Comment les interrogations sur les origines du Covid-19 et sur l’éventualité d’une fuite d’un laboratoire ont été discréditées et assimilées à la théorie du complot<!-- --> | Atlantico.fr
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La virologue chinoise Shi Zhengli à l'intérieur du laboratoire P4 à Wuhan, le 23 février 2017.
La virologue chinoise Shi Zhengli à l'intérieur du laboratoire P4 à Wuhan, le 23 février 2017.
©Johannes EISELE / AFP

Bonnes feuilles

Brice Perrier a publié « Sars-CoV-2, aux origines du mal » aux éditions Belin. Que s'est-il réellement passé ? D'où vient le virus du Covid-19 ? Le journaliste Brice Perrier décide de mener l'enquête. En passant au tamis les publications scientifiques et en interrogeant tous les protagonistes, il explore un à un chaque scénario. Sans tabous. Extrait 2/2.

Brice Perrier

Brice Perrier

Brice Perrier est auteur et journaliste indépendant. Il collabore notamment à l'hebdomadaire Marianne où il traite en particulier de sujets scientifiques.

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Pour comprendre quelle direction est privilégiée dans la recherche de l’origine de Sars-CoV-2, j’ai besoin d’avis d’experts, et je multiplie donc les entretiens. Ce qui m’amène à appeler Branka Horvat au Centre international de recherche en infectiologie de l’Inserm, à Lyon. Cette immunovirologue est une spécialiste du virus Nipah et collabore régulièrement avec des chercheurs chinois. Elle s’est ainsi rendue à plusieurs reprises à Wuhan et doit bien avoir une idée des pistes à explorer pour trouver d’où vient le virus apparu dans cette ville. Au téléphone, elle va me faire comme une confidence, assez révélatrice. Nous discutons depuis quelques minutes et je viens de l’interroger sur les recherches qui pourraient être menées, quand elle me lâche soudain : « Je ne crois pas du tout dans la théorie du complot. » Et la voilà qui enchaîne sur une piste que je n’ai pas évoquée : celle d’une fuite accidentelle de laboratoire. « Donald Trump en a d’ailleurs accusé Zhengli Shi, comme il a dit beaucoup d’autres bêtises », ajoute-t-elle. De toute façon, selon cette directrice de recherche, « l’origine de ce coronavirus est très claire », à savoir les chauves-souris, avec peut-être un hôte intermédiaire. Il serait donc grotesque d’envisager une option accidentelle, cataloguée « complotiste » par Branka Horvat comme par nombre de scientifiques, qui n’ont même pas eu besoin que l’ex-président des États-Unis s’en empare pour disqualifier cette possibilité.

Le 19 février 2020, ils sont 27 à signer dans The Lancet une tribune dans laquelle ils « condamnent fermement les théories du complot suggérant que le Covid-19 n’a pas d’origine naturelle ». C’est en fait une déclaration de soutien aux scientifiques chinois, dont on salue au passage la rapidité dans l’identification du pathogène et la mise en place de mesures pour réduire son impact, avec un « partage rapide, ouvert et transparent des données sur cette épidémie » qui serait « maintenant menacé par des rumeurs et des informations erronées autour de ses origines ». S’appuyant sur différents articles dont la référence Andersen qui vient d’être prépubliée, ces auteurs notent que des scientifiques du monde entier ont livré des analyses de génomes qui « concluent à une écrasante majorité que ce coronavirus provient de la faune sauvage comme tant d’autres pathogènes émergents ». Envisager autre chose relèverait donc forcément de théories conspirationnistes, lesquelles ne font rien d’autre « que créer de la peur, des rumeurs et des préjugés qui mettent en péril notre collaboration mondiale dans la lutte contre ce virus ». L’idée d’une fuite accidentelle d’un coronavirus résultant de recherches en laboratoire est donc très vite assimilée, par principe, à un dangereux raisonnement complotiste. Voilà le message qu’envoient ces scientifiques de huit pays à la communauté internationale, invitant chacun à approuver ce texte qui devient une pétition et recueillera plus de 20 000 signatures. Sans que l’on ne sache qui en est à l’origine.

