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Comment les efforts menés pour la transparence de la vie publique ont permis de mettre fin au culte du secret sur le patrimoine, le statut et le coût des anciens présidents de la République
©CHARLES PLATIAU / POOL / AFP

Bonnes feuilles

René Dosière publie "Frais de Palais : la vérité sur les dépenses de l’Elysée" aux éditions de l’Observatoire. L’auteur dévoile les secrets des dépenses présidentielles. Extrait 2/2.

René Dosière

René Dosière

René Dosière est ancien député de l'Aisne. Il est connu pour ses travaux scrupuleux sur le train de vie de l'État et la transparence de la gestion publique. Il préside l'Observatoire de l'éthique publique qui associe universitaires et parlementaires. Il est l'auteur, notamment, de L'Argent caché de l'Élysée et d'Argent, morale et politique.

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Silencieuse sur le traitement du chef de l’État (jusqu’en 2007), la République bienveillante s’était penchée sur son sort de retraité. Une loi de 1955 précise qu’« il est attribué aux anciens présidents de la République française une dotation annuelle d’un montant égal à celui du traitement indiciaire brut d’un conseiller d’État en service ordinaire » (soit un montant actualisé de 6 225 euros brut) ; particularité de cette « dotation » : elle est indépendante de l’âge de l’intéressé et de la durée de ses fonctions. 

Depuis que la loi – ou plus précisément le décret – fixe le traitement du président de la République (15 142 euros en brut, soit 13 885 euros net au 1er janvier 2019), cette disposition est devenue inadaptée. Il conviendrait, désormais, de fixer le montant de la pension de retraite en proportion du traitement d’activité. Son urgence n’apparaît pas, car en faisant des anciens présidents de la République des membres de droit et à vie du Conseil constitutionnel, la Constitution de 1958 a permis d’améliorer leur situation financière à hauteur de 14 500 euros brut mensuels, rémunération perçue par les membres du Conseil. Aujourd’hui, seul parmi les anciens présidents, Valéry Giscard d’Estaing siège épisodiquement au Conseil constitutionnel. Jacques Chirac, du fait de son état de santé, a renoncé à siéger en mars 2011, mais demeure membre de droit ; à sa demande, sa rémunération a été suspendue. Cette décision sera la cause d’une fâcherie entre son épouse et Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel, comme ce dernier le raconte.

Au milieu du grand escalier, Sarkozy s’arrête et me dit : « J’ai vu Bernadette, elle est furieuse contre la décision de ne plus rémunérer Chirac. Tu devrais lui rétablir son traitement. Il suffit que tu lui montres le projet de la décision en allant à son bureau, avant de délibérer et de dire, après, qu’il a participé à la séance. »

Bien entendu, une telle proposition – émise par un ancien président de la République ! – choque profondément le grand républicain qu’est Jean-Louis Debré, qui répond sèchement : « Ce serait impensable. Il ne peut plus venir siéger, par conséquent il n’est plus payé. Cette décision, je l’ai prise avec son accord et dans son intérêt. » Quant à Nicolas Sarkozy, il ne siège plus depuis juillet 2013, quand le Conseil a annulé ses comptes de campagne. En colère, il avait alors annoncé publiquement qu’il « démissionnait », ce qui n’a aucun sens juridique pour un membre de droit. Estimant que Jean-Louis Debré était responsable de cette décision collective, il n’a plus mis les pieds rue Montpensier, au siège du Conseil. Mais sa qualité de membre de droit lui permet de siéger s’il le souhaite maintenant que le mandat de Jean-Louis Debré a pris fin. De son côté, François Hollande, hostile à la présence des anciens présidents, n’est pas parvenu à faire modifier la Constitution sur ce point et a indiqué qu’en tout état de cause il ne siégerait pas.

Le patrimoine du Président

À son départ de l’Élysée, comme à son arrivée, l’ancien président doit satisfaire à une obligation légale depuis 1988 : rendre publique sa déclaration de patrimoine, ce qui permet au citoyen de constater que durant son mandat le Président ne s’enrichit pas. En consultant ces déclarations, j’ai constaté un certain flou, en particulier dans l’estimation de la valeur des biens immobiliers ; en outre, l’absence de contrôle de leur contenu m’a conduit à douter de leur exhaustivité. En 1988, la déclaration de patrimoine de François Mitterrand repose sur la valeur d’acquisition de ses biens dont certaines remontent à plusieurs dizaines d’années, comme la maison de Latché, acquise en 1965 pour 4 500 francs (900 euros), car elle était en très mauvais état ; comme le dit un conseiller d’État : « Il n’y avait aucun moyen de savoir combien valaient réellement ses biens 1. » Sept ans plus tard, la valeur déclarée est de 224 000 euros. Après ses douze ans de mandat, le patrimoine de Jacques Chirac avait diminué, et la déclaration ne comportait aucune trace des divers traitements perçus (environ 3 millions d’euros) alors que durant son mandat toutes ses dépenses privées étaient prises en charge par le budget présidentiel. 

