Corinne Lepage sur la COP 21 : "Les pays émergents doivent aussi faire face à leurs responsabilités"<!-- --> | Atlantico.fr
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L’artiste danois Olafur Eliasson a installé son œuvre "Ice watch", douze blocs de glace à Paris, sur la place du Panthéon.
L’artiste danois Olafur Eliasson a installé son œuvre "Ice watch", douze blocs de glace à Paris, sur la place du Panthéon.
©Reuters

Il serait peut-être temps de se décider

Au cinquième jour de la COP 21 qui réunit 195 pays au Bourget, la crainte de ne pas parvenir à un consensus émerge. Alors que Laurent Fabius, inquiet, appelle à accélérer les négociations, Corinne Lepage, présidente du parti CAP 21 monte au créneau pour défendre une cause qui lui a toujours été chère.

Corinne Lepage

Corinne Lepage

Corinne Lepage est avocate, ancien maître de conférences et ancien professeur à Sciences Po (chaire de développement durable).

Ancienne ministre de l'Environnement, ancienne membre de Génération écologie, fondatrice et présidente du parti écologiste Cap21 depuis 1996, cofondatrice et ancienne vice-présidente du Mouvement démocrate jusqu'en mars 2010, elle est députée au Parlement européen de 2009 à 2014. En 2012, elle fonde l’association Essaim et l’année suivante, la coopérative politique du Rassemblement citoyen. En 2014, elle devient présidente du parti LRC - Cap21.

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Atlantico : Vous déclariez récemment que le "verrou de la Cop21, c'est l'argent": comment peut-on convaincre les Etats qu'il est dans leur intérêt de s'engager concrètement ? Le Sénat par exemple vient de rejeter le budget proposé pour l'écologie et les transports, qu'il estimait trop faible. Les Etats font face à une crise des finances publiques. Ont-ils seulement les moyens d'intervenir ?

Corinne Lepage : Les Etats ne sont pas obligés de puiser nécessairement dans leurs caisses ni de se cantonner aux fonds publics préexistants. Si nous arrivons par exemple enfin à mettre en place une fiscalité carbone, nous pourrons bénéficier de sources nouvelles de financement.

C’est dans l’intérêt des Etats. Ils sont forcés de constater, de plus en plus, qu’il y a un lien indéniable entre pollution atmosphérique et santé publique. Regardez Shanghaï ou New Delhi. En Chine, le phénomène constitue un problème majeur sur lequel tout le monde est vigilant. 

Mais il y a encore du chemin à faire en Inde apparemment, où le problème est accepté comme une contrepartie du développement. Il reste néanmoins à savoir comment procéder. Il faudrait des paiements sécurisés qui ne finissent pas sur des comptes off-shore !

David King, l’ancien conseiller scientifique en chef du gouvernement du Royaume-Uni proposait dernièrement avec un groupe d’éminents scientifiques, un Programme Apollo mondial du Climat ; selon vous, ce genre d'ambitieux projet est-il possible, souhaitable ?

Il va falloir qu’on travaille de manière collective, c’est une évidence. La question qui demeure en revanche, c’est de savoir sur quoi on travaille, sur quel projet on se penche. S’il s’agit de géo-ingénierie, à savoir tenter d’aller résorber le surplus de CO2 directement dans l’atmosphère, je ne pense pas du tout que ce soit la bonne solution. Ces technologies sont encore très approximatives, on ne sait pas ce qu’elles auraient comme conséquence sur l’environnement. Ce dont on est sûr en revanche, c’est qu’elles dédouaneraient le pollueur d’avoir à réaliser un quelconque effort dans ses émissions !

Je suis persuadée en revanche qu’on peut aller vers des innovations de rupture en matière d’électricité. La question du stockage par exemple, est absolument fondamentale. Si l’on parvient à stocker de l’électricité à un prix abordable, c’est le monde entier qui pourra avoir accès à une énergie renouvelable et permanente.

La COP n'est pas qu'une affaire d'Etats et de gouvernements, ne serait-il pas plus efficace d’intégrer les entreprises privées dans la concertation et les investissements ? Est-ce qu'il ne faudrait pas davantage intégrer les acteurs privés ? Dans l'investissement par exemple ?

Cette 21e COP se démarque par une forte mobilisation de la société civile,que ce soit les collectivités territoriales, les entreprises et les ONG.

Mais nous devons réfléchir à une nouvelle gouvernance du monde qui puisse mieux articuler le rôle des différents acteurs. Si les Etats sont incontournables pour la régulation, ce sont les autres qui déterminent la mise en pratique.