Si l’article du Lancet présente comme premier auteur et correspondant Charles Calisher, professeur émérite de l’université du Colorado, il a, en fait, été écrit par Peter Daszak, président d’Eco Health Alliance. Le 6 février, alors que Botao Xiao vient de poster son article sur la possibilité que le virus soit sorti d’un laboratoire de Wuhan, Daszak joint un texte, quasi identique à la tribune qui sera publiée par le Lancet, à un e- mail dans lequel il dénonce des « rumeurs, désinformation et théories du complot » qui « ciblent désormais spécifiquement les scientifiques avec lesquels nous collaborons depuis de nombreuses années ». Le message est envoyé à six microbiologistes de haut niveau à qui il est proposé d’être les premiers signataires. Des échanges s’ensuivent. Ainsi, la virologue américaine Linda Saif demande s’il ne faudrait pas expliquer « pourquoi le nCov n’est pas un virus généré en laboratoire et s’est produit naturellement », ce qui lui paraît important « pour réfuter scientifiquement de telles affirmations ». Daszak lui répond qu’il vaut mieux s’en « tenir à une déclaration générale », avant de signaler que celle-ci « ne comportera pas le logo EcoHealth Alliance et ne sera pas identifiable comme provenant d’une organisation ou d’une personne en particulier ». Puis il ajoutera dans un autre message qu’il s’agit « d’éviter l’apparence d’une déclaration politique » avec « une lettre de scientifiques renommés ». Ces détails ont été révélés par l’association américaine US Right to Know (USRTK) qui a pu récupérer la correspondance électronique de Peter Daszak et d’Eco Health Alliance pour la rendre publique, en usant du droit américain à l’accès aux données. Cet homme, qui a publié une vingtaine d’études avec l’Institut de virologie de Wuhan dont il contribue au financement grâce à des fonds publics américains, a donc orchestré la déclaration qui va enterrer l’hypothèse de l’accident de laboratoire en tant que théorie du complot. Bien que la tribune parue dans le Lancet affirme qu’aucun de ses auteurs n’a de conflit d’intérêts, celui de son initiateur, il est vrai noyé dans la masse des 27 signataires, est pourtant manifeste puisqu’il est le collaborateur régulier d’un laboratoire de Wuhan spécialisé dans les coronavirus. Cela n’empêchera pas cette déclaration, qui décrit la Chine comme un modèle de transparence, de donner le cap à suivre.

La presse ne tarde pas à relayer l’appel de la grande revue médicale, un peu partout dans le monde. En Inde, par exemple, The Indu publie le 20 février un article qui mêle la prépublication retirée de Botao Xiao aux théories du complot dénoncées par les scientifiques du Lancet. Supposer une fuite d’un laboratoire comme l’a fait le chercheur chinois est conspirationniste. En France, Le Parisien titre le même jour que « deux labos de Wuhan se retrouvent au cœur des théories du complot », évoquant là encore l’article de Botao Xiao. « Les scientifiques s’insurgent contre les rumeurs sur l’origine de l’épidémie », annonce quant à lui Courrier International. « L’origine du coronavirus responsable de l’épidémie de Covid-19 fait l’objet de théories complotistes », alerte ainsi le magazine en soulignant que « des chercheurs du monde entier montent au créneau ».

Peter Daszak peut être satisfait. Dans les médias comme dans la communauté scientifique, tous lui emboîtent le pas. Le 31 mars, Le Monde, dans un article de la rubrique des décodeurs intitulé « L’étrange obsession d’un virus créé en laboratoire », explique en substance que poser la question d’une origine accidentelle est en soi psychologiquement pathologique. « Alors que la communauté scientifique n’a jamais paru autant mobilisée et sa production aussi scrutée, une partie importante de l’opinion publique rejette ses conclusions », s’inquiète le quotidien en présentant un sondage selon lequel 26 % des Français croient que Sars-CoV-2 a été créé par l’Homme. Il a été réalisé par l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch, l’Observatoire du conspirationnisme dont le fondateur, Rudy Reichstadt, le grand professionnel de la lutte anti- complotisme, se désespère « d’un profond analphabétisme » dans « une importante partie de la population [qui] n’a aucune conscience de son incompétence ». Car « le virus qui circule actuellement a été séquencé de partout. On sait qu’il est sauvage, qu’il n’a pas été créé en laboratoire », assure l’autre expert appelé à la rescousse, Guy Gorochov, responsable du centre d’immunologie et des maladies infectieuses de l’Inserm pour qui « il n’y a pas de discussion possible ». Certes, l’article note que des virus sont créés en laboratoire, y compris par des scientifiques de Wuhan, mais celui- ci s’avérerait sans ambiguïté d’origine naturelle, et le voir serait « à la portée de n’importe quel biologiste moléculaire », soutient Guy Gorochov. Cela relève même selon lui d’un « travail d’étudiant » tant il est évident que Sars- CoV-2 « n’est pas un virus bricolé ». Car quand c’est le cas, « ça saute aux yeux », certifie le spécialiste au Monde. Quand je l’appelle huit mois plus tard, l’immunologiste de l’Inserm reconnaît pourtant que « l’on sait introduire des mutations dirigées impossibles à distinguer, et ce virus pourrait avoir été fabriqué par l’Homme. Mais en disant cela on n’est pas plus avancé ». Au moins, on ne diffuse pas une contrevérité, mais l’essentiel ne semble pas là pour Guy Gorochov qui fi nit par livrer le fond de sa pensée : « Tout cela est possible, mais improbable pour des raisons de bon sens, d’éthique et d’intérêt scientifique. Il est plus intéressant de voir des virus qui évoluent naturellement. » On ne peut que respecter cet attrait pour une nature évolutive pleine de surprises, sauf que la démarche scientifique n’est pas censée vous permettre d’écarter ce qui ne rentre pas dans votre intérêt…

