances que l’on a tôt fait d’attribuer à la sénescence ou à telle ou telle maladie chronique préexistante.

Les personnes jeunes qui étaient en pleine activité étudiante ou professionnelle avant leur CoVid-19, qui avaient une vie dense et dynamique, ne connaissant pour ainsi dire jamais la fatigue ni les difficultés intellectuelles, lorsqu’elles se retrouvent avec un syndrome post-CoVid tel que je l’ai décrit, ces personnes jeunes-là sont chavirées et même catastrophées ; elles vont aller de médecin en médecin, de consultation en consultation, d’hospitalisation en hospitalisation ; elles vont à juste titre réclamer, protester, tempêter, pour qu’on les prenne correctement, dignement et efficacement en soins, ce qui n’est pas souvent le cas. C’est pourquoi on a l’impression que ce syndrome post-CoVid est l’apanage des sujets jeunes ; en fait, les personnes les plus âgées se résignent et ne font pas de bruit, se morfondent et souffrent en silence, dans un certain abandon médical… et même parfois familial.

Sont-elles suffisamment prises en charge par notre système de santé ?

La médecine occidentale et particulièrement française se revendique d'une démarche rationnelle, logique, cartésienne et même scientifique. On veut faire croire que la médecine est une science, alors que ce n’est pas le cas : on confond l’activité médicale, la profession médicale, avec les sciences médicales (anatomie, histologie, embryologie, cytologie, physiologie, physiopathologie, pharmacologie, etc.).

La vérité est que la médecine est une activité qui reste très empirique, tout en s’appuyant le plus possible sur des données scientifiques.

La nosographie est la partie de la médecine qui nomme et classifie les maladies ; quand on fait un diagnostic médical, on cherche une case dans laquelle mettre le cas du patient ; on distingue les maladies infectieuses, les maladies traumatiques, les maladies dégénératives, les maladies inflammatoires dysimmunitaires, les maladies malformatives congénitales, les maladies cancéreuses, etc.

C’est notre façon de fonctionner, on crée des cases et ensuite on met chaque cas dans la case que l’on pense la plus appropriée ; quand le cas ne rentre pas bien dans une case, on force un peu… parfois beaucoup, mais chaque cas doit avoir sa case. Ce système de cases est à la base des traités médicaux, de la nomenclature des actes médicaux, de la tarification des activités… de tout notre système de santé en somme. Mais ce système semble de moins en moins bien fonctionner : les maladies sont de plus en plus souvent lentes, chroniques, complexes, multifactorielles, systémiques

Et justement, les personnes atteintes d’un syndrome post-CoVid sont « hors cases ». Leurs manifestations sont principalement des symptômes, les résultats d’examens complémentaires sont le plus souvent « dans les limites de la normale », expression commode et passe-partout qui dissimule mal leur imprécision et l’embarras qu’ils suscitent.

Il faut bien avouer que notre médecine française n’est plus du tout holistique et qu’elle est beaucoup trop souvent faussement scientifique. Il existe une dramatique confusion entre « un fait scientifique » et « un fait attesté par un test statistique » : les tests statistiques sont devenus le juge de touche des connaissances médicales.

La vérité est que l’on ne connaît pas vraiment les causes et les mécanismes (la physiopathogénie) du syndrome post-CoVid et que l’on ne sait pas le soigner correctement. Étant donné ce vide étiologique (cause) et étiopathogénique (action de la cause pour produire la maladie), on est souvent tenté par le diagnostic joker ou atout : « C’est psychosomatique, vous somatisez, vous n’avez rien et c’est dans votre tête ».

Ces personnes ont ainsi une double peine : un syndrome post-CoVid et un mépris condescendant et irresponsable.

Il faut déjà les reconnaître, les respecter et leur proposer d’autres thérapeutiques qu’une consultation de psychiatrie ou de psychologie, ou des psychotropes en veux-tu en voilà… Du coup, ces malades post-CoVid s’organisent sur les réseaux sociaux et commencent à faire du bruit ; ils rejoignent tous les autres malades chroniques méprisés et abandonnés par le système de santé au motif qu’ils sont hors cases et qu’ils s’inventent une maladie (Lyme, fibromylagie, fatigue chronique…).

Je n’ai jamais vu un malade s’inventer une maladie… sauf un seul qui s’entretenait une plaie chronique avec des matières fécales (mais c’est tout à fait exceptionnel).

Je terminerai avec un peu d’humour en disant que ces malades sont de vrais malades, mais qu’il leur manque une case : celle de leur maladie encore inconnue de la nosographie officielle.

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