Comment l'Allemagne a transformé l'Europe en un désert économique<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Allemagne tire aujourd'hui l'économie européenne à elle seule.
L'Allemagne tire aujourd'hui l'économie européenne à elle seule.
©DR

Centre du monde

Solde commercial et balance des paiements de plus en plus excédentaires, attraction des "cerveaux" des pays du Sud... Aujourd'hui, l'Allemagne est à l'Europe ce que Paris était à la France au milieu du XXe siècle : un pôle hégémonique asséchant ses voisins.

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau est l'ancien patron du marketing chez Citibank, ancien Directeur général des groupes Crédit Lyonnais et HSBC.

Il a notamment publié La désillusion, abécédaire décalé et critique de la banque et de la finance, paru aux éditions Jacques Flament en 2011.  Il publie également "Au pays de l'eau et des dieux"

Il tient également un blog évoquant les questions économiques et financières.

 

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Publié en 1947, un livre célèbre a contribué à changer la « donne » hexagonale en matière de géographie nationale et de gestion de l’espace économique et démographique : Paris et le Désert Français. Il a contribué à familiariser le public français et les hommes politiques avec un état de fait qui jusque-là n’avait frappé que quelques illuminés provincialistes : Paris et sa région dominaient la France non seulement parce que la ville-lumière détenait le pouvoir politique, mais aussi parce qu’elle disposait de tous les leviers économiques et financiers et attirait à elle tout ce que la France comptait de ressources intellectuelles, techniques et financières, sans restituer une once de la richesse « détournée ». Elle se comportait en prédatrice, dévorant l’énergie des autres régions dans le seul intérêt d’une bourgeoisie financière, Paris, créait autour d’elle un désert.

Cet ouvrage et ses successeurs ne comptèrent pas peu dans la mise en œuvre de la fameuse « politique d’aménagement du territoire » : l'abandon de parties entières du territoire, enclavées et sans ressources solides allait, si on laissait faire, accélérer un processus de destruction sanctionné par le départ des éléments les plus instruits et les plus dynamiques. L’hypertrophie du centre conduisait à des déséconomies d’échelle par saturation démographique et par étouffement des moyens de transports, le sous-développement de la périphérie se traduirait par une agriculture de subsistance, un sous-emploi local chronique et la généralisation d’un assistanat débilitant. Ce cycle spiralant d’appauvrissement conduirait à l’éclatement de la nation.

Le développement économique des pays ou de groupes de pays ne se déroule pas comme la théorie imagine que les marchandises sont produites et échangées sur les marchés de concurrence pure et parfaite. Le développement est un processus d’accumulation vertueuse dont les composantes humaines, intellectuelles, technologiques, scientifiques et financières se combinent de façon complexes. Les économistes français du développement et tous ceux qui vivaient dans les marges de la « planification à la française », étaient convaincus que la croissance et le développement d’un pays sont le fait de pôles qui structurent l’espace qui les entoure et les animent de mouvements centripètes. Qui peuvent aussi le détruire dans des mouvements centrifuges. Pendant de nombreuses années de domination américaine de l’économie mondiale, les Etats-Unis, en tant que pôle économique dominant, ont progressivement vidé les espaces économiques adjacents de leurs ressources humaines en siphonnant leurs forces vives : l’indicateur le plus pertinent étant un mouvement d’immigration massive en provenance des pays d’Amérique centrale et d’Amérique du sud.

Pouvait-on comparer le mode de fonctionnement des pôles de développement aux théories sur la gravitation des corps célestes ? Il est vrai que virent le jour de passionnantes théories sur la déformation des espaces économiques et financiers dus à la présence de corps massifs : les très grands pôles économiques. Peu importe que la dynamique des grands ensembles éco-territoriaux soit proche ou non des théories sur la gravitation universelle, le fait est que ces théories avaient toutes en commun cette idée que la distribution des richesses, des moyens de production, des réseaux de communication et des ressources intellectuelles et technologiques n’était pas uniforme ni homogène sur l’étendue d’un territoire. Les concentrations de moyens, fruits d’évolutions historiques ou de révolutions technologiques constituait une contrainte, mais aussi, un levier, un moyen incontournable de toute politique d’équilibrage territorial et par conséquent social.

Que valent ces idées maintenant ? On ne débattra pas de l’efficacité ou des erreurs de la politique d’aménagement du territoire en France. On relèvera qu’actuellement, un gigantesque pôle économique a émergé : l’Allemagne.

Peut-on dire de l’Allemagne qu’elle est devenue un pôle économique dominant à l’égard de l’Europe, comme la Région parisienne l’était devenue à l’égard de la France ? Le critère le plus pertinent de cette transformation, on le trouve dans la balance commerciale de l’Allemagne et l’importance de ses exportations dans la zone européenne. Les chiffres sont impressionnants puisque l’excédent commercial allemand a atteint, en 2012, 158 milliards d'euros contre 155 milliards d'euros l'année précédente. Même si l’Allemagne n’est plus le premier exportateur du monde, venant d’être dépassée par la Chine, elle a cependant dépassé pour la première fois le cap des 1000 milliards d’Euros. Ce qui est très parlant pour la qualification d’un pôle économique dominant : les exportations allemandes ont été dirigées à hauteur de plus de 70% sur les pays de l’Union européenne et le solde excédentaire ce concentre à plus de 50% sur les pays de la zone euro. Dans l’univers européen, l’Allemagne tire l’économie de l’ensemble à elle-même.