Assimiler l’hypothèse d’une fuite de laboratoire à un fantasme complotiste a ceci de confortable que cela permet de ne pas avoir à reconnaître que de telles fuites peuvent survenir, et même assez fréquemment. En février 2019, un article du Bulletin of the atomic scientists signalait ce risque important dans les laboratoires de haute sécurité P3 et P4, particulièrement avec un virus de type grippe aviaire hautement pathogène créé expérimentalement et transmissible dans l’air via les mammifères, comme ceux conçus au début des années 2010 qui provoquèrent une mise en accusation de ce genre d’expérimentation, sur laquelle je reviendrai. Au moins quatorze laboratoires, principalement en Asie, mènent désormais ce genre de recherche, indique l’auteur, Lynn Klotz. Ce spécialiste des questions de biosécurité note dans son article que l’erreur humaine est « la principale cause des expositions potentielles des travailleurs de laboratoire aux agents pathogènes ». Analysant les données du Federal Select Agent Program (FSAP), qui permet à plusieurs agences sanitaires américaines de superviser l’utilisation et le transfert d’agents biologiques dangereux, il relève que ce dispositif gouvernemental a recensé 749 rapports d’incident entre 2009 et 2015. Il peut s’agir de piqûres d’aiguille ou de déversements d’agents pathogènes, de morsures d’animaux infectés, de non- respect de procédure de sécurité, d’incompétence ou de matériel défectueux. L’article donne ensuite une idée de la probabilité que la libération d’un seul virus de type grippe aviaire hautement pathogène transmissible dans l’air provoque une pandémie : 5 à 15 % selon une simulation publiée en 2013 dans la revue BMC Medicine, et 20 % selon l’épidémiologiste d’Harvard Marc Lipsitch, avec une approche purement mathématique.

Bref, les fuites, ça arrive, et Sars-CoV, le virus du Sras, s’est d’ailleurs échappé à au moins quatre reprises de laboratoires où on l’étudiait. Des accidents documentés, survenus à Singapour et à Taïwan en 2003, puis deux fois l’année suivante à Pékin engendrant des infections et un mort. Cela n’a heureusement pas déclenché de départ d’épidémie car la chaîne de transmission a pu être prestement rompue avec un virus plus facile à contrôler que son successeur. Mais une pandémie a déjà eu pour origine un laboratoire, celle de la grippe H1N1 de 1977, dont le virus a d’abord été détecté en mai en Chine, puis déclaré en novembre à l’OMS par l’Union Soviétique. Dès 1978, des chercheurs ont découvert que ce virus était génétiquement similaire à celui d’une grippe H1N1 qui avait cessé de circuler depuis les années 1950. Mais il a fallu attendre la fin des années 2000 pour que la communauté scientifique admette que ce virus avait été conservé dans un congélateur de laboratoire ayant stoppé son processus de mutation, avant de réapparaître. Peut- être dans le cadre d’un essai de vaccin, ou par une fuite accidentelle. Le débat n’est pas encore tranché, mais il semble acquis que cette épidémie de grippe a bien résulté d’une erreur de manipulation d’un virus au profil d’Hibernatus.

