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Comment les progrès technologiques peuvent détruire la structure familiale
©Reuters

Bonnes feuilles

Qu’est-ce qu’une famille ? Autrefois, la réponse allait tellement d’elle-même que la question ne se posait pas. Aujourd’hui, avec la réalité du «mariage pour tous », la popularisation des théories du genre, la relativisaiton de modèles, la figure de la famille est bouleversée. Extrait de "Qu’est-ce qu’une famille ?", de Fabrice Hadjadj, aux éditions Salvator (2/2).

Fabrice  Hadjadj

Fabrice Hadjadj

Essayiste et dramaturge, Fabrice Hadjadj dirige Philanthropos (Institut européen d’études anthropologiques à Fribourg en Suisse). Il collabore aussi au Figaro littéraire et à Art press, ainsi qu’à Panorama et à Prier.

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Que serait avec des tablettes le fameux Coin de table d’Henri-Fantin Latour ? Dans ce tableau paraît la compagnie littéraire d’un soir, avec entre autres Rimbaud, la tête dans sa main, accoudé, rêveur (son portrait le plus célèbre), Verlaine adossé, les doigts de sa droite rassemblés au pied d’un verre de cristal, Ernest d’Hervilly, la pipe en suspens et le livre entrouvert, tous autour d’une carafe de vin, d’une tasse de thé, d’une orange ouverte et d’un grand bouquet de ß eurs. Que seraient-ils devant leur écran ou autour d’un iPad converti en jeu de société ? Quelle scène aurait donné un e-bar ou un internet-café ? Mais il est probable qu’ils eussent été chacun chez soi – avec plus de processeurs et moins de poésie – impossibles à représenter dans le même cadre ; sauf à ce que la toile elle-même devienne écran et se splite en plusieurs « fenêtres »…

S’agissant de la famille, nous avons essayé de penser comment la substitution des tablettes à la table la faisait éclater dans l’oeuf. Cet essai n’a pas d’autre but que de réajuster notre regard et de nous garder d’accusations faciles comme de défenses malavisées. Ce qui de nos jours défait le tissu familial, ce qui même, selon Anders, lui interdit de se tramer, c’est moins un militantisme idéologique qu’un état de fait technologique. Aveugle serait celui qui se contenterait d’opposer une intelligence du sexe à une théorie du genre, ou de spéculer sur les valeurs traditionnelles à la bourse des valeurs françaises. La « crise » est plus radicale que nous ne voulons bien l’admettre (au point que le mot « crise » peut sembler un euphémisme trompeur). Elle nous engage à « prendre le risque d’une réflexion extrême1 ». Désormais nous ne manquons pas de morale, mais de moeurs. Nous ne sommes pas en déficit d’idées, mais de présence. Il ne s’agit plus de devenir meilleur, mais de rester simplement humain.

De ce point de vue, ceux qui se rangent sous l’acronyme lui-même techniciste et dépulpé des « LGBT » sont des victimes autant que nous, et ont même cette supériorité de présenter des symptômes plus déclarés. Le danger n’est pas du tout du côté des « homos », comme on dit. Il y eut des « homos » dans les meilleures familles (au Vatican, par exemple). Mais ces « homos » cultivaient leur singularité, ne contestaient pas la famille naturelle, ne luttaient pas pour leur propre normalisation. Sappho chante les noces d’Hector et Andromaque. Et Proust, malgré qu’on en ait, narre les amours de Marcel et d’Albertine (non d’Albert), cherche à rendre une lesbienne à l’hétéronomie (non à faire l’éloge de l’homosexualité) et, par-dessus tout, porte son attention sur des tables, celle des Verdurin, celle des Guermantes, mais avant tout la table familiale de Combray ou de Paris.

Qu’est-ce qui a pu changer à ce point la donne ? Pourquoi les rebelles d’hier sont-ils les robots d’aujourd’hui ? Pourquoi l’inverti est-il devenu un gay ? Pourquoi le catholique est-il devenu un catho ? La réponse est simple : Macintosh ne désigne plus un imperméable ni un clan écossais. Et quand on nous dit PC, nous ne songeons même plus au Parti Communiste. Nous sommes pris au Net. Nous avons été googlelisés. Le virtuel domine sur le charnel, si bien que la donne de nos corps est redistribuée d’après les cartes graphiques. Nous procédons par « proÞ ls » et par « préférences », oublieux de la faim qui nous unit, de la famille qui nous fonde. Nous ne savons plus rassembler les générations autour d’un repas. Qui peut encore hériter avec joie de la vieille table d’un bisaïeul ? Nous courons plutôt à la boutique Apple nous procurer la dernière tablette à l’obsolescence programmée.

Extrait de "Qu’est-ce qu’une famille ?", de Fabrice Hadjadj, aux éditions Salvator, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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