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Comment le sucre est en train de détruire le monde
©Freepik

Amertume

Nous consommons toujours plus de sucre, 45% de plus qu'il y a trente ans. S'il y a 400 millions de diabétiques de type II dans le monde aujourd'hui, l'excès de sa consommation pourrait porter ce chiffre à 500 millions, selon une étude réalisée par l'institut de recherche du Crédit Suisse, et le coût pour les soigner monterait alors à 700 milliards de dollars. Il est temps pour nos gouvernants de s'emparer du problème.

Franco Sassi

Franco Sassi

Franco Sassi est le porte-parole de la branche Santé de l'OCDE. Il est plus globalement économiste sénior sur les questions de santé publique et de risques épidémiologiques.

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Réginald Allouche

Réginald Allouche

Réginald Allouche est médecin et ingénieur. Il assure une consultation principalement axée sur le diabète gestationnel, la nutrition et la prévention du diabète de type II.

Son dernier livre publié aux Editions Odile Jacob porte sur ce théme du prédiabète : Du plaisir du sucre au risque du prédiabète, publié chez Odile Jacob.

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Atlantico : Tandis que le prix du sucre continue sa tendance baissière à travers le monde, Permettant au public le plus large de s'en procurer, une étude récente a démontré que sa consommation augmente le risque d'avoir un cancer du sein (voir ici). Les lobbys et influenceurs engagés par les industriels du sucre étant particulièrement actifs dans le monde, de quoi est-on vraiment sûrs concernant la nocivité du sucre sur la santé aujourd'hui ?

Réginald Allouche : Comme les graisses, on incrimine le sucre dans l’apparition de maladies comme l’asthme voire certains cancers. Les études publiées ont souvent des biais méthodologiques car on ne consomme jamais le sucre seul. L’étude publiée sur l’impact éventuel des aliments et boissons sucrés sur le risque de cancer du sein en est un bon exemple. Bien que la méthodologie consistant à mesurer l’impact de l’apport de sucre sur la densité mammaire soit bonne, l’interrogatoire nutritionnel lui, est plus sujet à caution. De l’aveu même des auteurs, cette étude doit être complétée et revalidée. En matière scientifique, il faut donc savoir raison garder, les maladies chroniques ou cancéreuses sont toujours ou quasiment toujours déclenchées par de multiples facteurs, en pointer un seul est une erreur.

Le diabète de type II est lui aussi d’origine multifactorielle, il faut une prédisposition génétique et/ou des comportements alimentaires inadaptés à son métabolisme et/ou une grande sédentarité et/ou des facteurs d’environnement défavorables. Il ne faut donc pas chercher un bouc émissaire unique. Par contre, tant que la lumière n’aura pas été faite, il n’est pas raisonnable de continuer à promouvoir auprès de nos enfants des produits industriels riches en sucres et en graisses comme nos chaines de télévision en sont remplis le mercredi. En effet, il est simple de comparer le temps passé par les parents à donner une éducation nutritionnelle à leurs enfants et le temps de publicité hebdomadaire. Il faut dépassionner le débat et pousser les pouvoirs publics à lancer des grandes études pluri-annuelles sur les impacts de la consommation de sucres. Il faudrait aussi pousser les études sur le rôle bénéfique des index glycémiques. On en aurait enfin le cœur net.

Si cela n’est pas fait, nous resterons dans cette zone grise où s’affrontent lobbys sucriers et les défenseurs d’une forme d’orthorexie anti-sucre. Les extrêmistes peuvent être à la mode en politique, la santé publique est un sujet bien plus grave car il impacte les générations présentes et celles à venir. En effet, il ne faut pas oublier que nos habitudes alimentaires peuvent avoir une action  sur l’expression des gênes de notre descendance par l’épigénétique. Cela a déjà été prouvé concernant les acides gras insaturés de type oméga 6…

Quel est le coût global des conséquences pathologiques liées au sucre dans le monde ?

Réginald Allouche :Il est très difficile de répondre à cette question car il faut prendre en compte tous les co-facteurs comme la sédentarité, l’accès aux soins, les autres facteurs alimentaires, les procès industriels, la possibilité de changer les comportements sociétaux. Si l’on présuppose qu’une consommation importante de sucre est co-responsable des pathologies cardio-vasculaires, des maladies métaboliques voire de certains cancers, les chiffres peuvent vite devenir astronomiques à l’échelle du globe. Mais encore une fois, ces liens sont très difficiles à établir et le sucre ne peut pas tout assumer. Ce que l’on connaît bien est le coût moyen du diabète et pour exemple, le coût moyen d’un diabétique de type II aux Etats-Unis est de 5000 $ par an et Il y a 28 millions de diabétiques de type II aux Etats-Unis.

