Contrôle des loyers à Paris : une réponse politique plutôt que rationnelle sur le plan économique <!-- --> | Atlantico.fr
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Le décret d'application de l'encadrement des loyers à Paris prendra effet le 1er août.
Le décret d'application de l'encadrement des loyers à Paris prendra effet le 1er août.
©Reuters

A la rue

Le décret d'application de l'encadrement des loyers à Paris prendra effet le 1er août. Si l'idée est très bien défendue par une partie des représentants politiques, il est étonnant de voir qu'elle est à l'origine d'un relatif consensus chez les économistes qui craignent ses effets secondaires.

Michel Mouillart

Michel Mouillart

Michel Mouillart est professeur d'économie à l'Université Paris X, spécialiste de l'immobilier et du logement.

Il est le co-auteur de La modernité des HLM : Quatre-vingt-dix ans de construction et d'innovations (La Découverte, 2003).

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Atlantico : Dans quelle mesure l'encadrement des loyers représente-t-il davantage une réponse politique à un problème réel plutôt qu'une réponse rationnelle, économique ?

Michel Mouillart : Il est de fait que le dispositif qui va prendre effet le 1er août a été calibré pour provoquer la baisse la plus forte possible des loyers. En déterminant les médianes de loyers sur l’ensemble des baux en cours et en procédant à un regroupement pour le moins étrange des quartiers afin de découper l’espace parisien en 14 zones, l’OLAP a maximisé l’impact de l’encadrement.

Alors que les loyers de marché parisiens continuent à baisser en 2015 et que depuis 2012 ils ont cru de moins de 0.5 %, en moyenne chaque année, on ne peut que s’interroger sur le but recherché. L’étude d’impact de la loi ALUR ("Etude d’impact", NOR : ETLX1313501L/Bleue-1, 25 juin 2013") apporte peut-être, à cet égard, un élément de réponse : "il est … très difficile pour un locataire du parc social de sortir de ce parc vers le privé, car cela signifie une dégradation extrêmement sensible de son niveau de vie. Il est donc important pour la fluidité des parcours résidentiels de diminuer l’écart entre parc privé et parc social" (page 19). D’autant, et on le sait bien, que "la majorité des logements locatifs privés appartiennent aux personnes parmi les plus aisées" (page 20) !

Berlin ou encore Stockholm ont mis en place un encadrement de loyer similaire à Paris. Quels enseignements peut-on tirer de ces deux expériences ?

Souvent présenté en France comme une modèle d’équilibre et de régulation, le marché immobilier résidentiel allemand connaît les mêmes dérèglements que ceux qui s’observent dans la plupart des pays de l’Union Européenne. Dans des villes comme Berlin, Hambourg ou Munich, les hausses de loyers ont pu aller jusqu'à 30 % et 40 % entre deux locataires, repoussant les classes moyennes en périphérie des agglomérations.

Le Bundestag a adopté ainsi en mars 2015 une loi plafonnant les hausses de loyer afin d’enrayer l'envolée des loyers. Le texte prévoit qu'en cas de relocation, le loyer ne peut excéder 10 % du "loyer moyen d'usage" de la ville ou le quartier concerné. La disposition ne concernera cependant pas la mise en location de logements neufs ou de logements rénovés : or pour la plupart des observateurs, c’est précisément dans ce dernier cas que les hausses sont les plus fréquentes …

Le modèle allemand n’est donc peut-être pas ce que beaucoup ont voulu faire croire.

Quant au modèle suédois de contrôle des loyers, il a été sérieusement remis en question et corrigé dès 2011. Le Conseil européen qui dispose d’un pouvoir de recommandations relatives aux marchés du logement a alors demandé à la Suède de fluidifier le marché locatif en supprimant un contrôle des loyers jugé trop strict !

La mesure ambitionne de protéger les locataires d'un marché locatif trop déséquilibré. Certains taux d'effort à Paris atteignent d'ailleurs les 50 % des revenus. Pour autant, un encadrement des loyers parait-il comme une solution viable pour protéger les locataires ? Quels effets secondaires peut-on craindre ?

A Paris, les ménages modestes éprouvent de grandes difficultés pour se loger. La gentrification est évidente et ne devrait guère être corrigée par la mise en œuvre de l’encadrement.

Bien sûr, à peu près 6.0 % des loyers parisiens devraient baisser chaque année (près de 23 000 logements locatifs privés), de 20 % en moyenne pour les logements concernés. Mais ce ne seront pas des ménages modestes qui vont en bénéficier : les niveaux de loyers concernés ne sont pas ceux que des ménages d’instituteurs ou de jeunes employés de banque en début de carrière peuvent supporter. En revanche, ce sont les ménages aux revenus (les plus) élevés qui vont être les gagnants, avec un sérieux "coup de pouce" à leur pouvoir d’achat. Les ménages modestes qui supportent les loyers de marché les plus bas devraient en revanche être pénalisés par le nouveau dispositif qui ouvre au bailleur un recours en réévaluation du loyer si ce dernier est inférieur au loyer médian de référence minoré : 3.5 % des locataires modestes (un peu moins de 14 000 ménages, chaque année) devraient connaître une augmentation de leur loyer … de 10 à 20 %, probablement.

Et les propriétaires bailleurs dont les recettes locatives d’une partie de leurs immeubles vont fortement baisser vont alors être tentés de réaliser des plus-values en capital, d’autant que le marché parisien de l’ancien se redresse rapidement et que la demande de logements à acheter est forte. Le parc locatif privé parisien devrait ainsi se réduire sous l’effet du désengagement d’une partie des propriétaires bailleurs. La contraction de l’offre locative nouvelle va accroître la concurrence entre les candidats à la location aisés qui cherchent à accéder "à tout prix" à un logement parisien et les ménages modestes qui n’ont pas la capacité financière à résister. Le mouvement d’éviction des ménages modestes qui s’est amplifié sur Paris depuis le début des années 1980 ne devrait donc que se renforcer, à l’avenir.

Alors que l’incitation à réaliser des travaux d’amélioration et d’entretien du patrimoine va se heurter à la barrière du loyer médian majoré !

Quelles autres pistes plus rationnelles auraient-elles pu être davantage étudiées pour détendre le marché locatif parisien ?

Le marché parisien est un marché de pénurie particulièrement convoité pour l’image qui lui est attaché. Et au cours des 20 dernières années, aucune action publique n’a vraiment permis d’élargir l’offre, de corriger cela…

Le sentiment qui peut être retiré de la mise en place de cet encadrement est donc pour le moins singulier : comme si, confrontés aux conséquences d’un déséquilibre quantitatif qui résulte de l’inefficacité de leurs actions, les pouvoirs publics faisaient payer aux propriétaires bailleurs le prix de leur échec.

Pour autant, on le voit bien, rien ne sera réglé si une élévation substantielle de l’offre ne vient pas corriger les déséquilibres quantitatifs actuels. Mais le problème qui rappelle l’histoire du tonneau des Danaïdes a peu de chance de se solutionner, même en construisant beaucoup. Ou alors on hyper densifie la Capitale … en prévoyant de construire toujours plus haut. Ou enfin, on poursuit la stratégie à l’œuvre depuis un demi-siècle, en repoussant toujours plus loin les limites de la capitale et en cherchant à rendre la ségrégation socio spatiale supportable par ceux qui la subissent.    

Image réalisée par Nestpick

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