Conférence sociale ou croissance économique ? Le match de l’efficacité constatée pour les bas salaires <!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que la rencontre de Saint-Denis a conclu à l’organisation d’une conférence sur les rémunérations modestes, la CGT demande d’ores et déjà des mesures contraignantes et une hausse du SMIC au-dessus de ce qui est déjà prévu par la loi.
Alors que la rencontre de Saint-Denis a conclu à l’organisation d’une conférence sur les rémunérations modestes, la CGT demande d’ores et déjà des mesures contraignantes et une hausse du SMIC au-dessus de ce qui est déjà prévu par la loi.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Solutions

Alors que la rencontre de Saint-Denis a conclu à l’organisation d’une conférence sur les rémunérations modestes, la CGT demande d’ores et déjà des mesures contraignantes et une hausse du SMIC au-dessus de ce qui est déjà prévu par la loi. Au mépris de ce que nous enseigne notre histoire économique et sociale ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Si l’on regarde l’histoire de ces dernières décennies, est-ce que ce sont les conquêtes sociales et les Grenelles et les syndicats qui ont permis d’obtenir des avancées pour les salaires, le pouvoir d’achat et contre la pauvreté ou est-ce que c’est la croissance ?

Don Diego De La Vega : Ce sont en réalité les gains de productivité qui participent à la croissance du bien-être matériel durable. Si l’on s'intéresse à la racine de la productivité, cela est rendu possible grâce au progrès technique mais il ne descend pas du ciel. Cela est lié à une meilleure organisation du travail, à l’épargne. Cela est donc lié aux institutions et à la croissance du capital humain, à un meilleur système de formation, des investissements dans l’éducation de la part des familles, des entreprises et de l’Etat.

Tout ceci doit être mêlé dans un cadre plus large avec l’Etat de droit, le respect de la propriété et un système incitatif.

Concernant les syndicats et les combats sociaux, ils ont apporté des choses à la marge. Ils ont pu accélérer l’histoire mais cela a un certain coût. Les conquêtes sociales ambitieuses peuvent détruire des emplois ou les incitations et parfois plus que ce qui est apporté. Il s’agit de conséquences non-intentionnelles des revendications sociales. Les syndicats agissent comme une sorte de cartel sur le marché du travail.

Dans la théorie économique, lorsque vous créez un écart entre l’offre et la demande de travail, quelqu'un doit payer.

C’est pour cela que nous sommes très inquiets car il n’y a plus de gains de productivité. Toutes les avancées sociales qui sont distribuées ressemblent à des faux droits au sens de Jacques Rueff. Les créances ne comportent plus de collatéraux économiques. On distribue quelque part de la fausse monnaie. Nous arrivons à un stade où les avancées sociales ne correspondent plus nécessairement à de la justice sociale.

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Entre la conférence sociale voulue par le chef de l’Etat sur la hausse des bas salaires ou le maintien de la croissance économique, est-ce réellement la priorité par rapport à la situation macroéconomique actuelle ?

Ce n’est pas forcément la priorité effectivement. Il faut savoir qu’il y a actuellement en zone euro cinq millions de personnes de plus qui sont salariées comparativement au début de l’année 2020. Or en l’espace de cette période, il n’y a pas eu un euro d’augmentation du PIB réel de la zone euro. Nous sommes confrontés à une situation de suremploi. Depuis près de cinq ans, les gains de productivité sont nuls ou négatifs en zone euro. Dans le secteur public, le phénomène de suremploi est manifeste. Mais la situation concerne aussi le secteur privé dorénavant. Cela s’inscrit également dans un contexte avec un euro beaucoup trop cher, des taux d’intérêts trop hauts et une conjoncture qui va se dégrader très fortement dans les mois à venir au regard de la pente de la courbe des taux, des agrégats monétaires, des enquêtes de conjoncture.

Lorsque l’on est dans une situation de grande vulnérabilité et qu’il y a une situation de suremploi manifeste, il faut éviter que les gens les plus vulnérables (les jeunes et les précaires) servent de variable d’ajustement dans le cadre de cette situation, dans les 12 à 18 prochains mois où il va y avoir de lourdes conséquences. En France, le marché du travail est très hypocrite et très dual. Les CDI ne paient pas véritablement le prix du cycle économique. Tous les efforts de flexibilité reposent sur les personnes qui, dans le halo du taux de chômage et dans le halo de l’emploi, n’ont pas une position assurée.     

