Conflictualisation à outrance : et si Jean-Luc Mélenchon gagnait son pari en soumettant ses partenaires de la Nupes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon, photo d'illustration AFP
Jean-Luc Mélenchon, photo d'illustration AFP
©SEBASTIEN BOZON / AFP

La méthode Chikirou

La stratégie de Jean-Luc Mélenchon repose sur trois points bien établis. L'un concerne la forme, et a été théorisé par Sophia Chikirou, l'autre le fond et est le fruit des réflexions, entre autres, de Chantal Mouffe. Le dernier émane de l'analyse de Terra Nova. Faut-il croire qu'elle lui suffira pour encore dominer le reste de la NUPES, quitte à la faire tomber dans un vrai piège moral ? Explications.

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Atlantico : Jean-Luc Mélenchon s’est récemment fait remarquer pour les propos qu’il a pu tenir après les assauts orchestrées par le Hamas sur Israël. D’aucuns, dans de nombreux billets éditoriaux et autres articles de presse jugent aujourd’hui sa stratégie politique proprement suicidaire, d’autant plus qu’elle a pu  faire du remou au sein même de la NUPES. Olivier Faure rappelait récemment qu’elle n’était d’ailleurs pas incarnée que par l’ancien candidat à l’élection présidentielle. Faut-il vraiment croire que cette stratégie n’a aucune chance de gagner ?

Raul Magni-Berton : Pas nécessairement, non. C’est effectivement une stratégie qui peut gagner. La France Insoumise, comme tout parti politique, évolue en permanence en fonction de deux phases distinctes. La première consiste à lancer des pistes, des idées et des stratégies nouvelles qui se confrontent avec les autres chemins envisagés par les autres courants. Elle ne cesse que lorsque le leader tranche en faveur d’une stratégie spécifique, derrière laquelle les autres doivent s’aligner. En l’état, La France Insoumise est dans une situation post-électorale dans laquelle elle ne s’est pas trop mal débrouillée sans pour autant avoir obtenu des scores extraordinaires, ce qui implique qu’elle doit nécessairement se reconstruire et repenser ses équilibres stratégiques. Elle s’inscrit donc dans la première phase précédemment évoquée.

Jean-Luc Mélenchon propose, de toute évidence, sa propre ligne. Il est vrai qu’elle est particulièrement radicale, mais gardons en tête qu’il ne s’agit pas d’attirer les électeurs – ce serait le cas en période électorale – mais bien d’attirer les militants. Or, le positionnement de ceux-ci n’est pas connu : sont-ils favorables à une opposition fondamentale et systématique avec le gouvernement en place ? C’est visiblement ce qu’estime Jean-Luc Mélenchon. Afficher une position marquée, particulièrement quand elle va à rebours du gouvernement ou d’un système global, peut constituer une occasion, si c’est effectivement le cas, de les séduire. D’autant plus qu’il n’est pas tout à fait exclu qu’il existe un décalage – même léger – entre l’opinion publique générale et la position de la majorité des commentateurs Français. Ces derniers privilégient la condamnation à l'analyse, du fait de la proximité que nous avons avec Israël, mais au sein de l'opinion, cela reste un fait de politique étrangère, et une autre son de cloche peut intéresser le public

La stratégie de Jean-Luc Mélenchon repose sur trois points précis. Le premier concerne la forme et a été théorisé par Sophia Chikirou : il consiste à ne jamais s’excuser de rien. Le second concerne le fond et a été (notamment) théorisé par Chantal Mouffe. Il consiste cette fois à rechercher la conflictualisation systématique et la quête de rapport de force permanent. Le dernier concerne le choix de la “bonne” cible électorale, ainsi que théorisé par Terra Nova. Comment cette stratégie a-t-elle permis de le rendre incontournable ? Au point de le rendre capable d’imposer ses thèmes au reste de la gauche ?

Cela fait un moment, dorénavant, que les deux premiers points que vous avez cités – la stratégie de forme qui consiste à ne jamais s’excuser et celle de fond qui implique de chercher la conflictualisation de la vie politique – influencent le chemin choisi par Jean-Luc Mélenchon. C’est sur ces points qu’il a façonné tout son plan et, en tant que leader, il a pu l’imposer comme une ligne directrice de son mouvement. Au final, il importe de le noter, il s’est davantage radicalisé sur la forme que sur le fond.

Aujourd'hui, il la maintient pour lui, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit toujours aussi consensuelle, au sein de la NUPES en tout cas. Il impose ses sujets, en effet, mais il est loin d’être le seul à le faire. C’est un élément qu’il faut prendre en compte et comprendre. Le paysage de la gauche, aujourd’hui, est celui d’un combat de boxe entre gentlemen pour identifier la réalité du rapport de force.

L’efficacité réelle de cette stratégie demeure plus floue que l’on pourrait le penser. Elle a, de fait, accompagné la France Insoumise dans sa montée jusqu’à la position de leader de la gauche en France mais je ne suis pas sûr que cette ascension ne résulte que de cela. Bien sûr, le succès de cette méthode n’est pas à nier, mais bien à nuancer : Jean-Luc Mélenchon, qui s’est beaucoup inspiré de la gauche latino-américaine, a aussi beaucoup profité de l’effondrement du Parti socialiste à mon sens. Le PS est tombé sous les assauts d’Emmanuel Macron, qui lui a pris nombre de ses cadres et de ses voix. Dès lors, il était mécanique que quelqu’un d’autre, à gauche, monte. Soit les Verts, soit la FI. La FI étant plus marquée à gauche et les centristes de gauche étant partis chez En Marche, le cours des choses que nous avons connu apparaît assez logique.

