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Comment le plan Juncker aboutirait à renforcer l’Allemagne et les pays du nord dans la zone euro
©Reuters

Paris, c'est fini

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : A l’occasion de son discours sur l'Etat de l'Union, Jean Claude Juncker a fait part de son souhait de voir l'euro devenir la monnaie de l'ensemble des pays de l'Union européenne. Si pour certains pays, comme la Suède, cette perspective semble peu réaliste, que peut-on anticiper de la "faisabilité" d'un tel projet ? Quels seraient les pays susceptibles d'être intégrés ?

Mathieu Mucherie : Au début j’ai cru à un gag (déjà ce concept américain de « discours sur l’Etat de l’Union » dans une zone pas du tout unifiée, et où le Président n’a été élu par personne… passons). Après tout, de la part de la Grosse Commission, et de Juncker en particulier, tout est possible, y compris des chantages contre un pays qui a perdu un quart de son PIB en cinq ans, y compris les courbettes les plus viles devant les satrapes russes et les geôliers turcs, plus rien ne devrait nous étonner de sa part en matière d’incompétence et de tartufferie, et pourtant, à chaque fois, les bornes sont franchies.   

Nos élites ne touchent plus terre, comme des aristocraties de fin de régime. Elles vont bientôt connaitre un destin à la Pareto, voilà ce qui me rassure.

En août 2016, réagissant à la tentative de certains États membres pour contenir le flux des migrants, Junker  déclare que les frontières nationales sont « la pire invention des politiciens ». Il appelle à faire preuve d'une « plus grande solidarité » envers les réfugiés. Question 1 : combien de Syriens et d’Erythréens admis dans le Grand Duché ? Question 2 : en CM1, la première et la dernière fois qu’il a ouvert un livre d’histoire, le petit Jean-Claude n’a-t-il pas remarqué que les frontières remontent à assez loin dans le temps, et que, lorsqu’elles cèdent, par exemple au début du Ve siècle, ce n’est pas souvent bon signe pour les populations installées ?

L’euro est le plus fantastique échec intergouvernemental depuis la SDN et le pacte à quatre, et on veut l’étendre (au lieu de le dissoudre à peu près en bon ordre pendant qu’il est temps) ? Pour quoi faire ? Pour empêcher de faire des comparaisons désagréables ? Pour compliquer encore un peu plus le comité de politique monétaire de la BCE, qui ressemble déjà à l’armée mexicaine, et où on ne vote pas, et où on attend toujours les « transcripts » des réunions ?

A l’heure où j’écris ces lignes, le Royaume-Uni est à son niveau de chômage le plus bas depuis 1975. La Pologne et la Hongrie et la République tchèque font 4% de croissance sur les 12 derniers mois. La Suède non plus n’est ni en guerre civile ni à la limite de la faillite, le Danemark et la Suisse non plus. La Norvège caracole en tête des pays les plus soudés et les plus heureux du monde (toujours hypocrite, la rédaction de Géo dans son dernier numéro constate cela sans trop aborder les vraies raisons, il est vrai qu’elles ne sont pas très politiquement correctes). Ils ont vachement envie de devenir des eurozonards, tous ces gens des pays libres et en croissance,… hyper envie de rejoindre de force la zone monétaire des chômeurs et des cous pelés, de rejoindre par anschluss l’euro « de 1000 ans » qui a déjà failli imploser deux fois au moins au cours des 9 dernières années et qui ressemble déjà à une chambre à air constellée de rustines…