En 2012, la déclaration de Nicolas Sarkozy fait état de collections (autographes, montres, statuettes) évaluées à 100 000 euros, alors que cinq ans auparavant, à cette rubrique, il était indiqué « Néant ». 

La création, en 2013, de la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique, chargée de recueillir et de vérifier 6 000 déclarations de patrimoine des élus et fonctionnaires concernés, constitue un progrès important. Sans doute, le président de la République n’est pas concerné. Je me suis efforcé de combler cette lacune ; ainsi, j’ai obtenu que soient rendues publiques les déclarations de patrimoine de chaque candidat à l’élection présidentielle, et non plus seulement celle du candidat élu. Mais contrairement à mes souhaits, elles ne seront pas vérifiées, le Conseil constitutionnel ayant annulé la disposition qui prévoyait un contrôle de ces déclarations par la HATVP, ce qui aurait donné à cette autorité « le pouvoir d’intervenir dans la campagne électorale […] dans des conditions qui pourraient porter atteinte à l’égalité devant le suffrage ». À la fin de mon mandat, en juin 2017, je suis revenu à la charge, en proposant, dans une ultime proposition de loi sur la « moralisation de la vie politique », que la HATVP puisse formuler un avis sur la variation du patrimoine du président de la République entre le début et la fin de ses fonctions présidentielles. L’Assemblée nationale a repris cette proposition, dans l’article 1er de la loi du 15 septembre 2017, ainsi que ma suggestion de compléter la déclaration de patrimoine par une déclaration d’intérêts, ce qui s’appliquera lors de la prochaine élection présidentielle.

La comparaison des déclarations du dernier président montre que François Hollande ne s’est pas enrichi durant son mandat, son patrimoine, net de dettes, ayant progressé de 8,4 % pour atteindre 1 020 100 euros uniquement par revalorisation d’une partie du patrimoine initial ; particularité de cette déclaration : l’apparition d’un livret A à la Banque postale avec 65,43 euros placés, alors qu’aucun compte de ce type n’avait été déclaré en 2012, vraisemblablement la correction d’un oubli. 

Le patrimoine déclaré par Emmanuel Macron est nettement plus modeste : 300 000 euros (net de dettes) uniquement en placements financiers sans aucun bien immobilier (la maison du Touquet étant un bien propre appartenant à son épouse). La faiblesse de ce patrimoine a suscité de multiples interrogations qui ont amené la HATVP à préciser que « les contrôles mis en œuvre par la Haute Autorité n’ont relevé aucun élément de nature à remettre en cause le caractère exhaustif, exact et sincère de la situation de M. Macron ». Dont acte.

Le culte du secret

Après ce détour sur le patrimoine du chef de l’État, revenons à la situation matérielle des anciens présidents. Elle a été fixée en 1985 à la demande de François Mitterrand : le Premier ministre d’alors, Laurent Fabius, adresse à l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing une lettre personnelle fixant le « statut dans la nation des anciens présidents de la République » qui énumère, dans le détail, les moyens matériels qui leur seront attribués. Bien entendu, selon les pratiques alors en vigueur en matière de transparence, cette lettre demeure secrète et le restera jusqu’en 2010. Informé de l’existence de ce document, j’essaie d’en savoir davantage en demandant, en mars 2007, des précisions au Premier ministre, Dominique de Villepin. Un an plus tard, en l’absence de réponse (alors que le délai est de deux mois), je renouvelle la question et j’obtiens enfin une réponse de François Fillon ; elle évoque une « décision » du Premier ministre en date du 8 janvier 1985. Le terme est pour le moins osé, comme on le découvrira lorsque, ayant obtenu ce document, je le rends public sur mon blog, le 9 juin 2010. On constate alors qu’il s’agit d’une lettre personnelle de quatre pages. Les juristes, unanimes, contestent la valeur juridique de ce document : en l’absence de contreseing des ministres chargés de son application (à tout le moins celui du Budget, compte tenu des implications financières), cette décision est parfaitement illégale. Pour sa part, la presse est plus sensible aux dispositions concrètes qu’elle contient, à savoir un appartement de fonction meublé et équipé avec deux personnes affectées au service de celui-ci, deux policiers mis à disposition permanente ; une voiture de fonction avec deux chauffeurs ; la mise à disposition de huit collaborateurs appartenant à la fonction publique ou recrutés par contrat (un chef de cabinet, deux assistants, un fonctionnaire des Archives nationales, trois secrétaires dactylographes et un secrétaire personnel). Toutes ces personnes sont choisies discrétionnairement par l’ancien président, qui bénéficie, en outre, de la gratuité de ses déplacements et de ses communications téléphoniques. Enfin, la protection des domiciles personnels est assurée par les services du ministère de l’Intérieur. Ces éléments connus, il reste à en chiffrer le coût.