Maureen Miller est l’épidémiologiste à l’origine de la très intéressante étude sur les populations du Yunnan à laquelle faisait allusion Étienne Decroly dans notre précédent chapitre. Un travail réalisé avec Peter Daszak et Zhengli Shi qu’elle a su convaincre de l’intérêt d’effectuer des tests d’anticorps de virus de type Sars dans des communautés humaines vivant à proximité des chauves-souris, dont une partie significative s’est révélée positive, attestant d’une contamination possible sans que cela ne provoque d’épidémie. Alors que je discute avec cette scientifique new- yorkaise sur la possibilité d’une fuite de virus à Wuhan, elle me répond tout de go : « Les théories du complot empêchent les gens de regarder le plus probable et limitent la recherche dans d’autres directions. » Sa réflexion m’interpelle. J’ai maintenant l’habitude que l’on qualifie ainsi l’hypothèse de l’accident de laboratoire, mais y voir aussi un frein à la recherche est étonnant, sachant que cette hypothèse a été très largement écartée par la communauté scientifique. Elle ne doit guère empêcher les chercheurs d’explorer chaque piste zoonotique, et il me semble que c’est plutôt en assimilant l’idée d’une fuite à du complotisme qu’on limite la recherche, car on exclut alors d’office une possibilité que suggère pourtant le lieu d’émergence du Covid-19. Elle vient en tous les cas immédiatement à l’esprit de Jean- Michel Claverie, codécouvreur en 2003 du premier virus géant, dont je sollicite également l’avis. « Si une épidémie de rage survenait à Paris dans le quartier de l’Institut Pasteur, qu’en penserait- on ?, interroge l’illustre virologue. Or l’institut de Wuhan est responsable d’un tiers des publications sur les coronavirus et spécialisé dans ceux des chauves- souris qui pourraient être dangereux, comme le mentionnait son financement américain par les NIH. Quand on récupère comme eux des agents pathogènes dans la nature, il est très possible qu’un technicien s’infecte de manière accidentelle, aussi bien en le collectant sur le terrain que sur une paillasse de laboratoire, ce qui arrive souvent. Et comme beaucoup de personnes infectées par Sars- CoV-2 sont asymptomatiques, il aurait pu le transmettre autour de lui sans que l’on s’en rende compte. »

Il est en fait tout sauf logique de considérer comme purement complotiste cette possibilité alors que l’épidémie a démarré à Wuhan, estime également Rodolphe de Maistre, un ingénieur directeur de projet qui a l’expérience des risques industriels et connaît bien la Chine où il a étudié et travaillé pendant six ans. Logiquement, de Maistre a commencé à regarder les recherches qui se menaient dans la capitale du Hubei. « Je me suis aperçu qu’il n’y avait pas un mais six laboratoires de haute sécurité de niveau 3, dont au moins trois étudient les coronavirus, à la vue de leurs publications, me rapporte- t-il. En ajoutant à cela un P4 et le P2 du CDC situé près du marché, on peut se questionner sur l’origine de cette épidémie. » En quête d’informations sur Internet, Rodolphe entre en contact au printemps 2020 avec Gilles Demaneuf, ingénieur centralien comme lui curieux de savoir ce qui a pu se passer, et habitué à manier les mathématiques pour mesurer le risque car il travaille dans la finance. « J’étais horripilé d’entendre les premiers scientifiques qui se sont prononcés sur l’origine argumenter que si le virus pouvait être d’origine naturelle, il l’était forcément : un raisonnement tout sauf scientifique, me confi e ce dernier. Des gens comme Peter Daszak et Kristian Andersen semblaient n’avoir aucune notion des lois de la probabilité. Ils soutenaient qu’une telle épidémie avait beaucoup plus de chance de résulter d’un événement zoonotique, comme le Sras quinze ans plus tôt, que d’un accident de laboratoire. Évidemment, c’est sans doute correct pour la Chine en général, mais ils n’incluaient pas Wuhan dans l’équation, alors qu’il est exceptionnel qu’une épidémie de coronavirus démarre dans une ville où on les étudie autant. »