Qui voudrait d’une camisole unique quand on peut avoir encore un peu de liberté, et pas plus d’inflation ? Qui peut croire à la fable d’un euro qui ferait baisser les taux d’intérêt, maintenant qu’ils sont bas partout sauf au Pakistan ? Qui voudrait de la tutelle de Francfort quand on peut encore décider chez soi ? Qui veut de la supervision bancaire de la BCE ? Qui voudrait avoir sur ses billets des ponts et des aqueducs anonymes, quand on peut avoir le portrait d’une reine ? Qui voudrait attendre pensant six ans des achats d’actifs qui s’imposaient dès la fin de 2008 (regardez le bilan de la banque de Suisse, et allez me dire ensuite qu’elle aurait encore une industrie si elle avait fait partie de l’euro) ? Qui voudrait d’une solidarité eurozonarde qui consiste à ne pas acheter de titres grecs (encore aujourd’hui !) alors que TOUS LES JOURS on prête (massivement) aux banques (et y compris aux pires d’entre elles) à des taux négatifs ?? 

Déjà les allemands n’étaient pas enthousiastes, on ne leur a pas vraiment demandé leur avis (ils auraient opté pour rester avec le Mark), puis on les a bombardé de garantis pendant une décennie pour faire passer la pilule (un Traité qui bétonne, une gestion conforme à celle de la Bundesbank, le siège à Francfort, un droit de véto pour la cour de Karlsruhe, etc.). En France, en 1992 (parce que manifestement on peut lier les mains de plusieurs générations par un seul vote à la majorité simple), ça passe à 51% (à la suite d’un bourrage de crane intense), et encore, 51% parce que le débat n’a pas porté exclusivement sur la monnaie unique mais aussi sur tout un tas de fariboles (la citoyenneté européenne, la politique extérieure et de sécurité commune, l’Europe sociale, do you remember ?). Et encore, parce que le voile d’ignorance n’est pas encore complètement tombé : comme le disait Rosa Luxembourg, si les gens savaient, le système tiendrait 48 heures.

On nous dit dans les enquêtes « Eurobarometer » que les deux tiers des français sont encore favorables à l’euro, j’en doute, à chaque élection la part des euro-phobes et des euro-sceptiques est bien supérieure à un tiers, et elle ne fait que progresser (heureusement pour Francfort que le petit peuple énervé est représenté par des abruties qui ne savent pas se tenir 10 minutes dans un débat et par des tribuns qui pleurent quand Hugo Chavez casse sa pipe d’opium).

Quelles seraient les conséquences d'une telle intégration de ces pays, aussi bien pour eux mêmes que pour les membres actuels de la zone euro ? En quoi la "gestion" de l'euro en serait modifiée ? Quels seraient les gagnants et les perdants d'un tel projet ?

Ces pays ne VEULENT PAS rentrer dans ce pandémonium qu’est la zone euro. Il y avait encore un petit risque en Angleterre (pays qui a ratifié Maastricht et qui donc en théorie avait vocation à entrer un jour) : dans leur grande sagesse, les anglois ont écarté cette épée de Damoclès. Les Suédois rament à cause de l’inflation targeting et à cause d’un mauvais pilotage de leur banque centrale depuis que Lars Svensson n’est plus dans le comité : c’est gênant, mais pas de quoi se précipiter dans les flammes de l’enfer monétaire (les Finlandais, qui y sont, viennent d’accumuler plus de 10 points de PIB de retard face à leur voisin de l’Ouest en moins d’une décennie, parce qu’ils n’ont pas pu dévaluer). Les Polonais vont bien, et ils se font critiquer par des petits roquets euro-baba qui ne comprennent pas qu’on puisse être de droite, catho, en croissance, et plus enclin à récupérer un million d’ukrainiens qu’un millions de syriens. Ils en savent assez sur le régime soviétique pour le reconnaitre, ne comptez donc pas sur eux pour gober les mensonges déconcertants de la BCE. Les Hongrois se sont fait massacrer par tous les Jean-Claude du continent quand ils ont fait mine, il y a 6 ans, de ne pas renforcer les pressions déflationnistes, et même de limiter l’indépendance de leur banque centrale (une atteinte aux principes considérée par nos élites eurozonardes comme plus grave que la chasse aux tziganes) : au final, quand on voit les chiffres de croissance et d’inflation, ils ont eu bien raison, et leurs détracteurs à Francfort sont aujourd’hui obligés de faire du QE et des taux négatifs, mon Dieu que c’est drôle. Mais imaginons tout de même que ces gens « choisissent » la voie de la servitude.