Le coût d’un ancien Président

Connaître le coût de ces avantages va présenter quelques difficultés, car les financements sont multiples : les services du Premier ministre prennent en charge le logement et son entretien, la voiture et les indemnités ; la rémunération principale, par contre, continue à être versée par les ministères d’origine ; je vais donc multiplier les questions écrites pour apprendre que le ministère de la Défense met à disposition des sous-officiers de la Marine, affectés à la restauration ; que plusieurs collaborateurs viennent du ministère des Finances ; enfin que la sécurité est assurée par les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. Cette liste n’est pas exhaustive, puisque Nicolas Sarkozy fait appel à des agents en poste au conseil départemental des Hauts-de-Seine. Pour compléter mon information, je consulte les documents budgétaires qui fournissent d’autres précisions : le coût des baux locatifs (dans le budget du Premier ministre) ; les effectifs de police affectés à la sécurité des résidences présidentielles (dans le budget de l’Intérieur). Bref, un travail d’enquête semblable à celui que j’ai mené concernant le budget de l’Élysée. En mai 2012, au moment où ce dispositif va s’appliquer à un troisième président, j’avance prudemment un premier chiffrage, soit environ 2 millions d’euros par ancien chef de l’État. Le militant écologiste Raymond Avrillier, déjà en pointe sur les sondages de l’Élysée, finit par obtenir le détail des dépenses effectuées par Nicolas Sarkozy et publié par Mediapart. On y apprend, notamment, que cinq jours après son départ de l’Élysée, Nicolas Sarkozy a acheté chez un vendeur de Levallois-Perret une Citroën C6 V6HDI Exclusive, limousine haut de gamme, pour une somme de 44 141 euros, payée par l’État ; l’article comporte bien d’autres précisions (loyers, achats de matériel, frais divers…). 

De mon côté, en regroupant l’ensemble des informations disponibles, je fais apparaître sur mon blog le tiercé des anciens présidents : Valéry Giscard d’Estaing est le plus dispendieux, en particulier pour le loyer de ses bureaux ; en second, se trouve Nicolas Sarkozy, du fait des salaires élevés de ses collaborateurs ; enfin, loin derrière, Jacques Chirac, dont l’activité se réduit fortement en même temps que son état de santé. Le coût global est de l’ordre de 6 millions d’euros par an. Ces éléments sont largement repris par les médias : le 17 mai 2015, l’émission « Capital », sur M6, évoque longuement ce sujet. Au cours de l’année 2016, la transparence progresse. Le site Mediapart, utilisant la loi sur l’accès aux documents administratifs, obtient (et publie) de nombreux documents sur les dépenses de chacun des trois anciens présidents. 

De mon côté, ayant enfin reçu les dernières réponses du ministère de l’Intérieur concernant le coût de la sécurité, j’actualise mon calcul précédent et chiffre à 10 millions d’euros par an le coût global des avantages accordés à nos anciens présidents. Ce chiffrage est aussitôt rendu public sur mon blog et relayé par les médias, en particulier étrangers, qui s’étonnent de ce train de vie. Ce chiffrage est confirmé par un rapport confidentiel que le président Hollande avait demandé au Vice-président du Conseil d’État et au Premier président de la Cour des comptes. Leur mission consistait à évaluer les moyens mis par l’État à la disposition des anciens présidents et à proposer des évolutions. Informé de la volonté de l’Élysée de clarifier cette situation, je propose au groupe socialiste d’organiser un débat sur ce sujet afin que chaque formation politique expose son point de vue. Ma suggestion ne sera pas retenue et je le regrette, car l’opacité qui a entouré, dès le début, la situation matérielle des anciens Présidents a occulté tout débat sur le rôle qu’ils sont susceptibles de remplir.

Des avantages légitimes

Pour ma part, je considère qu’il est parfaitement légitime d’accorder aux anciens présidents les moyens correspondant à la dignité des fonctions exercées et aux charges diverses qui continuent de s’y attacher. Le traitement protocolaire qui leur est accordé en témoigne, puisque, dans les cérémonies officielles, ils sont placés immédiatement après le Premier ministre et les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, avant les membres du gouvernement et les autres corps constitués. Les responsabilités exercées, l’expérience acquise, les relations nouées avec de nombreux chefs d’État donnent à l’ancien président une autorité unique pour accomplir, au nom de la France, les missions que le président en fonction serait susceptible de lui confier. C’est généralement ce qui se passe dans les démocraties étrangères. Emmanuel Macron a donné plusieurs signes des bonnes relations qu’il entretient avec Nicolas Sarkozy, mandaté à plusieurs reprises pour représenter la France dans des pays où celui-ci avait noué des liens amicaux avec les responsables politiques. La distance qu’il entretient avec François Hollande, dont il a été le collaborateur à l’Élysée, puis le ministre de l’Économie, laisse penser qu’il s’agit d’un comportement politique plus qu’institutionnel. Les éléments qui figurent dans le rapport Sauvé-Migaud montrent que si à l’étranger les anciens chefs d’État ou de gouvernement bénéficient tous d’avantages matériels et de collaborateurs, le dispositif français est le plus généreux et unique concernant les veuves des anciens présidents.

Extrait du livre de René Dosière, "Frais de Palais : la vérité sur les dépenses de l’Elysée", publié aux éditions de l’Observatoire.

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