Voulant en avoir le cœur net, les deux hommes se lancent dans une étude statistique qui inclut ce paramètre incontournable en utilisant la méthode bayésienne qui permet de calculer la probabilité d’un événement en fonction de l’information disponible. Ils s’appuient notamment sur les travaux de Lynn Klotz et de Marc Lipsitch, et en arrivent à estimer que la probabilité d’une épidémie suite à la fuite de laboratoire d’un virus collecté dans la nature, comparée à celle d’un événement purement zoonotique, n’est pas négligeable dans une large gamme de scénarios probabilistes. Par exemple, un scénario de référence part du fait que si une épidémie survient en Chine tous les dix ans, la chance qu’elle démarre à Wuhan, une ville dont la population est 100 fois moindre, sera ramenée à une fréquence probable d’une fois tous les mille ans. Ensuite, la documentation et les études publiées permettent d’établir une fréquence de 0,2 à 0,6 % par an pour une fuite de laboratoire. De Maistre et Demaneuf l’estiment à 0,2 % pour Wuhan en intégrant dans leur calcul seulement trois P3, le P4 et les P2 n’étant pas comptabilisés dans une logique de prudence conduisant plutôt à minorer le risque. Mais en associant ce risque à une possibilité de 20 % que cela tourne à la pandémie, ils obtiennent une fréquence probable d’un événement tous les 833 ans. Ce qui les conduit à une probabilité relative de 55 % pour le laboratoire et de 45 % pour la zoonose. Même dans leur scénario le plus prudent, ils arrivent à un résultat de 6 % pour l’hypothèse du laboratoire, effectivement non négligeable.

L’une des qualités de l’étude des deux ingénieurs est l’utilisation de publications chinoises et de déclarations d’autorités locales, comme celle de Yang Zhanqiu, directeur adjoint du département de biologie des pathogènes de l’université de Wuhan, au journal Global Time, quasi organe officiel du Gouvernement. « Les laboratoires en Chine n’ont pas accordé une attention suffi sante à l’élimination biologique » déplore, le 16 février 2020, le scientifi que qui indique que « certains chercheurs rejettent des matériaux de laboratoire dans les égouts après des expériences sans mécanisme d’élimination biologique spécifique ». Rappelant que « les déchets de laboratoire peuvent contenir des virus, des bactéries ou des microbes artificiels ayant un impact potentiellement mortel sur les êtres humains, les animaux ou les plantes », Global Time annonce alors que « le ministère de la Science et de la Technologie a publié de nouvelles règles […] qui pourraient résoudre les problèmes de gestion insuffisants chroniques », et que « le personnel médical et les experts demandent depuis longtemps une meilleure réglementation et une meilleure supervision des instituts de recherche biologique en Chine, mais avec des résultats mitigés ».

« Antidote à l’absurdité de la déclaration du Lancet, l’étude de Demaneuf et de Maistre est un travail très solide qui mériterait d’être publié dans une revue scientifique comme Nature ou Science », considère Milton Leitenberg, chercheur associé au Center for International and Security Studies de l’université du Maryland. Après avoir échangé avec Gilles Demaneuf et fait lire son article à des collègues spécialistes des questions de biosécurité, il l’a incité à le publier. Ne sachant trop à quelle revue s’adresser étant donné la nature assez hybride de leur sujet d’étude, les deux Français se sont contentés d’une prépublication postée le 26 septembre 2020 sur Zenodo, la plateforme de répertoire des travaux de recherche créée et hébergée par le Cern. Mais cette étude s’intègre surtout dans la production affiliée à un collectif international de chercheurs particulièrement actif : Drastic, dont le porte-parole m’a en fait permis d’entrer en contact avec Gilles Demaneuf et Rodolphe de Maistre, les deux membres français du groupe.

Un professeur émérite de neurosciences travaillant encore régulièrement en Chine, et s’intéressant comme eux à l’origine de Sars-CoV-2, avait en effet invité les deux ingénieurs à le rejoindre dans ce groupe informel présent sur Twitter. Drastic, pour Decentralised Radical Autonomous Search Team Investigating Covid-19, est comme une cellule virtuelle de recherche sur les origines du virus, dénommée ainsi par Billy Bostickson, qui a aussi le rôle de porte-parole. Drastic rassemble une vingtaine de chercheurs, avec des scientifiques professionnels et des amateurs assez éclairés. Certains sont anonymes et apparaissent sous pseudo, d’autres s’affichent sous leur véritable nom, mais tous sont présents sur Twitter où ils postent de l’information et peuvent échanger entre eux via un groupe privé. On y trouve notamment Dan Sirotkin qui fait office de précurseur car il fut le premier à se manifester sur la Toile dès le mois de janvier 2020, ou Rossana Segreto, la biologiste de l’université d’Innsbruck qui repéra que le virus RaTG13 était déjà apparu dans une publication de Zhengli Shi mais sous un autre nom.