Franco Sassi : Il semble que le sucre joue un rôle important dans l'augmentation de l'obésité de nos sociétés. Le sucre est un précurseur de nombreuses maladies chroniques, comme le diabète, les maladies cardiovasculaires et d'autres. Il n'est pas possible d'estimer le coût associé à la consommation de sucre, mais des estimations sont disponibles du fardeau économique associé à l'obésité dans de nombreux pays.

L’obésité est surtout coûteuse pour les systèmes de santé. Au cours d’une vie, les dépenses en soins de santé pour une personne obèse sont au moins 25% plus élevées que celles pour une personne de poids normal et elles augmentent d’autant plus rapidement que les individus deviennent plus gros. Cependant, la réduction de l’espérance de vie est tellement grande que les personnes obèses encourent des coûts de soins de santé plus faibles sur un cycle de vie complet (13% de moins, selon une étude néerlandaise) que les personnes de poids normal – mais plus que les fumeurs, en moyenne. On estime que l’obésité est responsable de 1% à 3% des dépenses totales de santé dans la plupart des pays (5% à 10% aux États-Unis) et les coûts augmenteront rapidement dans les années à venir puisque les maladies liées à l’obésité s’installent.

Quels sont les pays les plus touchés ?

Réginald Allouche : Les défenseurs des sucres affirment qu’il n’y a aucun lien entre la consommation de grandes quantités de sucres et l’augmentation impressionnante du nombre de pré-diabétiques (84 millions rien que pour les US). Cela rappelle la position des industriels de la cigarette dans les années 70Lorsque j’ai publié mon livre sur le prédiabète en novembre 2013, les chiffres du nombre de pré-diabétiques aux US étaient de 79 millions, ils sont aujourd’hui 9 mois plus tard 84 millions. 70% d’entre eux deviendront diabétiques de type II, maladie irréversible alors que le prédiabète est lui réversible. 90% ignorent leur état et ses conséquences. En France, le nombre de pré-diabétiques est imprécis et les chiffres souvent cités sont de 3,5 millions. Ne pas dépister le pré-diabéte (dépistage simple au coût dérisoire) met ces personnes en danger car les complications du diabète de type de type II sont connues et invalidantes. Il faut tout tenter pour leur éviter cela.

Il est donc grand temps d’apporter des réponses claires à ce sujet. Pour un prédiabétique, lui conseiller seulement de faire attention au sucre (phrase classique du médecin lorsqu’il vous découvre une glycémie un peu élevée) est très insuffisant et ne rend vraiment pas service au patient. Encore faudrait-il pour mes confrères que la Faculté prenne position sur le sujet et les en informe. Seules les associations de diabétiques et les réseaux de soins du type Paris-Diabète font ce travail de formation et d’information.

Franco Sassi : En général, les pays les plus riches ont des taux plus élevés d'obésité. D’après les dernières enquêtes disponibles, plus de la moitié (52.6 %) de la population adulte des pays de l’OCDE déclare souffrir de surpoids ou d’obésité. La proportion est encore plus forte (55.6 %) dans les pays où la taille et le poids ont été mesurés (et non déclarés par les intéressés eux-mêmes). La prévalence du surpoids et de l’obésité chez les adultes dépasse 50 % dans pas moins de 20 pays de l’OCDE sur 34.

Dans la zone OCDE, les États-Unis ont les taux les plus élevés d'obésité, suivis par le Mexique, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. En Europe, la Hongrie et le Royaume-Uni ont les taux les plus élevés d'obésité (voir ici).

Dans les pays occidentaux, de nombreuses politiques publiques sont mise en place contre la consommation excessive de sucres. La prévention a également permis que les entreprises agro-alimentaires utilisent des alternatives. A-t-on pu observer une diminution de sa consommation ?

Franco Sassi : Les politiques adoptées jusqu'à présent par la plupart des pays sont encore trop faibles pour provoquer un changement significatif dans la consommation de sucre. Il y a eu quelques signaux positifs, par exemple la baisse de la consommation de boissons sucrées, et un passage progressif à des alternatives à basses calories. Mais ces changements semblent plutôt tirée par la demande que l'effet des politiques gouvernementales spécifiques.