Plutôt que de vouloir mieux traiter 20 millions de personnes, il vaudrait mieux se focaliser sur le million de Français qui vont vraiment souffrir dans les 18 prochains mois du fait du retournement du cycle. Il est important de déployer des dispositifs plus focalisés. Il serait nécessaire de passer par une action de l’Etat auprès de ses propres salariés souvent précarisés, une action ciblée sur les plus jeunes. Des mesures sur l’intéressement et la participation seraient aussi les bienvenues que des chèques forfaitaires pour tout le monde.  

Qui aurait vraiment besoin d’une hausse de salaire ? Il va y avoir beaucoup de chômeurs dans les 18 mois qui viennent. Et que faire par ailleurs pour le halo du chômage et les plus précaires ?

Les plus précaires ne sont pas dans l’emploi ou n’y sont rattachés que marginalement en tant que saisonniers ou intermittents. Il leur faut des dispositifs de soutien spécifiques. Lorsqu’ils sont rattachés à l’Etat ou dans la para-fonction publique, je pense aux AVS, ils ont besoin de rémunérations symboliques, de plus de considération, d’être mieux traités, de ne pas être transférés du jour au lendemain dans une nouvelle école ou un autre hôpital. Cela ne concerne pas que des problèmes de salaires et cela peut faire toute la différence.

Pour ceux qui sont dans l’emploi et qui souffrent de salaires bas (qui sont les conséquences de gains de productivité inexistants), il faudra probablement revoir les règles de télétravail.

Le télétravail participe à la dérive des coûts alors qu’il avait été vendu comme un miracle afin de satisfaire les salariés et de contribuer à des gains de productivité. Or, à l’échelle agrégée, ce n’est pas le cas.

Les solutions pourraient passer par un système incitatif. Il ne sera pas possible de distribuer du faux pouvoir d’achat pour tout le monde dans une situation où les finances publiques sont très tendues, et où les taux d’intérêts sont très élevés.   

Est-ce que la montée des taux, à cause de la crainte d’une surchauffe, et le fait de monter les salaires est-il cohérent ?

Cela n’est pas du tout cohérent. La Banque centrale européenne a tenté de calmer la conjoncture. Les taux d’intérêts ont subi une hausse. Et dans le même temps, la BCE prétend lutter pour la défense du pouvoir d’achat. Or, tout cela est complètement contradictoire.

Cette contradiction n’est pas assumée. Ce ne sont pas les mêmes acteurs qui s’occupent des deux problèmes.

Il est évident que si des mesures sont prises pour le pouvoir d’achat, il faut que cela soit au même moment et dans le cadre d’une pause dans la hausse des taux d’intérêt. Idéalement, il s’agirait plutôt d’une détente monétaire puisque l’euro est très cher et que les agrégats monétaires s’effondrent.

Pour le moment, cet enjeu n’est pas abordé par Bruno Le Maire qui organise des conférences avec les responsables de la grande distribution et des industriels plutôt que de s’attacher à la cohérence de la stratégie macro-économique.

Il y a une vraie contradiction. Elle finira par être levée. Dans les mois qui viennent, la BCE aura du mal à faire croire qu’elle peut continuer à monter les taux. L’avantage de la crise est que cela clarifiera la situation. Mais nous allons entrer dans cette crise avec des marges de manœuvre budgétaires qui sont limitées. Il ne faudrait pas que cette crise soit trop longue car cela ne ferait qu’accentuer la cherté des taux d’intérêt.

Quelles seraient les solutions à apporter ? Faut-il faire de l’Incitatif et de la participation à de l’intéressement plutôt que des chèques de Bercy et des mesures contraignantes ? Ou faut-il passer par une rémunération symbolique avec une meilleure gestion RH par exemple ?