Allons plus loin : devant le déficit de solidarité européenne entre pays en difficulté et pays «florissants» c’est-à-dire devant la « dés-intégration » des économies locales et régionales européennes, l’Allemagne est devenue le réceptacle des capitaux internationaux, mais surtout de ceux qui proviennent des « pays du Sud », capitaux fuyant l’austérité ou capitaux flottants cherchant la sécurité. Exemple topique de ce phénomène « attraction-siphonage » : les interventions de la BCE. Celles-ci, pour soutenir les banques espagnoles, portugaises et italiennes ont provoqué des mouvements considérables de capitaux dans le système des paiements Target ; Ils se sont retrouvés dans le système bancaire allemand, havre pour capitaux inquiets, déversoir de capitaux en excédent et en attente de placements ! Le Président de la Bundesbank s’en est inquiété auprès de son homologue de la BCE : progressivement, la Banque centrale allemande accumulerait des risques considérables sur la Banque centrale européenne !

Solde commercial considérablement excédentaire, balance des paiements de plus en plus excédentaire, est-il surprenant dans ces conditions que le Président de la Bundesbank, ait souhaité rapatrier les réserves d’or qui étaient stockées à New-York et à Paris et qui sont parmi les plus importantes du monde ? L’habitude avait été prise qu’elles fussent gardiennées en dehors du sol allemand. L’accumulation a-t-elle provoqué cette rupture des bonnes habitudes ?

Ainsi, la fameuse « Europe à deux vitesses » qui se construit sous nos yeux ne peut pas ne pas faire penser à « la France à deux vitesses qui était dénoncée », il y a plus de soixante ans, par Paul Granier. Ce serait une comparaison sans raison ?

La caractéristique de la région parisienne sur toute la période de son ascension, c’est-à-dire les cent ans dont le point de départ est la révolution de 1848, est …sa démographie négative, l’attraction des élites intellectuelles françaises et son rôle d’accumulateur de capitaux. On ne se répétera pas en matière de capitaux. En matière démographique, l’Allemagne de 2012 fait exactement comme la Région parisienne d’autrefois : compenser sa régression démographique par l’arrivée d’immigrants en provenance des pays européens du sud. L'Allemagne, pour la première fois depuis une décennie, a vu sa population augmenter de 90.000 habitants en 2011 au lieu de diminuer à la suite de l’arrivée massive des Polonais, Hongrois, Roumains, Bulgares, Hongrois, Espagnols et Grecs...

Ainsi, économisant sur les dépenses publiques liées à la population, l’Allemagne commence à se comporter comme toutes ces zones d’immigration qui reçoivent des travailleurs et des cadres bien formés…aux dépens des pays où ils sont nés et se sont formés. Est-ce là un « brain drain » comme il y a un demi-siècle les Anglais s’en plaignaient vis-à-vis des Américains ? Les pôles économiques dominant s’imposent et jouent un puissant phénomène d’attraction.

Les moralistes de la vie économique ne manqueront d’expliquer d’un ton pénétré par les exigences de la justice économique que l’Allemagne qui a su faire des efforts par rapport à ses voisins, légitimement les surclasse et, parce qu’elle est une vitrine de toutes les réussites, attire leurs élites. Ce n’est que la conséquence de l’influence « gravitationnelle » de cette nouvelle puissance économique.

Comme d’habitude les défenseurs de la « légitimité » allemande seront aussi ceux qui pourfendaient, et pourfendent toujours, le rôle écrasant de Paris et de sa Région dans l’économie française (et qui applaudissent au dynamisme Londonien en oubliant son rôle dans la désertification économique anglaise). Pourtant, cette situation n’est pas tenable ni acceptable.

La province française a souffert de Paris…mais tout ceci se déroulait entre Français et surtout dans un contexte où Paris (il suffit de lire quelques pages de Michelet sur la question) était le lieu de toutes les libertés, celui où l’esprit de clocher le cédait à l’esprit Universel. Le cri « A nous deux Paris ! » n’était pas dit par un parisien mais par un provincial ! Le Pôle économique allemand se nourrissant de la décroissance de ses voisins, ne libère personne, n’ouvre à personne la chance de prendre le pouvoir et de réussir socialement : il contribue, involontairement c’est évident, mais, c’est pire aussi, aveuglément, à rendre impossible la gestion sociale et humaine des économies du Sud. 

Au surplus, ce pôle économique d’excellence qu’est l’Allemagne présente à l’opposé de ce que présentait - et présente toujours ? - Paris et la Région Parisienne, un retard grave et qui va s’aggravant. Le PNB par habitant de l’Allemagne ne donne pas l’idée d’un pays dominant. Si la situation de l’emploi (faute de progression de la population active) paraît idyllique, le taux de pauvreté allemand n’a rien à envier à celui de certains de ses voisins du Sud moins triomphants en matière industrielle. Le risque n’est pas qu’on puisse un jour qualifier l’Allemagne de « pôle économique » puissant et prédateur, mais qu’on vienne lui opposer que le produit de ses exportations, les succès qu’elle enregistre et le détournement de ressources humaines de ses voisins du sud n’ont pour aboutissement qu’une population en décroissance accélérée, massivement constituée de seniors, progressivement laminée dans ses ressources et son épargne et n’espérant de l’Europe qu’elle travaille dur pour payer son entretien. Si les excédents du pôle dominant ne viennent pas irriguer ses composantes et peut-être diffuser vers l’extérieur ne vont-ils pas vers la caste d’un capitalisme d’entreprise dont l’objectif est la puissance d’entreprise au niveau mondial et non pas l’amélioration des conditions de vie de ses propres ressources humaines.

Si on ne veut pas que les populations du Sud se réveillent un jour avec le sentiment qu’on ne leur demande finalement de travailler que pour permettre à des gérontes de survivre et à des capitaines d’industrie de sillonner le monde, si on ne veut pas que l’Europe soit mise en danger parce que le Sud ne voudra pas plus longtemps payer pour le nord, il est urgent qu’une politique moderne d’équilibrage de l’espace économique européen prenne forme.

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