La plupart des pays ont des initiatives en direction des enfants d’âge scolaire, tels que des changements dans les repas servis en milieu scolaire et les distributeurs de boissons et friandises, de meilleurs équipements sportifs, et une éducation à la santé. Beaucoup diffusent aussi des lignes directrices sur la nutrition et des messages pour la promotion de la santé tels que l’incitation aux modes de déplacement actifs - vélo et marche - et des loisirs actifs. Les pouvoirs publics hésitent parfois à recourir aux leviers de la réglementation et aux mesures financières en raison de la complexité du processus réglementaire, des coûts d’application et du risque d’une confrontation avec les industries clés.

Réginald Allouche :Les temps changent, les contre-vérités alimentaires subsistent… Depuis plus de 40 ans, on insiste sur le rôle des graisses dans les pathologies cardio-vasculaires et les cancers. Des médicaments spécifiques sont mis au point et promus auprès du corps médical, le 0% de matières grasses est devenu "LE" reflexe minceur et pourtant les chiffres de l’obésité et du diabète du type II n’ont jamais été aussi importants dans le monde. Les pays émergents ne sont pas épargnés. Et si on s’était trompé de responsable ? Et si, mis à part les graisses non naturelles utilisées  par l’industrie agro-alimentaire, les graisses étaient  en partie innocentes ?Si l’on écoute ce que les pouvoirs publics recommandent il faut consommer 55% de glucides (sucres) par jour en privilégiant les céréales complètes et en diminuant les sodas, pâtisseries et viennoiseries. Pas un mot sur le type de céréales, sur la cuisson des féculents, sur le type de semence de blé cf teneur en gluten, etc… Je pose alors très clairement une question : sur quelles études randomisées, long terme et en double aveugle se base-t-on pour recommander de telles quantités de sucres ?

On peut lire sur le Net cette phrase pour le moins singulière : "Les experts de l'EFSA constatent que les preuves scientifiques sont insuffisantes pour pouvoir fixer une valeur limite supérieure pour les apports en sucres." Il y aurait donc bien des preuves scientifiques pour déterminer le minimum de 55%. Peut-on avoir accès à ces études s’il vous plaît !

Lorsque cette question est posée en congrès, la réponse obtenue est : "c’est le pourcentage de glucides consommés par les français en 1960".  Cette réponse très subjective est pour le moins étonnante. Nous sommes aujourd’hui en 2014 et il serait raisonnable de confirmer 50 ans plus tard ces valeurs mais aussi de reconnaître la valeur des recherches sur des aspects plus qualitatifs. Je prendrai pour exemple, les "Index Glycémiques" (mesure du pouvoir hyperglycémiant de certains aliments) mis en évidence et publiés dans les années 80 par un diabétologue français de génie : le Pr Gérard Slama. Ils n’ont toujours pas droit de cité auprès des instances nationales et européennes. Pour les pouvoirs publics et la doxa des chantres de la nutrition tous les sucres se valent à peu près, donc pas d’indication sur l’effet glycémiant ou non des sucres que vous consommez. Prenons l’exemple des céréales du petit déjeuner qui sont si souvent conseillées pour nos enfants : quelles sont les valeurs d’index glycémiques de ces céréales ? Il serait si simple de l’indiquer… Un autre exemple : le fructose qui à doses importantes est un poison pour le foie. Ce même fructose est recommandé pour les diabétiques de type II en Allemagne ! Toujours pas de réaction de l’EFSA, pourtant l’action délétère du fructose sur le foie est connue de longue date. Il est curieux de voir si peu d ‘empressement de la part des pouvoirs publics pour lancer des études d’envergure sur le sujet du sucre. Ne pas le faire laisse les défenseurs et les détracteurs du sucre se contredire sans donner de message clair à la population. Les débats tiennent plus de la pensée magique que de la science.

Or l’homme produit le sucre qui lui manque : Plantons pourtant le décor, l’homme chasse depuis la nuit des temps pour consommer des protéines contenues dans la chair des animaux et des poissons. Il y est obligé car il ne peut pas stocker les protéines. Il consomme les protéines animales avec les graisses qui les accompagnent en plus ou moins grande quantité (beaucoup pour le bœuf et l’agneau, moins dans le veau et le poulet et d’une qualité différente dans le poisson). Ils utilisent donc les protéines qui sont les briques de base de son organisme et stockent les graisses qui sont le lubrifiant de l’organisme et sa réserve d’énergie. Comme le seul carburant du corps humain est le glucose qui est un sucre simple, l’organisme est capable de le produire à partir des graisses et des protéines. Consommer trop de sucre revient donc à court-circuiter tout ce système. L’homme est donc passé aujourd’hui du stade de fabricant de sucre au stade de consommateur/stockeur de sucre. Ce raisonnement ne vaut bien sûr que depuis le milieu du 20ème siècle (après la 2ème Guerre Mondiale) avec l’abondance alimentaire des pays développés. Encore une fois, est-il franchement raisonnable de pousser les individus à consommer des sucres à raison de 55% de leur ration alimentaire sans preuve ? Pourquoi pas 40%, 60% voire 80% comme je l’ai lu récemment dans un blog sur le sujet ?