La meilleure gestion RH est une évidence, notamment pour la fonction publique et para-publique. Il y a des vrais problèmes de considération pour le personnel. L’intéressement et la participation seraient des mesures idéales pour les personnes qui sont salariées. Il faut trouver des dispositifs spécifiques pour les plus démunis. Certaines personnes sont lourdement endettées et frappées de plein fouet par la hausse des taux d’intérêt. Il faudrait réfléchir à une remise des dettes en obligeant la Banque de France à revoir ses mesures sur le surendettement. Cela pourrait éviter de futurs Gilets jaunes.

Il est nécessaire d’arrêter de tirer bêtement dans le pied des plus pauvres. Il y a un certain nombre de taxes et d’amendes qui sont très régressives.

Tant que la BCE n’aura pas été forcée à revenir à une politique de taux 0, les marges budgétaires seront extrêmement minces.    

Quid de l’Etat et de la rémunération de ses propres agents ?

L’Etat devrait balayer devant sa porte avant de réformer le secteur privé. L’Etat est un très mauvais employeur, un très mauvais manager. Cela est typique des années Macron. L’exécutif explique au secteur privé comment s’organiser alors que la réforme de l’Etat n’a toujours pas été menée.

Les collectivités locales ont aussi un rôle à jouer via la flexibilité, via l’expérimentation. Les problèmes qui sont devant nous sont macroéconomiques (comme les taux d’intérêt et les taux de change). Des SMIC régionaux, qui ne seront pas déployés, casseraient l’unité jacobine du pays. Il est possible d’avoir des politiques sociales différenciées entre les métropoles régionales, la campagne et Paris.

Pourquoi pas une remise de dettes ciblée pour les plus fragiles ?

Le problème est qu’il faut arriver à convaincre la Banque de France pour cette mesure. Le pouvoir, au sein des institutions, a été confié à des personnes inamovibles et pas toujours compétentes. Cela doit être revu. Cela nécessite du courage et de la détermination. Ce verrou doit être levé.

La Banque de France pourrait organiser une sorte d’indulgence pour un grand nombre de dossiers de surendettement et de mettre une partie de cela dans ses comptes.

Avec quelques milliards d’euros, les situations désespérantes et désespérées de dizaines de milliers de ménages pourraient être transformées et réglées. L’Allemagne a procédé ainsi au sein de la Bundesbank pour les créances douteuses des banques régionales pour une somme de 600 milliards d’euros afin de sauver quelques opérateurs régionaux qui avaient trop joué avec les subprimes américains.

Nous devons pouvoir le faire pour des individus qui sont en situation désespérée et dans des spirales insensées où la dette nourrit la dette. Cela pourrait coûter 4 à 5 milliards d’euros à la France. Cela n’est ni hétérodoxe, ni insensé. Cela serait une politique sociale relativement intelligente. Je l’avais proposé pendant la période des rassemblements des Gilets jaunes. La distribution de 30 milliards dans le vide me semblait vaine. Il n’y avait pas de cohérence.

Il serait nécessaire en revanche d’agir de manière plus ciblée sur les gens qui sont vraiment en détresse et endettés. La hausse des taux a aggravé leur situation. Il est primordial de venir en aide aux agriculteurs, aux jeunes, aux personnes qui vivent dans une région avec un faible tissu industriel ou qui sont surendettées.

Au regard des dépenses publiques de la France et vu qu’il y a toujours des problèmes sociaux importants alors que l’on dépense 56 % du PIB chaque année en dépenses publiques, il va falloir s’intéresser à des dispositifs plus spécifiques, à des expériences étrangères couronnées de succès.

Il va falloir un jour faire l’EITC, l’impôt négatif, ce que les Américains font depuis 50 ans. Ou cela passera par une forme d’allocation universelle. Cela risque de ne pas se substituer à d’autres mesures sociales éparses. Il faudrait proposer de l’intéressement et de la participation pour ceux qui sont employés dans le secteur privé, des mesures symboliques et de la câlinothérapie mais qui comptent et enfin des dispositifs ciblés pour les plus précaires, ceux qui ne sont pas vraiment dans l’emploi ainsi que les remises de dette. Tout cela doit être fait mais à condition que la Banque centrale arrête de monter les taux car sinon cela sera totalement vain. 

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