Pour eux, ce serait une catastrophe. Je pense surtout à la Suisse et à la Norvège dont les économies sont très spécifiques, avec des cycles très éloignés d’une médiane eurolandaise : heureusement, comme ils ne font même pas partie de l’Union, ce sujet relève de la science-fiction (idem pour l’Islande). Le coût serait tellurique pour les Polonais et les Hongrois, qui doivent encore converger en termes de PIB par tête et qui ne peuvent se permettre une monnaie japonisante à ce stade. Le coût serait moindre pour les Danois (qui sont déjà en changes fixes avec l’euro) et pour les Tchèques (même s’ils ont gagné nettement, il y a peu, à se décorréler de l’euro, ils dépendent beaucoup des allemands).

Pour nous, ce serait compliqué. Plus de gens autour de la table de la BCE et autres contrariétés mesquines, mais surtout moins de concurrence institutionnelle en Europe alors que tout ce que ce continent a fait de grandiose depuis des lustres repose sur la variété des modèles. Si la Chine avait été moins centralisée, elle n’aurait pas détruit tous ses vaisseaux brusquement au XIVe siècle. Ceux qui parlent d’harmonisation avancent toujours de beaux sentiments, mais ils cachent le plus souvent des histoires de gros sous : les Luxembourgeois veulent plus d’espace pour les contrats en euros gérés par leurs juristes, les Français veulent une harmonisation par le haut de la fiscalité de façon à ne pas avoir à réformer leur pays, les Allemands soucieux de « compétitivité » veulent éviter de voir des pays qui pourraient dévaluer, etc. Souvenez de l’échec pathétique, archi-prévisible mais pas prévu à Bruxelles, du Pacte de stabilité, avec le viol systématique des 3% de déficit : un lit de Procuste complètement inadapté qui a fini par décrédibiliser l’institution qui en avait la garde (la Grosse Commission) ; ce qui n’est pas pour rien dans la montée inexorable de Francfort et dans ses OPA institutionnelles. Vouloir mettre tout le monde sous les mêmes ratios et les mêmes gouverneurs n’est pas du tout raisonnable, c’est au mieux du constructivisme scientiste.   

Le risque à court terme est donc de voir un éparpillement qui serait sans doute favorable aux intérêts du bloc allemand (parce qu’il est le plus soudé et le plus central), et à long terme une monoculture monétaire en Europe qui éteindrait le peu de réflexion qui reste. Sans pour autant « faire le poids » (si cela a un sens économique !!) par rapport au dollar et au yuan (l’euro a perdu du terrain depuis 10 ans dans la facturation des échanges mondiaux). Un avenir à la 1984. Avec des avenues Jean-Claude Trichet et des lycées Jean-Claude Juncker…

Cela n’arrivera pas, j’imagine les ricanements à Varsovie et à Stockholm s’ils ont entendu les propos incohérents de ce pauvre Jean-Claude au « Parlement » (j’ai trop de respect pour l’institution pour ne pas mettre des guillemets s’agissant de cet amphithéâtre européen impuissant) ; le plus probable est qu’ils n’ont même pas écouté, pas plus que moi, j’ai décroché des institutions européennes il y a une quinzaine d’années devant  les ambitions donquichottesques de la Grosse Commission sur l’Union du « plein emploi », sur l’Union leader de l’économie de la connaissance en 2010 (depuis, tout est inventé en Californie, et plus personne de censé n’écoute ce qui se dit à Bruxelles). Avec un peu de chance, dans 6 mois, en Italie, nous pourrions même assister au mouvement inverse de riquiquisation de la zone euro, mais nous en reparlerons cet hiver.

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