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Comment la crise a refermé le piège des 35h sur les cadres
©Pixabay

Semaine des 2 fois 35h

Alors que le système des 35 heures était censé présenter des avantages pour les cadres en entreprise, les conditions d'application de cette mesure et le contexte économique de ces dernières années rendent aujourd'hui le travail de cette catégorie d'employés bien difficile.

François-Xavier Devetter

François-Xavier Devetter

François-Xavier Devetter est économiste du travail au CLERSE et à Telecom Lille. Il a déjà publié Le Chômage (Le Monde Sup', 2015, avec S. Rousseau), Du Balai. Essai sur le ménage à domicile et le retour de la domesticité (Raisons d'Agir, Paris, 2011, avec S. Rousseau) et Les Services à la Personne (coll. Repères, éd. La Découverte, 2009, avec Florence Jany-Catrice et Thierry Ribault).

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Atlantico : En quoi le système des 35 heures et les nombreux assouplissements en découlant ont-il contribué à détériorer les conditions de travail des cadres, alors que ce système était censé présenter des avantages pour les cadres initialement ? Comment évaluer l'évolution de ces conditions de travail au cours de ces dernières années ?

François-Xavier Devetter : Il faut surtout distinguer la mise en œuvre des 35 heures des assouplissements qui ont suivi. Ces derniers n’en découlent pas, ils inversent au contraire la logique initiale. Les 35 heures ont cherché à réduire l’emprise du travail et à améliorer les conditions de vie. La plupart des études réalisées entre 1998 et 2005 soulignent que les cadres (des grandes entreprises notamment) ont été les principaux bénéficiaires de la réforme : bien plus que les non qualifiés, ils ont bénéficié de journées ou de demi-journées de congés supplémentaires qui ont pu améliorer leur possibilité de concilier vie privée et vie professionnelle. Leur appréciation générale de la RTT est ainsi nettement positive : les 35 heures ont été dans le sens d’une amélioration pour 67% des cadres alors que seuls 7% estimaient qu’il s’agissait d’une dégradation (Enquête RTT et Mode de Vie, 2003). De même les conditions de travail elles-mêmes ne se sont pas dégradées avec la réduction du temps de travail : 33% des cadres déclaraient qu’elles s’étaient améliorées contre 25% pour qui elles s’étaient dégradées (enquête RTT et Mode de vie, 2003). Bien au contraire, la période 1998-2005 apparaît selon la DARES (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail) comme "parenthèse dans une trajectoire ascendante entamée à la fin des années 1980" en matière d’intensification du travail. La proportion de cadres déclarant "devoir se dépêcher toujours ou souvent" décroît, passant de 57,7% en 1998 à 50,8% en 2013. D’autres éléments comme le fait de "devoir abandonner une tâche pour une autre plus urgente" sont néanmoins croissants (passage de 59,3% en 1998 à 74,8% en 2013).

Il est par contre exact que le temps de travail moyen des salariés à temps plein est rapidement remonté et que les "35 heures" n’ont au final jamais été pleinement appliquées : en 2013 le temps de travail moyen à temps complet est proche de 40 heures. Les cadres sont les salariés qui travaillent le plus longtemps (plus de 44 heures en moyenne hebdomadaire) mais sur des modalités assez différentes de celles des autres salariés. Plus autonomes et moins contrôlés, ils sont effectivement plus touchés par certaines pénibilités comme les très longues journées (plus de 10 voire 12 heures par jour) ou les longues semaines (plus de 44 ou 48 heures hebdomadaires). En revanche, l’organisation de leur temps de travail est moins contrainte : ils bénéficient de plus de souplesse (seul un quart d’entre eux déclarent ne pas pouvoir s’arranger avec des collègues en cas d’imprévus par exemple) et sont moins concernés par les horaires atypiques (travail de nuit ou du week-end).

Pourtant, avec un taux de chômage d'environ 4%, les cadres semblent bénéficier d'une situation enviable au regard du contexte économique de crise. Quel a été l'impact direct de la crise sur le travail des cadres, notamment sur les salaires ? Les contreparties ont-elles été à la hauteur ?

Sur de nombreux points, les cadres apparaissent privilégiés. Leurs conditions de travail sont nettement moins pénibles que les ouvriers ou les employés de commerce ou des services. Seuls 8% d’entre eux subissent trois contraintes physiques ou plus contre plus de la moitié des salariés moins qualifiés.

Pour autant, leur situation semble s’être dégradée avec la crise : leur autonomie est de plus en plus souvent remise en cause et les contraintes liées à des objectifs extérieurs se sont accrues. Plus encore, leur situation individuelle (notamment salariale) est sensiblement plus dépendante de leur "performance" (croissance des primes individuelles notamment). Les évolutions du salaire, comme le versement de primes, apparaissent enfin bien plus dépendantes de la conjoncture pour les cadres que pour les autres catégories de salariés. Ainsi, selon les données de l’INSEE, les rémunérations mensuelles des cadres n’ont cru que de 4% entre 2008 et 2013 contre un peu plus de 8% pour les autres salariés. Ces rémunérations demeurent néanmoins nettement plus élevées en valeur absolue (salaire mensuel net moyen de 4 072 euros contre 2 202 euros pour l’ensemble des salariés à temps plein).

Quels sont les autres facteurs apparents de détérioration des conditions de travail des cadres que l'on a pu constater ces dernières années ?

La relative dégradation de la position des cadres ne s’explique ainsi pas par les 35 heures. La situation des cadres est surtout très hétérogène et isoler des facteurs demandent de distinguer les secteurs d’activité mais également les niveaux hiérarchiques ou les types de fonctions occupées. Une première explication des évolutions des conditions de travail et des salaires provient de la croissance importante du nombre et de la proportion de cadres : alors qu’ils représentaient moins de 5% des emplois dans les années 1960, ils représentent aujourd’hui plus de 16% des emplois.

Deux autres phénomènes plus spécifiques peuvent expliquer que nombre d’entre eux subissent des conditions de travail ou d’emploi plus difficiles. La première est liée aux modifications technologiques et notamment à la diffusion très rapide des nouvelles technologies : l’utilisation d’un ordinateur portable concerne ainsi 61% des cadres en 2013 contre 43% sept ans plus tôt. Les nouvelles technologies peuvent favoriser une forme d’intensification du travail et un brouillage des frontières entre temps professionnel et temps personnel. Associées à davantage de pressions dans le cadre d’une conjoncture dégradée, elles peuvent constituer un facteur important dans la dégradation des conditions de vie de salariés (stress, burn-out, etc.). Enfin, la position hiérarchique des cadres peut également favoriser des tensions. Devant assumer les décisions des directions d’entreprise tout en étant salariés eux-mêmes, les cadres peuvent également vivre mal des évolutions entrainant la dégradation des conditions de travail et d’emploi pour l’ensemble des salariés.

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