Derrière ses allures militantes de collectif d’activistes de la Toile, Drastic a fait avancer la recherche sur les origines de Sars- CoV-2 en dévoilant des éléments essentiels et en posant des questions qui dérangent. Par exemple : « Considérer une origine de manipulation génétique pour le Sars- CoV-2 est- il une théorie du complot qui doit être censurée ? » C’est le titre d’un article d’avril 2020 de Rossana Segreto et Yuri Deigin, un Russe entrepreneur en biotechnologie au Canada, qui démontre que le postulat adopté depuis les affirmations d’Andersen ne tient pas car « des analyses génomiques comparatives ont montré que le Sars-CoV-2 est susceptible d’être chimérique, la plupart de sa séquence étant très proche du CoV détecté chez une chauve- souris, alors que son domaine de liaison au récepteur est presque identique à celui du CoV obtenu à partir de pangolins ». Les deux membres de Drastic rappellent que « les virus chimériques peuvent être le produit d’une recombinaison naturelle ou d’une manipulation génétique », et que « les chercheurs ont la responsabilité de mener une analyse approfondie, au- delà de tout intérêt personnel de recherche, de toutes les causes possibles de l’émergence du Sars-CoV-2 pour empêcher que cela ne se produise à l’avenir ». Du b.a.-ba scientifique, mais l’article mettra plus de six mois à trouver une revue qui l’accepte dans une version plus détaillée, agrémentée d’un rappel des différents types de fuites de laboratoire ayant déjà pu survenir. Avec aussi un titre moins provocateur : « La structure génétique du Sars-CoV-2 n’exclut pas une origine de laboratoire », publié en novembre 2020 dans BioEssays.

Une autre publication émanant du groupe Drastic a eu un impact plus fort. Paru en octobre 2020 dans Frontiers in Public Health, cet article écrit par un couple de biologistes indiens, Monali Rahalkar et Raul Bahulikar, est consacré à ces hommes qui ont contracté en 2012 une pneumonie sévère après avoir passé des jours à cureter les galeries pleines de guano de chauves- souris d’une mine désaffectée du canton de Mojiang, dans la province du Yunnan. Une histoire qui pourrait « fournir des indices importants sur l’origine du Sars-CoV-2 », annonce le titre. Rappelez- vous, il s’agit de cette mine dans laquelle a été trouvé RaTG13, le virus le plus proche génétiquement de Sars-CoV-2 dont une partie du génome avait été publié en 2016 sous le nom de BtCoV4991. Le cas des mineurs tombés mystérieusement malades, et tous hospitalisés, avait déjà été relaté en 2014 dans la revue Science pour évoquer la découverte d’un nouveau paramyxo-virus, un virus d’une autre famille que les coronavirus retrouvés sur des rats vivant dans la mine. Trois des mineurs étant décédés à l’hôpital, le journal s’interrogeait sur la possible découverte d’un nouveau virus tueur, mais aucune relation n’avait pu être établie avec le mal qui frappa ces hommes. La mine était en revanche devenue un terrain de collecte, notamment pour l’équipe de Zhengli Shi qui y chercha et y trouva des virus de chauves-souris.

En mai 2020, après avoir appris que RaTG13 était en fait BtCoV4991, qui provenait de cette mine où des hommes avaient contracté une pneumonie atypique, Monali Rahalkar et Raul Bahulikar prépublient un article sur cette identité et cette provenance tue par Zhengli Shi. De quoi chercher à en savoir plus sur ces virus. Un membre anonyme de Drastic, dont le compte Twitter est The Seeker, fait alors parvenir à Monali Rahalkar une trouvaille qu’il a diffusée ce printemps sur le réseau social : un mémoire de master de médecine, dégoté sur le site officiel des mémoires universitaires chinois et consacré aux cas cliniques des mineurs. Son auteur, un étudiant nommé Li Xu, donne le détail de leurs symptômes, similaires à ceux des cas graves du Covid-19 : une atteinte bilatérale des poumons avec des opacités en verre dépoli (nodules dont l’apparence évoque ce type de verre), des complications vasculaires, comme la thrombose, et des infections secondaires. Le mémoire indique que les deux patients les plus lourdement atteints étaient suivis à distance par le docteur Zhong Nanshan, le grand spécialiste chinois des maladies respiratoires et des coronavirus, conseiller national pour l’épidémie de Sras comme pour celle de Covid-19.

A lire aussi : Aux origines du Covid-19 : alerte à Wuhan face à la menace du Sars-CoV-2

Extrait du livre de Brice Perrier, « Sars-CoV-2, aux origines du mal », publié aux éditions Belin

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