Du reste, je pense que si cette stratégie peut s’avérer utile pour prendre le leadership de la gauche, elle ne permet pas nécessairement de remporter des élections. Et pour cause ! Plus le temps passe, plus LFI devient la pire option d’un nombre de plus en plus conséquent d’électeurs. Dans le contexte électoral français, c’est un rôle très peu avantagé, puisqu’il faut gagner le second tour. Sur le long terme, et dès lors qu’il est question d’attirer l’électeur médian, je pense que ce chemin le dessert. De même, parce que les gens votent de façon stratégique à l’élection présidentielle, c’est un scrutin qui exagère les différences d’opinions réelles. Son leadership sur la gauche n’est peut-être pas aussi solide qu’il n’y paraît.

Certains membres de la NUPES, c’est le cas de Boris Vallaud, n’ont pas manqué de critiquer la position de Jean-Luc Mélenchon avant de préciser pourtant qu’ils ne quitteraient “évidemment” pas la formation politique. Pourquoi ce “évidemment” ? Faut-il s’attendre à une explosion de la NUPES à court ou moyen terme ?

Parce qu’il est entendu, au sein de LFI comme au sein de la NUPES, que chacun va désormais essayer de suivre ses stratégies et ses idées. Ce n’est que plus tard que l’on finira par faire les comptes pour identifier la réelle nature du rapport de force et la “bonne” marche à suivre. Les divergences, à cet égard, sont plus une ressource qu’un obstacle pour le moment. Cela changera évidemment à l’approche d’une élection importante. Pour l’heure, se démarquer en quête de la ligne la plus prometteuse n’est pas nécessairement une mauvaise idée sur le seul plan électoral.

Bien sûr, demeurer au sein de la NUPES, quand on est un allié de la FI sans appartenir au mouvement de Jean-Luc Mélenchon, c’est prendre un risque. Celui d’être associé à une image potentiellement dégradée et associée au qualificatif d’antisémitisme. Ces accusations, néanmoins, ne sont pas nouvelles. A plus d’une reprise, déjà, la NUPES a été accusée d’antisémitisme, de même qu’un certain nombre de ses membres. Jusqu’à présent, cela reste des accusations de basse intensité. Elles reviennent régulièrement mais demeurent, pour l’essentiel, le fait d’une minorité jusqu’à aujourd’hui. Le thème devient de plus en plus sensible, d’autant que l’accusation en antisémitisme peut parfois toucher l’opinion et s’avérer néfaste pour une figure politique… mais qu’elle peut aussi lui faire gagner en popularité si cette accusation est portée avec trop de légerté. C’est précisément pour cela que beaucoup préfèrent ne pas s’aventurer de ce côté.

Du reste, il y a aussi, dans la volonté de conserver la NUPES ainsi qu’elle est, une volonté électorale évidente. Quitter l’union avant la prochaine élection présidentielle ne s’avérerait probablement pas payant, sur le seul plan électoral. Aujourd’hui, le leadership de la NUPES, comme celui de la FI, n’est pas clair. C’est cela qui se joue en ce moment : qui est le plus fort, au juste ?

Dans quelle mesure cette gauche ne risque-t-elle pas de s’enfermer dans un piège moral, qui consisterait à se rendre prêt à soutenir des activités terroristes pour des voix ? N’est-on pas, à certains égards, en train de revenir à la stratégie électorale théorisée par Terra Nova qui dressait la population musulmane en cible électorale la plus prisée pour la gauche ?

Il est clair, en effet, que l’électorat musulman vote majoritairement à gauche. Dès lors, il est évident qu’une partie de la gauche fait attention aux propos qu’elle pourra tenir, pour ne pas se l’aliéner. Pour autant, ce n’est pas en soutenant des terroristes que l’on attire les voix de la population musulmane. C’est en se montrant sensible aux conditions de vie des musulmans en france et dans le monde et il s’agit-là d’une frontière qui est claire et qui peut pourtant devenir floue parfois.

Bien sûr, on peut penser que les attaques terroristes menées contre Israël – ou contre la France par le passé – étaient motivées par la participation des pays visés à des opérations militaires visant les pays musulmans. C’est une conclusion à laquelle l’électorat de gauche est souvent sensible. Ceci étant dit, on peut tout de même les juger choquantes et tout à fait injustifiées. C’est pourquoi le Parti Socialiste, comme le reste de la gauche plus modérée, condamne les assauts… mais partage, d’une certaine façon, le diagnostic de fond de la FI. 

En l’état, la gauche hors LFI envoie un message clair. Elle dit : “je ne suis pas d’accord avec ce que dit Jean-Luc Mélenchon, mais je tolère ce qu’il dit”. C’est une position qu’il est plus ou moins difficile à tenir en fonction de à qui l’on parle. 

Une récente étude, menée sur un échantillon de la population allemande, nous a permis d’apprendre que, en moyenne, les individus les plus intransigeants à l'égard des opinions politiques d’autruis appartiennent à trois catégories de population : les gens éduqués, de gauche, et riches. Ce profil correspond à l’un de ceux que l’on entend souvent dans les médias. C’est pourquoi il sera sans doute assez inconfortable de soutenir – ou de tolérer – de tels propos une fois placé face à des pairs dont l’avis diffère. En revanche, vis-à-vis d’un certain électorat, cela ne sera pas aussi problématique.

Prenons garde d’ailleurs, à ne pas penser que tous les électeurs de la NUPES partagent les positions de leurs représentants.

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