Il faut donc trouver de nouveaux rapports de travail en commun, et notamment réussir à intégrer dans le processus ceux qui ont une logique d’opposition. Il va bien falloir trouver des nouveaux moyens d’avancer tous ensemble sur la question.

Il y a un regain de climato-scepticisme, on constate même des divisions au sein des institutions largement acquises à la cause (on a vu par exemple des démissions au GIEC) : n'a-t-on pas intérêt à faire face aux critiques, pour redonner un regain intellectuel au débat et le sortir des ornières moralisatrices ?

Le GIEC est une innovation extraordinaire. C’est la première fois qu’on est en mesure de mettre au travail des scientifiques du monde entier sur un enjeu d’une telle ampleur. C’est déjà un progrès formidable, qui a nécessairement encore des défauts: une construction humaine n’est jamais parfaite. Le débat porte sur les synthèses des études et le résumé des recherches qui sont faits à l’intention des décideurs. Ici en effet, des choix politiques viennent s’y interférer.  Ce n’est pas parfait, mais c’est une base forte.

Quand à ceux qui contestent radicalement la question, en terme de poids, l’importance de ces quelques scientifiques est assez dérisoire. Nous ne sommes plus dans la configuration de Copenhague. Voyez en France le récent rapport des assureurs, qui évalue l’ensemble des coûts du réchauffement pour la société: la question est devenue plus qu’incontournable. La situation fait penser à celle qu’ont connue les défenseurs de la santé publique face aux études financées par les cigarettiers et par les défenseurs de l’amiante. Un débat avec les opposants les plus farouches n’est plus tellement ce qui doit nous occuper. Ce qui doit nous importer, ce qui est le plus urgent, c’est savoir ce que l’on doit faire, au moindre coût et au meilleur résultat.

Laurent Fabius vient de lancer un coup de semonce, dénonçant la lenteur des négociations. Pensez-vous que quelque chose de positif va sortir des concertations, en seulement une semaine ? La COP peut-elle aboutir à un accord? est-ce que vous êtes pour un recours à la contrainte, comme le préconise Hollande ?

Cela me paraît difficile. Il y aura évidemment un accord, mais la question c’est de savoir ce qu’il y a dedans. On ne peut être que favorable à un accord contraignant, la question est de savoir si l’on va y arriver. Et puis il faut aussi s’accorder sur ce que l’on entend par contraignant. Le résultat serait déjà appréciable si l’on pouvait aboutir à un système international de mesure et de contrôle qui fasse l’unanimité. Parce qu’à partir du moment où un Etat prend un engagement, et les enfreint, l’opinion publique ainsi que les  autres Etats pourront exprimer légitimement leur opposition et en toute impartialité.

Le progrès serait considérable puisqu’il n’y aurait plus de possibilité de tricherie. En revanche, pour obtenir tous ces engagements, il faudra accéder à la demande des pays du Sud qui exigeront des dédommagements. On en revient donc à la question du financement.

Concernant la question de la dette climatique, il faut savoir qu’aujourd’hui, les pays européens représentent 10 % des émissions mondiales de CO2, ce qui est faible comparé à l’Inde ou la Chine qui représente le double. Nous devons assumer évidemment notre dette passée. Mais tous les efforts du Nord ne suffiront pas. Les pays émergents doivent aussi faire face à leurs responsabilités. Il faut trouver pour tout le monde un  modèle qui sépare la croissance économique de la croissance énergétique. Et cet enjeu a par exemple été résolu par la Chine, pour cette année tout du moins.

Est-ce que l'intervention particulièrement appuyée du Pape à propos de la COP 21 peut changer quelque chose, comparée aux négociations précédentes ?

Dans la lignée du Pape, je soutiens l’idée d’une déclaration universelle des droits et devoirs de l’humanité sur laquelle le Président de la République m’avait enjoint de travaillée. Le résultat est un texte très simple, qui rencontre un grand succès dans la société civile, par exemple parmi les élus locaux ou les associations de jeunesse; et je le présenterai bientôt devant l’ensemble des maires réunis par Anne Hidalgo.

On attend son lancement par le Président à la COP 21. Ce texte pourrait par exemple servir de base à une discussion devant l’assemblée des Nations Unies. Car nous avons besoin, aujourd’hui, de passer par une déclaration universelle des droits et devoirs, sur tous ces sujets; c’est dans la droite ligne de l’encyclique du Pape.  

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