En France, 14% du sucre consommé l’est sous forme de sucre en poudre ajouté, 53% sont rajoutés dans les préparations industrielles sucrées et salées ! Je reprends l’exemple de la sauce tomate qui contient beaucoup de  sucre. Aux Etats-Unis, même les saucisses du fameux hot-dog vendus dans les rues de New-York contiennent du fructose. Est-il normal de vendre des produits salés en y ajoutant des sucres ? Pourquoi les pouvoirs publics si pointilleux sur le respect et l’information du consommateur laissent-t-ils faire ainsi ? Il est temps d’interrompre cette  polémique stérile pour parler de science.

L’homme aime le sucre, il a même des récepteurs spécifiques sur sa langue afin d’activer le système de récompense (noyau accumbens) qui est la plaque tournante du plaisir dans notre cerveau. Le cerveau adore le plaisir même au risque de détruire le reste du corps qui le porte. Ce ne sont pas les fumeurs qui vont me contredire ! Tout est donc question de quantité et en ce qui concerne le sucre, "un peu ça va, beaucoup bonjour les dégâts". Des équipes de renom ont prouvé le caractère addictif du sucre (cf les travaux du CNRS de Bordeaux), d’autres travaillent sur le caractère inflammatoire direct du sucre sur les vaisseaux sanguins. Plutôt que de faire taire ces équipes, il serait plus judicieux d’instaurer un débat objectif et scientifique afin d’éviter la diabolisation du sucre. Il faut donc réagir.

Qu'est-ce qui rend la tâche difficile ?

Franco Sassi : Les pouvoirs publics peuvent aider les individus à modifier leur mode de vie en ouvrant de nouvelles possibilités, favorables à la santé, ou en rendant les possibilités existantes plus accessibles physiquement et financièrement. Ils peuvent aussi recourir à la persuasion, à l’éducation et à l’information pour rendre plus attrayants les choix positifs pour la santé. Cette méthode "douce" est plus coûteuse, difficile à mettre en œuvre et à suivre. Une approche plus contraignante, utilisant des mesures de régulation et des mesures financières (par exemple, des impôts sur les boissons sucrée), est plus transparente mais elle frappe tous les consommateurs sans discrimination, et donc peut avoir un coût politique, et en termes de bien-être, plus élevé. Elle peut aussi être difficile à organiser et à mettre en œuvre et avoir des effets régressifs. 

Au train où vont les choses, que peut-on prévoir de l'état des populations d'ici à 10 ans ?

Franco Sassi : La taille et le poids sont en augmentation depuis le XVIIIe siècle, les niveaux de revenu et d’éducation et les conditions de vie s’étant progressivement améliorés. Si la prise de poids a été largement bénéfique à la santé et la longévité de nos ancêtres, un nombre alarmant de personnes a désormais franchi la ligne au-delà de laquelle la prise de poids est dangereuse.

Jusqu’en 1980, moins d’une personne sur 10 était obèse. Depuis, les taux ont doublé ou triplé dans beaucoup de pays, et dans presque la moitié des pays de l’OCDE une personne sur deux est maintenant en surpoids ou obèse. L’OCDE avait prévu en 2010 que "Si les récentes tendances se maintiennent, les projections indiquent que plus de deux personnes sur trois seront en surpoids ou obèses dans plusieurs pays de l’OCDE dans les 10 prochaines années".

Depuis 2010, l'obésité n'a cessé de croître, mais nous avons observé un ralentissement du rythme de la croissance dans plusieurs pays (par exemple au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Corée), et une accélération dans d'autres (par exemple, l'Espagne et la France).

Réginald Allouche : Une chose est sûre, si on continue sur cette voie sans rien changer et en s’arc-boutant sur des positions qui datent des années 60, le pire est à venir. Le diabète de type II touche désormais de plus en plus d’enfants et des jeunes adultes. Si lobby sucrier il y a, alors il faut que le contre lobby s’organise pour que les agences gouvernementales puissent jouer les arbitres.Le diabète de type II est un fléau qui touche des centaines de millions de personnes de par le monde et je ne suis pas sûr que la recherche sur le sujet soit au niveau en tant que moyens et de coordination. Il est temps d’en faire une cause mondiale avant qu’il ne soit trop tard.

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